Fyctia
Chapitre 1
Comme chaque année à cette période, Mariah a quitté son glaçon, Paris s’est habillée en gris-souris et moi je grelotte sévère en maudissant la personne qui a inventé le mois de novembre.
— T’es où Mahault ?
Au téléphone, Léna me presse alors que je file vers le Mandarin Oriental.
— J’arrive dans cinq minutes.
Plutôt dix en fait. Voire quinze. J’irais plus vite s’il ne pleuvait pas.
Mon téléphone vibre de nouveau, c’est Jérôme. Qu’est-ce-que tu fous ? On t’attend.
Je savais que j’aurais dû partir plus tôt, je le savais ! Mais une émission à la radio m’a attrapée par surprise alors que je m’apprêtais à franchir la porte. Le sujet : #metoo dans l’industrie musicale. Mon dilemme n’a pas duré bien longtemps — impensable pour moi de quitter les lieux sans voir des têtes tomber. Résultat ? Elles sont toutes restées en place, mais c’est la mienne qui risque maintenant de sauter si je ne rejoins pas Jérôme Ronchin, directeur du label Hortensia Music, au plus vite.
J’accélère.
D’ordinaire, le lundi matin, Jérôme nous attend dans son bureau. Nous, c’est son équipe : chefs de projets, attachés presse, directeurs artistiques, stagiaires. Le juridique parfois, la compta jamais.
Chaque semaine, on l’accompagne, avec nos poches sous les yeux et nos ordinateurs sur les genoux pour faire le point et définir la stratégie médiatique des stars de demain.
Lui, c’est le seul qui reste infatigable. Pas de pause, pas de coup de mou. Il atteint parfois même un état d'euphorie que le commun des mortels ne connaîtra jamais, comme ce fameux matin de mai, où il flottait littéralement en nous accueillant.
— Jack Carbone, vous situez ?
Question rhétorique, évidemment. Qui ne le connaît pas ? Fruit de l’amour temporaire d’un chanteur américain et d’une actrice française à la fin des années 90, il était célèbre avant même de gazouiller.
— Il a signé chez Hortensia. Son prochain album, c’est pour nous.
Jérôme ne prend jamais le temps de s’embarrasser de fioritures, qu’il s’agisse de bonnes ou de mauvaises nouvelles.
— Ça a fonctionné sa Taylor Swift alors ?
Christopher, directeur marketing et expert en auto-promotion, ne peut s’empêcher d’intervenir.
Faire sa Taylor Swift, ce n’est pas seulement vendre des millions d’albums et remplir des stades dans le monde entier, non— c’est aussi se battre pour récupérer ses droits, son argent, son autonomie. Et c’est justement ce qu’a fait Jack Carbone. Le procès qu’il a intenté contre son ancien label a fait grand bruit, et même si des rumeurs circulaient depuis un certain temps, personne n'aurait misé sur un deal en direct avec un label français… c’était inimaginable.
Jack Carbone, c’est une voix qui fait planer, c’est un physique qui bouscule les codes, c’est un combo gagnant qui chamboule tout le monde, de la Gen Z à leurs parents. Mais Jack Carbone, pour Hortensia Music, c’est surtout un jackpot financier, un chiffre d’affaire multiplié par trois et une prime d’intéressement boostée à fond. Je partageais l’enthousiasme.
— Il est en studio à Los Angeles en ce moment, il finalise l’album. Clara, je te laisse caler un call avec l’équipe sur place pour avoir une idée des délais.
Elle prend note. Jérôme continue.
— Le premier single est déjà prêt. Léna, je veux un plan market’ au carré. Mehdi, tu l’envoies en radio, Colin, tu anticipes avec la fab’ pour les coffrets et les vinyles. Mahault, il vient à Paris fin novembre pour la promo, je le veux partout, tu bombardes, tu cales les interview, tu le places sur tous les plateaux, ok ?
Il se gratte le nez. On acquiesce.
— Jack Carbone, c’est le Père Noël de cette année, l’objectif c’est qu’il distribue son album sous tous les sapins.
— …
— Alors on se bouge le cul mes petits lutins.
Jérôme, il est froid, exigeant, parfois malpoli, mais s’il croit en vous, il vous ouvre des portes que vous n’oseriez même pas effleurer. Parce qu’à part les chemises en jean et les doudounes sans manches, ce qu’il aime par-dessus tout, c’est voir ses artistes et son équipe réussir. Et c’est pour ça que, plusieurs mois après cette réunion, un matin gris-souris, je prends le risque de m’étaler sur le goudron mouillé… Parce qu’aujourd'hui, je vais enfin rencontrer le Père Noël.
3 commentaires
Eva Baldaras
-
Il y a 19 jours
Passions-Fictions-Laëti
-
Il y a 20 jours