Fyctia
Fiction et réalité
"Qui sait, je m'en inspirerai peut-être un jour dans l'un de mes livres."
Je le fixe, presque incrédule. Et lorsque je réalise ce qu'il vient de dire, un élan de timidité s'empare de moi et me force à baisser les yeux. Mes doigts se crispent légèrement sur le bord du siège. C'est dans ces moments-là que la présence rassurante de Margaret me manque le plus. D'un simple regard, elle aurait su me donner confiance. Je l'entends d'ici me dire : « Oh mon dieu Mia, si seulement j'avais été là pour te voir faire des yeux doux à Edward Johnson ! ». À cette pensée, un léger sourire se dessine sur mes lèvres. Oui, elle aurait trouvé ça à la fois embarrassant et terriblement excitant.
Quelle chance j'ai d'avoir une amie comme elle. J'imagine déjà sa réaction lorsque je lui raconterai cette rencontre et ce moment, seule avec lui, dans sa camionnette en piteuse état. Elle qui passe également des heures à dévorer ses romans. Margaret et moi partageons une passion secrète pour les œuvres d'Edward Johnson. Nos soirées sont souvent ponctuées de discussions enflammées sur l'un de ses personnages principaux ou sur une intrigue particulièrement tordue et qui nous a laissées sans voix.
- Je... vraiment ? Ce genre de rencontre impromptue peut vous inspirer ? finis-je par demandé.
Il semble réfléchir un instant puis répond d'une voix calme et mesurée.
- Bien sûr. C'est souvent dans les petites choses que l'on trouve le plus de profondeur, confie-t-il. Et, entre nous, les hasards ont une manière bien à eux de modeler les vies. C'est ce que j'aime, dans l'écriture. Le chaos, les moments imprévus qui, d'un coup, nous propulsent dans une direction différente.
- Vous voyez des histoires dans tout ce qui vous entoure, alors ? Je veux dire... des idées pour vos livres ?
Je me rends compte que je parle trop vite et ma voix vacille légèrement.
- Oui, parfois. On m'a souvent dit que mes livres semblaient venir de nulle part. Mais en réalité, tout est là. Dans le monde qui nous entoure. La vie, les gens, les petites choses et les hasards.
Je hoche la tête, ne sachant pas comment répondre à cela.
- Et donc, vous êtes fan de moi, n'est-ce pas ?
Je le regarde, un peu décontenancée par sa question et avant que je ne puisse répondre, il éclate de rire, devinant ma réaction.
- Ne soyez pas mal à l'aise, je plaisantais évidemment, s'empresse-t-il d'ajouter.
- Disons que j'ai lu tous vos livres, finis-je par avouer, légèrement gênée. Je suis fascinée par la manière dont vous tissez vos intrigues, vos personnages sont si complexes... J'ai même essayé d'assister à votre séance de dédicace à Seattle, mais il y avait tellement de monde qu'après plus d'une heure à attendre, mon amie Margaret et moi avons fini par renoncer.
Il semble surpris et flatté à la fois.
- Vous savez, quand un livre sort, c'est un peu comme un enfant qui quitte la maison. On l'aime, mais on est aussi un peu effrayé de ce qu'il pourrait devenir une fois loin de nous.
Je souris à cette comparaison.
- Et je suis désolé que vous n'ayez pas pu y accéder. J'imagine que ça devait être frustrant après tant d'attente.
- Oh, ce n'est rien ! dis-je en riant. C'était plutôt amusant, en réalité. On ne s'attendait pas à voir autant de gens. Non pas que... enfin vous êtes très connu donc ce n'était pas si étonnant que ça finalement mais...
Edward secoue la tête, visiblement amusé.
- Ne paniquez, pas j'avais compris, sourit-il. C'est toujours un peu surréaliste pour moi de voir autant de personnes attendre. Je veux dire, je suis juste un écrivain qui gribouille des histoires.
- Mais vous n'êtes pas "juste" un écrivain ! répliqué-je avec un peu plus d'enthousiasme que je ne le voulais. Vos livres... ils changent quelque chose chez vos lecteurs. Vous réussissez à nous faire réfléchir, à nous plonger dans des mondes différents. On s'attache à vos personnages et à leurs luttes. Ce n'est pas rien.
Il me regarde, ses yeux gris brillant d'un intérêt nouveau. Et sous ce regard, mon cœur se met à battre un peu plus vite.
- Merci, dit-il doucement. C'est ce genre de retour qui donne un sens à tout ça. Savoir que les mots touchent, c'est... c'est la plus belle des récompenses et c'est ce qui me fait continuer, jour après jour.
- De rien, c'est sincère, vraiment.
Edward reprend la parole, l'air soudainement curieux.
- Comment ça se fait que je ne vous ai jamais vue auparavant ? Vous êtes ici en vacances, peut-être ?
- Oui, en quelque sorte. Je suis arrivée de Seattle en début d'après-midi. Je loge chez ma grand-mère.
Grand-mère ! Je réalise que je n'ai pas vérifié mon téléphone depuis un moment. Je cherche rapidement mon portable dans mon sac. Deux appels manqués. Ma gorge se serre.
- Déjà ? demande Edward, un sourire taquin sur les lèvres, en voyant mon téléphone.
Je relève la tête, confuse.
- Vous voulez déjà que nous échangions nos numéros ? ajoute-t-il, espiègle.
Je bafouille une réponse plus rapide que je ne l'aurais souhaité.
- Non ! Enfin, je veux dire... je n'avais pas cette intention, c'est juste que... je suis partie il y a plusieurs heures et ma grand-mère doit s'inquiéter.
Il éclate de rire, visiblement ravi de ma gêne.
- Oh, au moins, c'est direct et ça ne laisse pas de place à l'ambiguïté !
Je souris malgré moi et alors que je m'apprête à répondre, nous arrivons à proximité de la modeste maison de mamie.
- C'est ici merci pour tout, dis-je en ouvrant précipitamment la portière.
Je traverse le jardin lorsque j'entends derrière moi le bruit d'une porte qui se ferme. Mon cœur rate un battement en me souvenant du vélo de grand-mère. Je me retourne pour le récupérer.
Edward est là, à côté de sa fourgonnette, ce qui reste du vélo entre les mains.
- On dirait que vous alliez oublier ça, dit-il, les lèvres étirées en un sourire franc.
Je m'approche de lui, un peu gênée. Il me tend le vélo et au moment où nos mains se frôlent, un frisson étrange me parcourt.
- Eh bien, merci... encore, balbutié-je, déconcertée par la sensation de ses doigts contre les miens.
- De rien et au fait... quel est votre prénom ? demande-t-il, l'air soudainement sérieux.
- Amélia. Mais tout le monde m'appelle Mia, dis-je dans un souffle.
Au moment où je franchis la porte d'entrée, je jette un dernier coup d'œil par-dessus mon épaule. Edward est toujours là, debout, ses mains sur les hanches et le sourire aux lèvres.
Edward Johnson, l'homme derrière les mots, est désormais plus qu'un nom sur un livre.
4 commentaires
Zatiak
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Il y a 5 mois
Pjustine
-
Il y a 4 mois