Fyctia

Le soleil d'août frappe ma peau avec une douceur capricieuse et s'infiltre à travers les branches des arbres qui ombragent le jardin.

Le parfum des fleurs fraîches emplit l’air, doux et presque envoûtant mais une vague de mélancolie me serre le cœur. Une sorte de vide me suit depuis le départ d'Edward et pour me changer les idées, je décide de rejoindre mamie et de l'aider dans son jardinage.

La terre est chaude sous mes mains et l’odeur des plantes mêlée à celle de la terre humide est agréable, médicinale. J’ai toujours aimé passer du temps ici. C’est un endroit calme, presque magique. Chaque bourgeon en devenir évoque la promesse d’un futur paisible. Mais malgré la beauté tranquille du jardin, tout semble un peu flou, mes pensées ne sont plus tout à fait les miennes. De façon mécanique, je griffe la terre de mes ongles. Les sensations sont là, mais mon esprit erre ailleurs.

Ma grand-mère, toujours aussi vive malgré l’âge qui commence à lui peser, me regarde. Ses yeux bleus pétillent de malice et contrastent avec les rides qui marquent son visage. Elle travaille à côté de moi, s’active à désherber, son dos légèrement courbé, mais la volonté intacte. Même si ses gestes sont moins fluides qu’ils ne l’étaient autrefois, elle semble toujours aussi insensible au passage du temps. Et comme elle aime à le répéter, elle est un peu comme une vieille vigne qui, malgré ses années, donne encore les meilleurs raisins.

Je me concentre sur mes tâches tout en écoutant le bruit des feuilles qui se froissent sous nos gestes mais je sens ses regards insistants posés sur moi. Elle semble habitée de son intuition ancestrale, de cette compréhension qu’on ne peut pas tromper.

Je m’arrête un instant pour épousseter mes mains et elle en profite pour briser le silence.

- Mia, dit-elle enfin, d’une voix douce mais intrépide, tu es là, mais tu n’es pas vraiment ici, n’est-ce pas ?

Je baisse la tête gênée et elle ne me laisse pas le temps de répondre.

- Dis-moi, ma poupette, comment ça se passe, exactement ? Cette nuit, je crois bien que tu n’étais pas dans ton lit, non ? Tu sais que je suis la dernière à vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais, entre nous, la façon dont tu viens m'aider à jardiner me dit que tu as d’autres préoccupations.

Je tente de trouver quelque chose à dire, mais les mots me manquent. Mamie n’est pas du genre à me juger, elle sait écouter sans critiquer mais il est évident qu’elle me connaît mieux que je ne voudrais l’admettre. Et alors que je n'ai encore rien dit, elle lève la main pour m'interrompre. Son air de vieille canaille est fièrement affiché sur son visage jovial.

- Je ne demande pas de détails, rassure-toi. Mais tu sais, ma chérie, l’amour, ça ne se laisse pas apprivoiser. Ça s’apprivoise soi-même, on le nourrit à notre façon, avec nos faiblesses, nos erreurs et aussi nos silences.

Je la regarde, un peu perdue dans ses mots. Elle parle toujours avec cette sagesse tranquille, elle semble savoir exactement ce que le cœur humain porte en lui, ses doutes, ses espoirs, ses failles. Je respire profondément et tente de calmer la tempête qui s’agite en moi.

- Mais enfin, ma poupette, il est charmant, ton Edward ! Il fait des livres à succès, il a ce regard qui te transperce et il est tout à fait le genre d’homme qui fait rêver. Alors, dis-moi, pourquoi ne pas laisser les rêves grandir ?

Je n’ai pas de réponse. Peut-être parce que, dans le fond, je suis encore en train de comprendre. Mais je sais que, d’une manière ou d’une autre, ce n’est pas seulement Edward qui m’échappe. C’est moi aussi et je suis en train de chercher qui je suis, à côté de lui, sans lui, ou avec lui. Je ne sais pas encore. Je suis perdue dans cette recherche, dans cette confusion tandis que les souvenirs de la nuit dernière resurgissent avec une intensité troublante.

La chaleur de ses lèvres sur ma peau, la fermeté de ses mains explorant chaque recoin de mon être et nos respirations entremêlées dans une symphonie d'abandon. Ces instants, bruts et enivrants, me submergent encore et m'arrachent à la réalité du jardin. Mon cœur bat plus vite, une chaleur diffuse monte en moi et je ferme les yeux un bref instant, incapable de réprimer ce flot de sensations. Mais le crissement des pneus sur le gravier brise net le fil de mes pensées. Une voiture ralentit dans l’allée et ramène brusquement le présent dans mon esprit enfiévré. Je redresse la tête et aperçois une silhouette que je reconnaîtrais entre mille. Margaret. Elle descend de son véhicule avec aisance. Sa robe d’été, légère et fluide, danse autour de ses jambes. Ses cheveux blonds, lâches et ébouriffés, captent la lumière du soleil et ses yeux bleus pétillent d’une joie contagieuse. Son rire cristallin et spontané balaye d’un coup mes pensées agitées et m'apporte un soulagement aussi inattendu que bienvenu. C’est exactement ce dont j’avais besoin.

- Surprise ! crie-t-elle, ses bras grands ouverts, comme si elle venait de me sauver d’un abîme.

Mamie Elizabeth, d’un clin d’œil complice, se redresse et se dirige vers Margaret, elle semble avoir attendu ce moment avec impatience.

- Tu vois, Mia, j’ai bien fait d’appeler ta vieille amie, non ? Elle va t’aider à retrouver ton sourire.

Je suis envahie par un sentiment d’allégresse, un tourbillon de bonheur qui me prend au cœur. Margaret est ici et tout à coup, la distance qui me sépare d’Edward semble un peu moins étouffante. Il y a dans la présence de mon amie une légèreté qui efface la lourdeur des dernières heures.

Margaret me serre dans ses bras et je ferme les yeux un instant. Je profite de cette chaleur, de cette constance, de cet amour simple et inaltéré qu’elle m’apporte. C’est comme si, d’un coup, le monde reprenait sa place.

- Je suis là Mia et je compte bien en profiter ! Le week-end va être génial. Mais avant tout, tu vas me raconter. Alors, qu’est-ce qui se passe avec l'écrivain le plus doué et le plus sexy de la terre ?

Je sais que j'ai encore des choses à découvrir, à apprendre. Mais pour l’instant, l’amour d’une amie et la chaleur de cette maison me suffisent.