Seb Verdier C'est l'heure... Ici et maintenant 3

Ici et maintenant 3

— De quoi manger ? Boire ?


Une réserve d’eau et de nourriture est aussi demandée car les ravitaillements sont parfois espacés de plus de quinze kilomètres l’un de l’autre et il est nécessaire de pouvoir s’alimenter dans une relative autonomie. Un gobelet réutilisable est associé à cette demande afin que l’organisation réduise au maximum son stock de gobelets en plastique sur les stands de ravitaillement et contribue ainsi à une certaine démarche écologique.


Il montre son gobelet, un modèle un peu gros mais qui peut faire l’affaire, et sa poche à eau, remplie et glissée dans son sac à dos, de laquelle part un tuyau de plastique courant sur les sangles du sac jusqu’à ses épaules et se terminant par une tétine en silicone, à proximité de sa bouche. Il montre aussi ses bouteilles d’Energade, non pas glissées dans des poches ventrales comme le font la plupart des coureurs, mais calées au fond du sac. En effet, ne faisant pas partie des modèles de compétition, son sac n’a pas de poche ventrale suffisamment grande pour y faire tenir une bouteille de boisson isotonique. S’il veut les utiliser il devra donc s’arrêter, enlever le sac des épaules, y rechercher la bouteille en question, la prendre, remettre le sac, et repartir en gardant la bouteille à la main…


Le bénévole hoche la tête.


Il montre également ses pâtes de fruit, sa barre de céréale et son bloc de pâte d’amande de cinq-cents grammes.


Le bénévole sourit.


Plus tard – mais plus tard seulement – il aura un sac de course digne de ce nom, avec adaptabilité morphologique, bardé de six ou huit poches, dont deux ventrales, avec sangles latérales réglables, le tout pesant moins de 400 grammes ; il aura aussi des flasques souples de cinq-cents millilitres, avec système d’ouverture par simple rotation de la tétine en silicone, évitant ainsi les bidons bruyants et cognant sur les côtes pendant le footing de départ ; et il prendra aussi des rations de nourriture adaptées à l’effort, des barres énergétiques étudiées pour leur teneur en maltodextrine, saccharose, potassium et autres vitamines C, B1, B12…



— La couv ?


Et enfin, il est indispensable d’avoir une couverture de survie en cas d’hypothermie ou d’abandon dans un lieu venté et glacé… comme cela lui arrivera dans quelques années lors de la Course de l’Arc en Ciel…


Quelle épopée ce jour-là !


Le lecteur comprendra sans doute (et nous l’en remercions par avance), que notre ami ne puisse résister au besoin de se rappeler la tragédie de cette épreuve, avant de se replonger dans le ici et maintenant de cette course des Mascareignes dont le départ ne devrait plus tarder.


Lors de cette course de l’Arc en Ciel, j’avais commis une grosse erreur stratégique en refusant le coupe-vent que m’avait tendu ma femme au ravitaillement du Maïdo. En effet, j’étais encore tout chaud de ma montée de plus de vingt kilomètres et de 1900 mètres de dénivelé positif, persuadé de ne pas en avoir besoin, d’être capable de supporter le froid sans problème…


— Ils ont prévu de la pluie, je crois, me dit-elle alors.


— Cela me rafraîchira ! lui répondis-je en riant. Tu ne te rends pas compte, je brûle…


Moins d’une demi-heure après être reparti, je regrettais déjà ces paroles. En effet, le froid devint vite saisissant tout en montant au sommet suivant, celui du Grand Bénare, à 2970 mètres d’altitude (le troisième plus haut sommet de La Réunion). Je ne le savais pas encore à l’époque mais le nom même du pic que je cherchais à atteindre ce jour-là, viendrait du malgache « Benara », signifiant « où il fait très froid ».


Le chemin, particulièrement difficile, serpentait à flanc de falaise, sur des rochers de montagne, formant des marches dépareillées. Il fallait faire attention à bien suivre les marques au sol pour ne pas se diriger vers une des nombreuses failles géologiques qui entaillent profondément, un peu partout, cette ancienne région volcanique. Levant les yeux, je vis alors une longue file de coureurs zigzaguer le long de la crête jusqu’à un sommet perdu dans l’horizon et le brouillard. La vision de cette interminable procession, de cette chaîne ininterrompue d’hommes et de femmes marchant les uns derrière les autres, tête baissée, aveuglément, vers un sommet mystérieusement recouvert de brume, la vision donc de cette scène, digne des Dix Commandements, écailla ma motivation personnelle tout en me plongeant dans une implication plus universelle : j’étais perdu au milieu des autres, peinant à leurs côtés, unis dans une même souffrance. Je compris, ce jour-là, la transcendance qui peut se produire pendant ce genre d’épreuve : l’individu se fond doucement dans le collectif, au fil de l’épreuve, dans une sorte d’empathie globalisante. Quelque part, c’était réconfortant.


Mais cela n’allait pas durer…


J’atteignis enfin le sommet après deux heures et quarante-cinq minutes d’efforts importants, augmentés par l’altitude. Là-haut, un brouillard glacial s’était levé et il faisait vraiment très froid : l’eau gelait dans les bouteilles du stand de ravitaillement. En t-shirt au milieu d’autres coureurs gantés de polyester, avec manchons en élasthanne, bonnet en polyamide, k-way de compétition et autres vestes techniques hors de prix, je faisais vraiment figure de touriste…


La redescente, via un chemin tout aussi tortueux, était tout aussi interminable, laborieuse et pénible. Et voilà, qu’en plus, il se mit à pleuvoir. Je me maudis alors de ne pas avoir pris ce coupe-vent. Mes avant-bras étaient à présent rougis par le fouettement des gouttes de pluie, mes mains me brûlaient de froid et je les frappais l’une contre l’autre ou je soufflais dessus pour les réchauffer, sans grand succès. De l’eau me dégoulinait de partout. Ma casquette était complètement imbibée. Tout mon corps ruisselait d’eau froide. Mes chaussures n’étaient plus que deux éponges glacées… Le chemin restant jusqu’au prochain ravitaillement n’était pas très pentu mais très rocailleux et glissant. Il fallait donc conserver sa concentration en éveil et réunir ses forces. Mais, j’étais trempé, frigorifié, fatigué physiquement et mentalement. Mon corps avait certainement dû dépenser toute son énergie pour compenser la perte de chaleur, d’une manière ou d’une autre.


Après le ravitaillement tant attendu, chaleureusement tenu par une poignée de bénévoles réconfortant les pauvres trainards, je grignotai un petit sandwich tout en marchant dans la grisaille, m’apprêtant à emprunter un sentier délicat. Malheureusement, la pluie finit par tremper également ce bout de pain devenu caoutchouteux. Je le rangeai alors dans mon sac, au bord de la déprime. Je calculai ensuite rapidement la distance restante jusqu’au prochain ravitaillement dit de « La Fenêtre » et le temps correspondant pour l’atteindre. Je fis également remonter à ma mémoire l’horaire-limite fixé à 16H00 pour ce pointage.


Avec le retard que j’accusais, avec cette météo, et avec mon état de fatigue… non, je n’y arriverai pas.


Non, ce n’était pas possible…


C’était déjà trop tard.


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