Fyctia
01 Décembre
Il est huit heures vingt quatre. Je me tiens devant le portillon réservé au personnel. Il pleut à torrent et l'eau commence à pénétrer sous ma doudoune. En moins d'une demi-heure, j'ai réussi l'exploit de sortir de mon lit, dompter mes cheveux et parcourir les deux kilomètres qui séparent mon appartement de l'établissement. La proximité du job a pesée lourd dans la balance décisionnelle. Et je ne le regrette pas. Arriver en retard dès le premier jour aurait été un échec personnel. Arriver trop en avance, du masochisme. Je trouve que cette journée démarre donc plutôt bien. Exceptée la pluie.
À la différence d'hier, il n'y a pas un chat et le portail est fermé. Je presse le bouton de l'accueil et la voix nasillarde d'une personne au genre non identifié, me braille que "c'est déjà ouvert, il faut pousser fort car la société responsable du service technique n'est toujours pas passée... Et ce n'est pas faute de les harceler !". Alors j'inspire profondément une dernière bouffée d'air libre et je pénètre plus ou moins volontairement dans l'arène.
L'odeur que j'avais réussi à oublier durant la nuit, me percute de nouveau les narines. Un odieux mélange de couche humide, de javel et de lino. La personne à l'accueil, celle de l'interphone, a environ mon âge. Elle possède une barbe et des cheveux rouges en brosse. D'une main lasse, elle m'invite à me rapprocher.
— Bienvenue, tu dois être là nouvelle. Moi c'est Margot, se présente-t-il ou elle... iel ?
Je creuserai ce sujet plus tard. Et je note le tutoiement officiel.
— J'ai appelé Mathieu, il arrive. Tu peux l'attendre là-bas, sur les sièges visiteurs, m'indique Margot de son index aux ongles vernis de noir.
Depuis ma chaise en formica, je prends le temps d'observer la scène qui se joue devant moi. Ici, malgré l'heure matinale, et contrairement à l'extérieur, la vie semble grouiller. Un vieux traverse le hall en peignoir, une dame déjà apprêtée, s'échappe dans l'autre direction. Une femme en uniforme court d'un bout à l'autre du couloir... Tandis que deux autres bavardent tranquillement en tenant chacune un résident en fauteuil, semblant attendre sagement la fin de leur conversation.
— Désolé, petite urgence du lundi matin, me réveille mon directeur. Comment ça va depuis hier ? Tu as fait bonne route ? On peut se tutoyer ? m'enchaine-t-il sans attendre mes réponses.
— Oui, je me contente alors en retour.
— Je n'ai pas le temps de te faire la visite tout de suite mais tu vas voir, c'est très simple ici. Au rez-de-chaussée c'est les parties communes et l'administratif. Mon bureau est juste là, par exemple. Ensuite, tout suit un ordre logique. Les résidents les plus autonomes sont au premier, ceux en fauteuil au second, et l'aile du troisième est réservée aux alités ou protocoles spéciaux.
Protocoles spéciaux ?
— Toi, tu auras surtout affaire au premier cas. Je te ferai visiter en vrai plus tard, on verra si tu as une bonne mémoire. As-tu des questions ?
Des milliards ! Pourquoi parle-t-il aussi vite ? Combien de café a-t-il déjà ingurgité ? Moi aussi j'en veux un ! Au bout de combien de temps s'habitue-t-on à l'odeur ? Donc je peux garder mon piercing au nez ?
— Non. Ça devrait aller, je mens à la place.
— Super. Alors laisse tes affaires au vestiaire et rejoins la salle d'activité créative pour 09h00. Les inscrits aux ateliers de Noël t'attendrons.
Déjà ?! Mais je n'ai pas le temps de répliquer qu'il est déjà parti.
Margot, en vrai maquerelle d'accueil, m'indique de son doigt peint la direction du vestiaire. Et je la/le, remercie d'un signe de tête.
