Fyctia
8- Surprise du chef
Au petit matin, la musique grisante Jingle Bell Rock me sort de ce paisible sommeil. Les draps douillets ont enveloppé mon corps tendrement et ont favorisé ma détente tout en m’apportant un sentiment de sécurité et de chaleur.
Après plusieurs étirements, je me dirige vers la fenêtre que j'ouvre pour tâter la température. J'admire la mer d’Irlande à perte de vue sur les hauteurs de Howth. Les décorations de Noël dans le jardin ont moins de charme quand il fait jour. Un homme est dehors, il a du courage de couper du bois par ce temps glacial. C’est sûrement Liam, le mari de Dorothy.
L’air est toutefois vivifiant, et pleine de joie, je file me préparer pour sortir et braver le froid. Je sens que la journée va être bonne. J’allume la télé en fond sonore et tombe justement sur le bulletin météo : - 2 ce matin. Ouh, ça va piquer ! Des épisodes neigeux sont annoncés courant la semaine. Chouette ! Même si l’Irlande n’est pas connue pour ses chemins enneigés, mais pour mettre le paquet en matière d’animation de Noël, je ne serais pas contre de voir un voile blanc recouvrir les paysages.
Fin prête, je prépare mon appareil photo et l’accroche autour de mon cou. À partir de maintenant, je l’emmène partout. À l’affût du moindre enchantement !
Je descends le plateau à Dorothy que je retrouve dans la cuisine. La mère Noël a troqué sa tenue pour un tablier vert sapin. Je l’observe dans l’embrasure de la porte. Le plan de travail est un véritable capharnaüm. Quelques bols en verre sont dispersés partout, certains sont renversés. De petits morceaux de pâte collante sont disséminés sur la table comme s’ils avaient servi de projectiles à des enfants. Des éclats de noisettes et de sucre coloré se mêlent aux traînées poudreuses de farine. Tante Dorothy est très concentrée et son air bien plus sérieux qu’hier, même si de la farine, telle de la neige fine, recouvre partiellement ses pommettes. Elle met toute son âme et son enthousiasme à façonner une boule de pâte pour confectionner visiblement des cookies. Je remarque une première fournée sur une grille près du four d’où il se dégage une odeur enivrante et une chaleur réconfortante. Miam ! Ma tête me dit : Stop, mon estomac me dit : Fonce ! À ce train-là, je vais prendre vingt kilos sur le séjour. Tant qu’ils ne sont pas dans ma valise, je ne paierai pas d’excédent !
Cette pâtissière exaltée se retourne, surprise par ma présence discrète.
— Oh miss Joannie ! Je ne vous ai pas entendue arriver. Vous avez failli causer une catastrophe.
Je ne vois pas comment ce tourbillon culinaire pourrait être pire.
— Désolée de vous avoir fait peur. Où puis-je poser le plateau ? La soupe était excellente.
— Là-bas près de l’évier, je m’en occuperai après.
— Dis donc, vous en avez prévu pour un régiment !
— C’est que les enfants sont gourmands !
— Je n’en doute pas, nous l’étions aussi à leur âge et je le suis encore ! Ah, ah !
— Servez-vous ! Ne faites pas de manière avec moi ! Miss Joannie, vous êtes ici chez vous. Allez ! Je suis sûre que vous avez gardé votre âme d’enfant, insiste-t-elle en voyant ma mine indécise.
— Avec plaisir !
Je ne me fais pas prier. Le chocolat est encore chaud et fondant dans ma bouche. Je dois en avoir plein les dents. Je tente d’articuler la bouche pleine :
— Ils chont délichieux. Un régal. Hum ! Les enfants ne sont pas là d’ailleurs ?
— Ah, mais non, ils sont à l’hôpital.
Interloquée, je n’ose pas la questionner pour ne pas être indiscrète. Le ding du micro-ondes sonne, elle accourt. J’en profite pour parler d’autre chose, même si l’odeur alléchante de cette crème onctueuse titille mes papilles.
