Fyctia
TRACK 12 : Another Love (2)
Il est temps de se mettre au travail. Je leur fais écouter quelques morceaux commencés la veille, je veux avoir leur avis. Cette retraite créative est l’occasion d’échanger, de brainstormer sur leur vision de l’album. Ni M. Nam, ni le reste de l’équipe de production ne sont là pour nous mettre la pression et je les sens plus détendus, plus libres de s’exprimer. Nous sommes juste un groupe de jeunes artistes mettant en commun leurs idées et j’aime cette synergie et cette effervescence qui nous réunit. Je suis convaincue que c’est comme ça que nous pourrons faire sortir le meilleur de nous.
Au bout de quelques heures, nous avons déjà sélectionné et arrangé plusieurs morceaux, de quoi satisfaire l’équipe de production lors de la réunion de vendredi. Sam pousse alors un long soupir.
— Bon, et si on en finissait pour aujourd’hui ? J’ai envie de retourner à la plage avant de repartir en tournage.
Les autres se mettent à rire.
— Hé, calmos le Californian boy ! On est ici pour bosser j’te rappelle, lui lance Jinhyuk en lui frottant vigoureusement le crâne de son poing.
— Ouais on sait mec, l’océan te manque ! Mais t’as fait le choix de venir t’enterrer en ces modestes terres donc maintenant t’assumes, ironise Min.
— Min, calme-toi avec le petit, tu vas nous le faire pleurer, ça fait des mois qu’il a pas vu Papa Maman ! renchérit à son tour Jinhyuk, hilare.
— Hyung ! Arrête de te moquer ! couine le maknae avec une moue enfantine.
Le groupe se met à rire de plus belle et je souris devant leur entente. Sam n’a que dix-sept ans et pourtant il vit seul, à des milliers de kilomètres de ses parents et de sa famille. Quand j’y pense, à son âge je n’aurais pas supporter d’être loin de ma mère si longtemps… Qui sera là pour le consoler lorsqu’il essuiera ses premiers échecs et ses désillusions ? À cette pensée, je vois en lui le petit frère que je n’ai jamais eu et j’ai tout à coup envie de lui faire un câlin mais j’ai bien conscience que ça pourrait paraître bizarre alors je me contente de l’observer avec un regard attendri. Au cours de ces dernières semaines, j’ai appris à les connaître et à découvrir leurs personnalités aussi singulières que attachantes. Je repense alors à l’image que je me faisais de la k-pop et des idols en arrivant chez Great Hit, de ces stars que je pensais mégalos et capricieuses. Mais en vérité, la plupart sont des jeunes comme tous les autres, avec leurs faiblesses et leurs fêlures. On les a poussés sous le feu des projecteurs parfois à un si jeune âge qu’ils n’ont pas eu le temps de mesurer l’impact que peut avoir la célébrité sur leur existence…
Finalement, ils quittent le studio en fin de matinée. Ils ont rendez-vous à treize heures pour leur deuxième jour de tournage. Je les revois imiter en pouffant le concept totalement loufoque de la publicité dans laquelle ils tournent. Dans un décor de bar de plage édulcoré, ils interprètent des barmen jonglant avec les bouteilles d’un jus lacté à la pêche avant de s’en délecter sensuellement en faisant couler le liquide dans leurs bouches et le long de leur cou, le tout accompagné d’une chorégraphie aussi puérile que ridicule. Je ris intérieurement, imaginant Jaekyung se trémousser en tongs et chemise hawaïenne criarde et lancer des sourires forcés à la caméra. Pas toujours glamour d’être un idol !
Je profite d’être à nouveau seul pour visiter les environs et aller déjeuner dans le coin. Car un séjour à Busan n’est pas un vrai séjour sans déguster la street food locale ! Je me rends donc au Haeundae market, pas le plus réputé mais tant pis, ça fera l’affaire. De toute façon, les autres sont bien trop loin et je n’ai pas le temps de traverser tout Busan… Je parcoure les quelques rues qui me séparent de ma destination et me voici arrivé dans ce petit marché traditionnel comme l’indique cette arche, sur lequel trône fièrement notre drapeau national. Les odeurs de fritures, de grillades et de gochujang* se mêlent au parfum iodé des embruns marins. Les marchands crient pour attirer les badauds sur leurs échoppes, il faut dire qu’il n’y a pas foule par ici au mois d’octobre. Je souris. Ça, c’est la Corée que j’aime. Ce joyeux bazar organisé où toutes les générations se côtoient, réunis par un même intérêt : celui de bien manger et de retrouver les saveurs si typiques de notre pays. Les devantures ne paient pas de mine mais on s’en fiche, on n’est pas là pour l’esthétique mais bien pour le goût. La cuisine de rue est une véritable institution au Pays du Matin Calme et elle fait partie de notre patrimoine culturel. Je suis d’ailleurs toujours ému devant ces petites mamies qui, parfois, ont largement dépassé l’âge de la retraite mais continuent de vendre, toujours avec la même passion et le même sourire, leurs plats faits maison, dont la recette n’a pas changé depuis plus de quarante ans.
Voilà qui éveille mon appétit ! Je veux tout acheter, tout goûter mais je sais très bien que mon estomac ne fera pas le poids. Je repère rapidement un stand, du haemulpajeon*. Le met idéal lorsque le temps est orageux comme aujourd’hui. J’ai à peine le temps d’entamer ma brochette qu’un autre plat attire mon attention : c’est du makchang goui*. Ça fait une éternité que je n’en ai pas mangé ! Je saute sur le stand afin de satisfaire mon envie. Après avoir déboursé quelques wons, je me jette avec gourmandise sur ces juteux morceaux de viande et pousse un soupir de satisfaction en les avalant. Ce goût m’avait tellement manqué ! Je me souviens que, petit, j'aurais pu me damner pour ça.
J’achète encore deux autres spécialités d’ici : des odengs* et du seoseo galbi* puis je termine ce repas improvisé en dégustant des ssiat-hotteok* tout chaud. Leur saveur de caramel, de cannelle et de graines torréfiées me rappelle mon enfance et les week-ends au parc avec mes parents. Je me sens tout à coup nostalgique. Je suis déjà venu à Busan une dizaine de fois au moins mais aucune de mes précédentes visites ne m’a autant évoqué de souvenirs que cette fois-ci et je suis convaincu que la présence de Jaekyung y est pour quelque chose… Le voir me ramène incontestablement à mon adolescence, à ces souvenirs que j’ai si souvent voulus oublier, parce qu’ils me rappellent des moments douloureux. Sans le vouloir, il éveille en moi toutes sortes d’émotions. De la colère et de la rancœur la plupart du temps mais aussi d’autres sentiments que je pensais avoir réussi à surmonter et à dépasser depuis longtemps…
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*Hyung : "Grand-frère" (du pdv d'un autre homme), peut aussi s'employer pour un homme proche plus âgé
*Gochujang : Pâte de piment très utilisée dans la cuisine coréenne
*haemulpajeon : Galette de fruits de mer
*Makchang goui : Morceaux d'estomac de bœuf grillés et cuits dans de la sauce épicée
* Odengs : Brochette de pâte de poissons cuite à la vapeur
*Seoseo galbi : Morceaux de viandes grillés
*ssiat-hotteok : Sorte de pancakes à base fourrés au sirop de sucre, cannelle et plusieurs graines
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CinnamonRolls
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Lyaure
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Val Alda
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NELI JO
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loulousjourney
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