Fyctia
Sous couverture
L'air est frais. Il est empreint de cette sérénité propre aux débuts de soirée à Friday Harbor, peu importe la saison. Les étoiles s'éveillent timidement dans le ciel et une légère brise transporte l'odeur saline de l'océan tout proche. Edward tient la portière de sa voiture ouverte pour moi. Un geste simple mais d'une élégance naturelle qui lui donne un air presque irréel sur le moment.
Je reste interdite une seconde, surprise de ne pas voir sa vieille camionnette blanche habituelle. À la place, une BMW i5 noire étincelante trône dans l'allée, parfaitement polie. Elle reflète les dernières lueurs du jour.
- Je possède aussi cette voiture, dit-il en haussant légèrement les épaules.
Son ton amusé trahit sa volonté de rester discret malgré tout.
Je me glisse sur le siège passager, le cuir est doux et impeccable sous mes doigts. J'inspire profondément l'odeur de menthe mêlée à celle du neuf. C'est une voiture moderne, luxueuse. Edward s'installe au volant. Sa posture impeccable reflète une aisance innée. Il est habillé d'un pull ajusté bleu marine qui épouse ses épaules larges et ses bras fermes. Le vêtement laisse entrevoir une chemise blanche légèrement déboutonnée. Une mèche blonde, indisciplinée, tombe sur son front. Il semble tout droit sorti d'un magazine de mode. Pourtant, malgré cette perfection apparente, il a une façon de rendre la situation moins intimidante par son sourire rassurant et son humour spontané.
Pour ma part, j'ai opté pour une robe corail élégante mais pas trop formelle. Son décolleté subtil et sa ceinture mettent en valeur ma taille. Mes cheveux bruns sont relevés en un chignon lâche et quelques mèches encadrent mon visage. Pour une fois, je me suis autorisée un maquillage plus affirmé : un rouge à lèvres vif, des cils allongés par un mascara soigneusement appliqué et un soupçon de fard doré sur mes paupières. Je ne suis pas simplement Amélia ce soir, je suis la petite amie d'Edward Johnson. Et cela implique de me montrer sous mon meilleur jour.
Nous échangeons des plaisanteries légères sur le trajet pour chasser la tension qui plane. Edward s'amuse à imaginer des situations absurdes que nous pourrions inventer pour déstabiliser Charlotte. Il ponctue ses mots d'un sourire espiègle et je sens peu à peu mon appréhension s'estomper. Ce rôle qu'il joue si naturellement semble presque réel et cela rend la situation plus facile à vivre.
Après une dizaine de minutes, nous arrivons devant la maison de Charlotte. La nostalgie m'envahit en revoyant cette demeure où j'ai passé tant de moments durant mon enfance et mon adolescence. Rien n'a changé. La maison, un pavillon spacieux typique de la région, se dresse fièrement au milieu d'un jardin soigneusement entretenu. Chaque plante, chaque fleur semble avoir été choisie avec précision, héritage de Jane Cooper, la grand-mère de Charlotte. Elle a consacré sa vie à transformer cet espace en un véritable chef-d'œuvre horticole. Les grandes baies vitrées renvoient les derniers reflets du ciel et une lumière douce s'échappe des rideaux tirés révélant un intérieur chaleureux et impeccablement rangé.
Edward descend le premier, puis contourne la voiture pour m'ouvrir la portière. Le gravier blanc crisse sous mes talons tandis que je me lève. Je prends une profonde inspiration et ferme brièvement les yeux.
- Prête ? me demande Edward en m'offrant son bras.
- Aussi prête que possible, murmuré-je en agrippant doucement sa manche.
Nous avançons ensemble sur l'allée de gravier. La porte d'entrée en bois massif est ornée d'un heurtoir en bronze. À côté, une arche de fleurs grimpantes dégage un parfum subtil mais enivrant. Et avant même que nous n'ayons le temps de frapper, la porte s'ouvre. Charlotte apparaît dans l'encadrement, radieuse comme toujours. Son apparition est presque théâtrale, attendait-elle précisément ce moment pour entrer en scène ?
Charlotte est tout ce qu'on pourrait imaginer de la femme parfaite. Sa robe noire épouse chaque courbe de son corps sans effort apparent. Ses cheveux blonds brillent sous la lumière et tombent en vagues soyeuses sur ses épaules. Son maquillage met en valeur des traits parfaitement équilibrés. Chaque geste qu'elle fait semble calculé pour impressionner. Elle incarne la grâce et la confiance en soi et pourrait rendre n'importe qui maladroit en comparaison.
- Amélia ! s'exclame-t-elle, sa voix claire et mélodieuse. Je suis si heureuse que tu sois venue.
Elle me serre dans une étreinte polie avant de poser son regard sur Edward. Son expression passe instantanément de l'excitation à une stupeur difficile à dissimuler. Son sourire figé se transforme en un mélange de surprise et d'incrédulité. Puis ses yeux s'écarquillent légèrement alors qu'ils passent d'Edward à moi.
- Edward... Johnson ? balbutie-t-elle, sa voix tremblante.
Je retiens mon souffle. Edward, quant à lui, reste parfaitement maître de lui-même. Un sourire courtois et légèrement amusé se dessine sur ses lèvres.
- En effet, répond-il calmement. Et vous êtes Charlotte, je présume ?
Charlotte cligne des yeux, visiblement désarçonnée, puis acquiesce. Elle est incapable de détacher son regard de lui. Ses joues prennent une teinte rosée et pour une fois, elle semble avoir perdu l'aisance naturelle qui la caractérise tant. Je ris intérieurement. Bien joué Mia !
- Oui, euh... Oui, c'est moi, articule-t-elle finalement en secouant légèrement la tête, comme pour se reprendre.
Elle se tourne alors vers moi, ses yeux brillent d'une intensité nouvelle. Elle essaie visiblement de comprendre comment je suis arrivée au bras de l'écrivain le plus célèbre des États-Unis. Celui dont les romans sont devenus des films à succès et dont le visage orne les couvertures des magazines de tout le pays.
- Amélia, tu... tu ne m'avais pas dit que ton accompagnateur était... lui, lâche-t-elle, sa voix légèrement plus aiguë qu'à l'accoutumée.
Je hausse les épaules, feignant l'indifférence, bien que je sente mes joues chauffer sous son regard scrutateur.
- Je voulais te faire la surprise, dis-je en essayant de paraître détachée et en tentant de garder mon calme.
Edward laisse échapper un léger rire.
- J'espère que c'est une bonne surprise, dit-il avec son charme caractéristique, tendant la main vers Charlotte.
Elle rit nerveusement et prend sa main comme si elle n'était pas tout à fait certaine de ce qu'elle faisait.
- Une excellente surprise, souffle-t-elle presque rêveuse, ses yeux toujours rivés sur lui.
Elle finit par s'écarter pour nous laisser entrer.
Edward pose une main légère sur le bas de mon dos et guide nos premiers pas à l'intérieur. Ce geste, simple en apparence, agit comme une déclaration silencieuse. Ce soir, nous sommes un couple. Et tandis que Charlotte referme la porte derrière nous, une pensée fugace traverse mon esprit. Dans ce jeu d'illusions, qui du spectateur ou de l'acteur finira le plus perdu ?
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