— Quand commence-t-on les préparatifs pour le marché de Noël ?
Elle s’arrête net.
— Euh… Vous êtes pressée… ?
— Je suis venue pour ça ! Je tiens à honorer cette promesse faite à votre nièce !
— Oh ma petite nièce chérie ! Quel bien triste malheur ! Éva est une femme forte, elle va surmonter cette épreuve, ma Pretty woman !
— Bien plus forte que moi, marmonné-je. C’est un roc. Alors, en quoi puis-je vous aider ?
— Amenez-moi cette spatule en bois, miss Joannie !
— Je parlais du marché de Noël !
— Oui, euh… évidemment ! me répond-elle, l’air préoccupé.
— Tante Dorothy, arrêtez de tourner autour du pot ! Y a-t-il eu du changement ?
— Du « changement », euh oui ! Mais ne vous inquiétez pas Miss ! Tout ira bien !
— Où voulez-vous en venir ? je blêmis.
— J’ai… un petit problème… je ne pourrai pas être présente. Je suis retenue... Vous allez devoir diriger l’organisation…
Prise de court, je me frotte le menton pour éviter de céder à la panique.
— Vous allez assurer ! ricane-t-elle nerveusement. Je sais que vous faites tout à la perfection. On compte vraiment sur votre savoir-faire et votre touche féminine !
MOI : gérer un marché de Noël ! C’est Mission Suicide ! Le seul événement que j’ai organisé, c’était une soirée raclette pour mon anniversaire.
— Euh organiser ??? Vous êtes sûre que ce n’est pas un peu fort ? Je peux distribuer les tracts, servir les hotdogs à la place ! Oh ou m’occuper des enfants ? ! Je n’ai pas du tout l’âme d’une gestionnaire, je précise avec une expression de terreur grandissante.
— Mais vous ne serez pas seule. J’ai missionné Liam, ça lui aérera l'esprit. Il n’est pas très enthousiaste à l’idée de travailler avec une « inconnue », alors ne soyez pas trop dur avec lui ! Il traverse une mauvaise passe ! Il est assez ronchon ces derniers temps…
Génial ! Encore mieux !
— Liam ? Le Grinch ! ? prononcé-je en haussant les sourcils, un peu confuse.
— Ah ah ah ! Oui c’est ça ! Mais ne vous en faites pas, il n’a pas aussi vilain caractère que le monstre et il adore Noël.
— Ça, j’avais remarqué, car peu de personnes sont capables d’ouvrir leur porte d’entrée dans cet accoutrement.
MOI : la Jo indépendante et solitaire, travailler avec un homme que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam ??? Je perds pied.
— Bon voilà qui est dit ! Vous m’en voyez soulagée Miss, s’exalte-t-elle comme si tout était résolu et parfait d’avance. Je suis sûre que vous allez briller tous les deux, le marché de Noël va être un succès phénoménal. On fêtera ça autour d’un chocolat chaud.
Avec une bonne dose de whisky à l’intérieur alors !
J’aimerais lui dire d’arrêter de parler avec emphase et surtout que je ne suis pas prête à accepter, mais une petite voix intérieure me retient. Eva ! Pffff ! Je me ravise. Tu me feras tout voir !
— C’est d’accord ! De toute façon, depuis le début, j’enchaîne surprise sur surprise, je ne suis pas à ça près.
— Parfait miss Joannie ! Allez donc trouver Liam pour en discuter. Il est près de la remise. Il coupe du bois. Oh, miss Joannie, tenez ! Amenez-lui du thé et des cookies ! ça le rendra plus avenant !
Super ! On dirait que je vais avoir affaire à une bête féroce que seul un morceau de viande fraîche peut apaiser. Allez à la guerre comme à la guerre ! Pour Éva ! Pour l’esprit de noël !
2 commentaires
loup pourpre
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Il y a 12 jours
Line Sé
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Il y a 12 jours