Fyctia
Critique littéraire
Je tourne lentement la dernière page du chapitre. Le silence s'installe dans la pièce, seulement troublé par le crépitement du feu dans la cheminée. Assis en face de moi, Edward me fixe avec intensité.
- Alors ? demande-t-il finalement, son ton faussement détendu trahit une pointe d'appréhension.
Je repose délicatement le carnet sur le bureau, croise mes jambes avant de prendre une profonde inspiration.
- C’est captivant, commence-je, choisissant soigneusement mes mots. L’atmosphère, le mystère, cette tension constante... C’est tout ce que j’aime dans un bon polar.
Un sourire effleure ses lèvres mais il disparaît presque aussitôt.
- Mais ?
Je me mords la lèvre et hésite un instant.
- Mais, je pense que tu pourrais aller encore plus loin. Tu sais, il y a tellement de bonnes idées, de pistes intrigantes, mais parfois...
- Parfois ? me presse-t-il doucement.
- Parfois, c'est un peu trop dense, dis-je en me redressant, mes mains se joignant par réflexe.
Il arque un sourcil, intrigué.
- Trop dense ?
- Oui, dis-je en m'avançant sur la chaise. Tu as une façon incroyable de plonger le lecteur dans l'intrigue mais certains passages mériteraient un peu plus de respiration. Par exemple, la découverte du carnet d'Emma Grayson est un moment clé. Tout arrive si vite : la trappe, la clé, le journal... Il faudrait peut-être ralentir un peu pour que le lecteur puisse ressentir pleinement l'importance de cette découverte.
Il hoche lentement la tête, visiblement attentif.
- Tu veux dire que je devrais développer davantage l'ambiance autour de ce moment ?
- Exactement ! Fais-nous sentir l'étrangeté de l'instant. Ce genre de détails peut vraiment amplifier la tension.
Edward, les coudes sur les accoudoirs, laisse ses doigts glisser lentement le long de son bureau.
- Marcus qui soulève la trappe avec appréhension, le grincement du bois, la poussière qui s’élève... murmure Edward, perdu dans ses pensées. D'accord et quoi d'autre ?
Je me permets une courte pause pour formuler ma réponse.
- Le personnage de Marcus est fascinant mais il manque encore un peu de vulnérabilité.
- De vulnérabilité ? répète-t-il en penchant la tête.
- Oui. Tu fais un excellent travail en montrant son professionnalisme, son instinct d'enquêteur. Et dans une affaire aussi étrange, il devrait y avoir des moments où il doute, où il est encore plus effrayé. Cela le rendrait plus humain, plus proche du lecteur.
Edward acquiesce, son regard toujours fixé sur moi.
- Ça a du sens. Et la scène, avec le cercle de symboles et le message "On vous observe" ?
Un frisson me parcourt en y repensant.
- Cette scène est glaçante, avoué-je. Elle donne vraiment des frissons. Mais encore une fois, je pense qu'elle pourrait être encore plus percutante si tu jouais davantage avec les sens.
- Je pourrai décrire l'odeur métallique qui imprègne l'air de l'endroit... Tu veux que je rende le tout encore plus angoissant ?
Il laisse échapper un léger rire.
- Absolument, dis-je avec un sourire. Donne à tes lecteurs une raison de dormir avec une veilleuse.
Nous éclatons de rire et l'atmosphère se détend. Après un instant, Edward redevient sérieux.
- Et l’Ordre du Cercle Voilé ? Tu crois que l’idée est trop cliché ?
- Pas du tout, je réponds presque immédiatement. Ça te laisse une belle marge pour approfondir leur mythe et ajouter des détails uniques comme une philosophie, des rituels spécifiques et...
J'hésite.
- Et ?
- Peut-être jouer un peu plus avec l'ambiguïté. On pourrait se demander si tout ça est vraiment réel ou si Marcus sombre dans une sorte de paranoïa.
Edward se redresse, une lueur d'intérêt dans le regard.
- Une paranoïa... Tu veux dire que le lecteur ne serait jamais tout à fait sûr de ce qui est vrai ou non ?
- Exactement. Ça renforcerait l'aspect psychologique de ton histoire et maintiendrait la tension.
Un silence s'installe et cette fois il est chargé de réflexion. Edward attrape son carnet et commence à griffonner.
- Tu sais, dit-il après un moment, je ne pensais pas que cette conversation serait aussi productive.
- Qu'est-ce que tu croyais ? Que je te dirais juste : "C'est génial, ne change rien" ? demandé-je avec un sourire taquin.
- Peut-être, répond Edward, son ton tout aussi léger. Mais honnêtement, tes remarques sont vraiment pertinentes.
Mon cœur fait un petit bond.
- Merci. C'est un privilège de pouvoir lire ton travail en avant-première, dis-je sincèrement. Et je suis sûre que ce chapitre sera encore meilleur après quelques ajustements.
Edward referme son carnet, le pose soigneusement sur la table puis me fixe avec une intensité renouvelée.
- Tu sais quoi ? Tu devrais vraiment envisager une carrière dans l'édition. Tu as l’œil pour ce genre de choses, dit-il, un mélange de sérieux et d'admiration dans sa voix.
Je rougis légèrement sous le compliment.
- Merci, murmuré-je.
- Rappelle-moi ce que tu fais comme études ? ajoute-t-il, visiblement curieux et en s'appuyant sur le dossier de son fauteuil.
- Des études de psychologie, dis-je. Je suis spécialisée en psychologie cognitive et comportementale.
- Intéressant. Et ça consiste en quoi exactement ?
- Eh bien, je m'intéresse aux mécanismes de la pensée, à la façon dont les gens traitent les informations, prennent des décisions ou réagissent face à certaines situations. Ça peut aller de l'analyse des émotions à l'étude des biais cognitifs ou des comportements face au stress.
Edward se penche en avant, l'air captivé.
- Tu veux dire que tu sais pourquoi les gens font parfois des choix complètement irrationnels ?
Je ris doucement.
- Pas toujours et ma vie personnelle en est une belle preuve, disons que j'ai quelques théories. Par exemple, ton Marcus. Sa peur face au carnet pourrait très bien s'expliquer par un biais de confirmation : il est tellement obsédé par cette secte qu'il interprète tout ce qu'il découvre à travers ce prisme, quitte à exagérer leur influence.
Edward m'observe avec fascination, le menton appuyé sur sa main.
- C'est fou comme tu arrives à analyser tout ça, chuchote-t-il.
- Disons que c'est mon métier. Mais bon, ne compte pas sur moi pour corriger tes fautes d'orthographe, plaisanté-je, brisant ce moment d'introspection.
Il éclate de rire et je l'accompagne, ravie de retrouver notre complicité récente. Edward se lève alors, récupère son carnet sur la table et le serre contre lui avant de s’arrêter, juste devant moi.
- Merci, Mia. Vraiment.
- Avec plaisir. Et maintenant, dépêche-toi d'écrire la suite. Je veux savoir ce qui est arrivé à Emma Grayson.
Edward s'approche lentement, son regard s'attarde sur moi puis il s'arrête, indécis.
- Avant ça, j'aimerais...
Il laisse sa phrase en suspens et cherche mes yeux pour y lire une approbation silencieuse. Je sens mon souffle se suspendre et une chaleur étrange m'envahit. Après un instant d'hésitation, je hoche légèrement la tête.
C'est tout ce qu'il attendait. Ses lèvres viennent délicatement se poser sur les miennes.
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Lunedelivre
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Sharleen V.
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Sofia77
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Pjustine
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Pjustine
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