Fyctia

— C’est tout réfléchi. La chambre d’ami est un débarras géant en plus. Le lit est couvert de cartons et on ne peut pas mettre un pied devant l’autre dans la pièce.

Je savoure ma bière, persuadée que ce simple argument suffira à clore le débat.

— Il pourra t’aider à faire du tri. Autant joindre l’utile à l’agréable.

Agréable ? Trier les souvenirs d’une vie passée avec un potentiel tueur en série ? Cléo a perdu la tête.

— Il n’a pas une quête à mener ?

Elle se contente de hausser les épaules avant d’ajouter :

— Il est prêt à payer dix pourcents plus cher.

— Alors qu’il n’est même pas responsable du bug du site ?

Touchée. Cléo lève un sourcil et fixe un point invisible derrière mon épaule.

— Soit… Écoute, je ne te le demanderai pas si ce n’était pas important.

Elle a baissé la voix et s’est penchée vers moi. Ses yeux verts se voilent légèrement. Je m’enfonce un peu plus sur la chaise en bois et croise les bras. J’essaie de contrôler les tremblements de ma jambe droite sous la table, mais j’ai dû mal à contenir mes émotions.

— Tu ne le connais même pas, pourquoi t’impliquer autant ? Ne me dis pas que tu as eu un coup de foudre ou une autre connerie du genre ?

— Sélène… Lorsque tu as eu besoin de moi pour aller voir ton père, je n’ai pas hésité une seule seconde.

C’est le moment. Celui où elle va abattre sa dernière carte et anéantir tous mes principes.

— J’ai roulé près de 1 000 kilomètres parce que tu n’avais pas le permis. J’ai accepté d’attendre de longues heures dans le couloir de l’hôpital alors que je tenais à peine debout, tellement j’étais fatiguée. Je t’ai tenue les cheveux quand tu vomissais tes tripes dans les toilettes sous le coup de l’émotion. J’avais confiance en tes choix, je t’ai suivie et je t’ai soutenue.

La garce, elle a un argument choc. Elle n’a pas choisi la date au hasard. J’étais piégée avant même de pouvoir me défendre. Je l’aime, elle le sait. Pour elle, je serais prête à tout. Même à accueillir un homme que je ne connais pas, chez moi. Si ce n’est que pour une nuit, ça devrait aller. Fermer ma porte à clé, établir des règles strictes pour la salle de bain et les toilettes.

Je me fige.

Est-ce qu’il est du genre à rabattre la lunette des toilettes ? Je frissonne à cette pensée. Je n’ai pas partagé mon quotidien avec un homme depuis Paul. Ça y est, son nom a traversé mon esprit. Je me l’interdis pourtant. Je le fuis comme Voldemort, pour éviter que mon cœur ne souffre davantage. Étrangement, il ne se passe rien. Mon cœur est encore bien au chaud dans ma poitrine.

— Sélène, s’il te plait.

Cléo tend une main vers moi. Doucement, je décroise les bras et glisse ma paume dans la sienne. La chaleur de ses doigts m’apaise. J’ai confiance en elle. Je lui confierais ma vie s’il le fallait. Alors je peux bien prendre sur moi vingt-quatre heures. S’il est là pour une quête spirituelle, il sera sûrement trop occupé pour tenter de me faire la conversation. Et ça m’ira très bien.

Ma raison et ma loyauté se livrent un combat sans merci. Accepter pour ma meilleure amie, ou refuser pour ma tranquillité d’esprit ? C’est ridicule. Je juge un inconnu sur le parce que je lis trop de faits divers. Et si c’était moi la prochaine sur la une du journal ? Non, stop. Cléo ne me mettrait jamais en danger, pas elle. J’inspire profondément et ferme les yeux une seconde. Ça ne dure qu’une nuit. Juste une nuit.

— J’accepte. À condition qu’il respecte mes règles.