Fyctia
Chapitre 72
Je n’avais pas vraiment besoin d’en savoir plus. La manière insensée dont José avait interprété sa première rencontre avec Agnes, et jusqu’à son patronyme, comme autant de preuves supplémentaires du complot menaçant les fondements sacrés de la nation argentine ne me surprenait pas; j’avais déjà entendu trop souvent ce genre de délire paranoïaque.
Dans la police fédérale et encore plus dans l’armée et surtout dans les services spéciaux, il en subsiste encore beaucoup, de cette sorte de gens, généralement plutôt entre deux âges, qui s’aigrissent en regrettant le bon vieux temps où tous les subversifs encore vivants rasaient les murs. La fin de leur discussion m’a tiré de ma méditation, car José comptait aussi organiser la liquidation d’Orsini.
– Ce prêtre-là est un des trop nombreux fils indignes de l’Argentine qui se vautrent dans la luxure, et encore plus indigne de compter parmi les premiers serviteurs de notre très sainte mère l’Église. Il est une souillure abjecte sur le corps sacré de cette institution qu’il déshonore. Je l’ai un peu connu autrefois, avec ses manières tantôt autoritaires et tantôt doucereuses, et ses caresses malsaines de prédateur pervers qui nous hérissaient la peau et nous mettaient mal à l’aise, sans que nous sachions vraiment pourquoi, pauvres innocents que nous étions. Lui aussi doit périr, et personne n’ira le pleurer...
Décidément, la saison d’hiver accroît le potentiel homicide du petit José. Voici une autre cible de ses fureurs purificatrices qu’il faudra prévenir de rester soigneusement planqué dans son nid à corbeaux. Quel métier.
Ensuite, je suis allé me coucher, et malgré la promesse que je m’étais faite de ne pas chercher à comprendre José, j’ai commencé à relier ses paniques des années dernières au nouveau tournant meurtrier qu’il semblait prendre pour annihiler tout ceux qui lui rappelaient la pesante réalité de sa propre chair vivante, toujours moins éthérée et limpide que le devoir dont il croyait avoir hérité.
Et en attendant de m’endormir, je méditais confusément là-dessus; la faute à Lorca et à son personnage de la fiancée dans "Noces de Sang", obsédée par sa chasteté:
"Je veux qu’elle sache que je suis propre, que l’on me trouvera folle, mais qu’ils peuvent m’enterrer sans qu’aucun homme ne se soit contemplé dans la blancheur de ma poitrine."
Pauvre petit José. Pauvre petit fiancé de personne, si pur et si fou.
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