Fyctia
Désenchantée
Sandrine appelle le médecin du travail, lui parle de ses progrès, lui dit qu'elle s'estime encore trop fragile pour retourner au bureau. Il prolonge son arrêt-maladie jusqu'en septembre : elle pourra passer tout l'été en Charente.
Tout l'été en Charente... Jusqu'à il y a quelques semaines, si on lui avait proposé ça, Sandrine serait partie en courant. A ses yeux, c'était l'équivalent du purgatoire. Mais aujourd'hui, elle s'y sent bien, cocoonée par sa mère toute heureuse de l'avoir près d'elle, bercée par le chant des oiseaux. Elle a adopté la légendaire lenteur charentaise : ce n'est pas pour rien que la région a donné son nom à des pantoufles ! Et qu'on y mange des escargots, les fameuses cagouilles ! Comme le disait Jean Monnet, père fondateur de l'Europe et illustre Cognaçais : "A Cognac, on sait attendre. C'est la seule manière de faire un bon produit".
Cela, Sandrine l'a ressenti tout de suite. Ici, personne ne se presse - seulement le raisin. Au début, ça lui tapait sur les nerfs : une conséquence de son stress. Et puis au fil des jours, elle s'y est habituée.
Elle se surprend à râler contre un automobiliste parisien qui klaxonne au feu rouge. Elle qui, il y a encore quelques semaines, aurait eu cette même tendance aux coups de klaxon intempestifs.
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"Sandrine ? Sandrine Cissé ? Ça alors, quelle surprise ! Tu n'as pas changé..." En faisant du shopping dans la rue d'Angoulême, la principale artère piétonne du centre-ville, elle tombe nez à nez sur une ancienne camarade de lycée, l'une des rares avec qui elle s'entendait à peu près. Cette dernière tient la boutique de vêtements dans laquelle elle vient d'entrer et la reconnaît aussitôt.
Face au regard interdit de Sandrine, la vendeuse reprend : "Emilie ! Emilie Fleurac ! Première C, tu ne te rappelles pas ?"
Si si, bien sûr, elle se souvient ! Mais c'est si loin... Pendant des années, elle a bloqué mentalement cette période de sa vie, et là voilà qui ressurgit sans prévenir. Ce n'est pas si terrible, ceci dit...
Emilie décide de fermer la boutique et insiste pour aller prendre un café avec sa "vieille amie". Elle veut tout savoir de sa vie, son travail, ses amours, ce qu'elle fait à Cognac...
Sandrine n'a pas l'habitude des papotages et commérages qui sont l'apanage des villes de province. Mais de bonne grâce, elle accepte.
Emilie veut tout savoir, mais bien vite, c'est elle qui monopolise la parole - comme si elle avait besoin de déballer son sac, comme si Sandrine était sa psy. Elle lui confie qu'elle se languit dans cette bourgade, qu'elle en a marre, qu'elle ne voit aucune perspective pour elle ici. Sandrine est troublée : quelques minutes plus tôt, la jeune femme enjouée paraissait épanouie. Ce n'était qu'une façade. Le masque tombé, à découvert, Emilie fait à Sandrine l'effet d'un miroir, lui jetant à la figure un reflet de ce qu'elle était il y a 25 ans, pleine de rancoeur et de dédain pour cette ville.
Pourtant Emilie était la fille d'un médecin respecté, avait toujours eu plein d'amis, était toujours souriante. Mais à l'inverse de Sandrine, qui ne voulait rien tant que sortir d'ici, elle y vivait dans un confort certain. Et ce n'est qu'aujourd'hui, à 40 ans, qu'elle s'y sent comme dans un carcan.
Ici, tout ou presque est lié au cognac, cet eau-de-vie noble inventée un peu par hasard par les marchands anglo-saxons. Leur héritage se retrouve encore aujourd'hui: Il suffit de lire les noms des marques : Hennessy, Martell, Larsen ou encore Gabrielsen. Mais la plupart des vignerons, ceux qui cultivent la vigne, sont des Charentais pur souche. Dans la petite bourgeoisie locale, tout le monde se connaît, et on finit par vite tourner en rond. L'ennui, dans toute sa splendeur...
Sandrine l'écoute avec un sourire de circonstance. Elle termine son café rapidement et prétexte un rendez-vous pour écourter l'entretien s'excuse rapidement : elle n'a pas besoin de toute cette négativité.
8 commentaires
Azilizaa
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Il y a 4 ans
Tomochili
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Il y a 4 ans
Christopher Llord
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Lyaminh
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