Fyctia
Chapitre 1
Ann gara sa Toyota dans la rue à sens unique du quartier résidentiel. La neige avait déjà commencé à tomber, mais la chaussée demeurait relativement dégagée. Une chance! Si la tempête avait eu lieu un ou deux jours plus tôt, le bord de la route aurait été bouché par des tas de neige et des signes « interdit de stationner », et elle aurait été bonne pour chercher une place à plusieurs pâtés de maison.
Or, ce soir, elle n’avait aucune envie de marcher sous la neige, sur des trottoirs où la poudreuse cachait des plaques de glace traîtresses. Elle avait lissé ses cheveux avant de partir et enfilé une jupe, des collants et des escarpins à talons pour l’occasion. Car, ce soir, elle et Liam fêtaient… les trois mois de leur couple.
Ce n’était pas grand-chose, mais Liam y avait tenu. Peut-être pour se rattraper après la période des fêtes, qu’ils avaient passée séparément, chacun dans leur famille.
— On devrait faire quelque chose pour l’occasion, avait-il lancé une dizaine de jours plus tôt, au téléphone.
— OK. Pourquoi pas? Qu’as-tu en tête?
— Si je te le dis, ce ne sera plus une surprise.
Alors qu’elle remontait l’allée déneigée qui menait à l’immeuble trapu, Ann s’autorisa à savourer le fait d’avoir un amoureux qui accordait autant d’importance à leur relation. Un amoureux qui la considérait comme une priorité, qui ne la faisait pas passer après tout le reste : son travail, son hobby, ses amis… À l’inverse de son ex-mari.
— C’est notre anniversaire de mariage aujourd’hui, aurait-elle dit, par exemple.
— Joyeux anniversaire, ma beauté! Je suis navré de ne pas pouvoir être là, mais j’ai une urgence…, aurait-il répliqué.
S’ils étaient face à face, il l’aurait enlacée et embrassée pour faire bonne mesure, comme si un baiser pouvait tout excuser, ou lui brouiller les neurones au point qu’elle ne lui en voudrait plus. Au début, cela avait été le cas. L’entente sexuelle entre eux était électrique, explosive, et quelle femme n’aurait pas été flattée de se sentir aussi désirée?
Ann secoua la tête en atteignant la porte d’entrée et pesa résolument sur la sonnette. Pourquoi penser à Fil, ce soir précisément? C’était fini entre eux, fini depuis plus d’un an et demi, même si les papiers du divorce n’avaient été signés qu’une année plus tard. Elle avait rencontré Liam, depuis. Liam, avec qui tout allait bien, avec qui elle avait retrouvé un équilibre.
La porte se déverrouilla, et elle l’ouvrit pour se réfugier au sec dans l’escalier. Liam habitait au deuxième; elle entendit sa porte qui s’ouvrait au-dessus d’elle tandis qu’elle grimpait les marches, tout en retirant son béret avec soin et en époussetant la neige sur ses épaules.
Il l’accueillit sur le seuil, vêtu d’une chemise sobre et d’un pantalon noir. Ann s’était demandé s’il porterait un costume pour l’occasion, mais non, bien sûr, cela aurait été trop chic pour un simple souper… La faute à Fil, qui avait porté des costumes cravates comme une seconde peau, et avait déréglé ses perceptions.
— Bonsoir, Ann, la salua Liam avec un sourire rayonnant.
— J’ai apporté l’apéritif, indiqua-t-elle en lui présentant la bouteille de prosecco spumante.
— Parfait.
Il lui prit le vin des mains et lui effleura à peine les lèvres avant de la laisser entrer. Elle ôta son manteau et son sac, laissa son regard parcourir l’appartement, qu’elle connaissait bien à présent. De taille modeste, il était décoré avec goût et, surtout, toutes les surfaces étaient impeccables et bien rangées — une des qualités qu’elle appréciait chez son compagnon. Un fond de jazz émanait du salon.
— Tu es magnifique, la complimenta-t-il.
— Merci. Tu n’es pas mal non plus, répondit-elle, polie.
— Je reviens avec des verres, signala-t-il avant de s’éclipser dans la cuisine.
Elle avança dans le couloir jusqu’à la pièce qui faisait office à la fois de salon et de salle à manger… et se figea un instant, stupéfaite. La table était dressée pour un souper aux chandelles en bonne et due forme : nappe, vaisselle assortie, serviettes en tissu soigneusement pliées, verres à pied, et un bouquet de roses rouges entre deux bougeoirs.
— Oh, mon Dieu…
— J’ai pensé que ce serait plus intime que d’aller au restaurant, dit-il en approchant par derrière. Et plus pratique aussi, avec la météo qu’ils annoncent pour cette nuit.
Elle se retourna vers lui, les yeux embués. Souriant, il lui tendit un verre rempli du vin blanc pétillant.
— Merci d’avoir organisé tout ça, murmura-t-elle. À nos trois mois!
— À nos trois mois, répéta-t-il en trinquant. Et aux nombreux qui suivront.
(suite de la scène dans le chapitre suivant)
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