"Vestiaire" est un trop grand mot pour définir cette pièce. C'est en fait un croisement entre un placard à balais et une buanderie. Des paniers à draps et blouses souillés sont exposés dans le fond et des casiers déjà pleins à craquer m'accueillent à l'entrée. J'accroche ma doudoune détrempée au seul porte manteau de libre, certaine qu'elle sera dans le même état ce soir, avec en plus une odeur de chien mouillé. Un petit lavabo habille le dernier mur et j'observe un instant mon reflet dodu dans le miroir. Je vérifie que ma longue tignasse ne boucle pas en dehors de ma queue de cheval et inspire un dernier coup d'air confiné. À 08h55, je trouve de je ne sais où, le courage de rejoindre la salle commune. Là-bas, une poignée de seniors est déjà présente...
— C'est toi Alice ? me demande l'une d'entre eux.
— Bonjour. Oui.
— Tu as l'air bien jeune...
— Plus que vous c'est certain, mais je vous rassure, je suis majeure.
— Qu'as tu à nous proposer comme thème alors ? commente une seconde.
— Pas encore un Noël blanc, hein ?
— Ni de Circus, je déteste les clowns.
— Ni exotique, moi je déteste les...
— Henri ! Non !
Donc le directeur n'a pas exagéré... Ils sont sous acides dès le matin et en boucle sur Noël !
— Je... J'ai...
... Juste envie de m'enfuir loin d'ici ! À quelle heure passe le train qui nous sort des enfers ?
— Tu sais parler au moins ?
— Elle a quoi dans le nez ?
— Je veux que Samantha revienne...
— On a qu'à faire Noël plus tard, à son retour.
— Non, non on ne change pas les dates de Noël, enfin !
— On a qu'à rien faire alors.
— Quoi ?
— Mais t'es tombée sur la tête ce mâtin ma pauvre Renée ?
— On n'est pas sorti de l'auberge, je vous le dis !
— Appelons Mathieu !
Ça fuse de tous les côtés... Et j'implose !
— Ok. Ok. Stop ! Noël est dans 24 jours, nous avons encore du temps devant nous ! j'explique calmement.
— Du temps ?
— Elle est folle...
— On est le premier décembre, ce qui signifie que nous avons déjà raté la première case du calendrier de l'avent !
— La journée ne fait que commencer. On peut encore rattraper ça, non ? je tente alors.
— Pas faux.
— Elle n'est pas si idiote finalement.
— Je vous entends, vous savez. J'ai une très bonne ouïe, moi ! Donc, j'ai l'impression que le calendrier semble être la priorité numéro 1. Ensuite ?
— Le thème.
— Et la décoration ! On a rien fait encore !
— Je suis sûre qu'on pourra réutiliser du matériel des années précédentes, en le revisitant un peu, proposé-je.
— Comme à la télé avec les maisons à vendre ?
— Oui, c'est ça. Du coup, nous devons trouver le thème maintenant, tenté-je afin de débroussailler ce bourbier.
— Et déterminer notre Secret Santa !
— Oh là là, nous n'aurons jamais assez d'heures par jour pour tout faire !
— Attendez, c'est quoi ça, le secret machin ? osé-je leur demander.
Silence général. Je suis dévisagée par une horde de hyènes affamées. Ils vont me bouffer !
— C'est une blague ! Mathieu a dit qu'elle était drôle !
— On ne rigole pas avec Noël jeune fille !
— En plus, moi je suis cardiaque.
— J'ai une idée, je vous propose de noter chacun un thème sur un papier et on va les étudier, puis voter, j'essaie alors de cadrer, comme avec les gosses.
— D'accord.
— Vive la république !
— Henri !
— Vous avez des post-it ? j'ose demander.
C'est ainsi qu'en ce premier décembre, est voté à (presque) l'unanimité, le plus foireux des thèmes de Noël.
54 commentaires
Scriptosunny
-
Il y a 4 jours
Mayana Mayana
-
Il y a 4 jours
Charlyemorand
-
Il y a 6 jours
Mayana Mayana
-
Il y a 6 jours
Ama Ves
-
Il y a 11 jours
Mayana Mayana
-
Il y a 11 jours
Justine_De_Beaussier
-
Il y a 14 jours
Mayana Mayana
-
Il y a 14 jours
Charlyemorand
-
Il y a 15 jours
Mayana Mayana
-
Il y a 15 jours