Fyctia

[Tryna Make Sense of It - Lone Wild]

Deux semaines se sont écoulées depuis mon intégration au Twin Lakes Hospital. Je ne sens pas les heures défiler si bien que ma lessive s’accumule dans l’appartement. Les jours devenant de plus en plus frais, il est urgent que je trouve une zone commerciale pour me fournir en vêtements plus adaptés.

Et acheter un vélo, parce qu’il est hors de question que le Dr Walter me raccompagne chaque soir chez moi.

Depuis qu’il sait que je suis piétonne, il s’obstine à me déposer devant l’immeuble. Je dois dire que la chaleur de sa voiture est toujours plus alléchante que quinze minutes de marche dans un froid glacial.

Spencer, Eugénie et Alfie ont découvert au deuxième jour qu’il me raccompagnait. Quand les questions ont fusé autour d’une potentielle relation, j’ai éclaté de rire. Le Dr Walter me raccompagne par prévenance, pas par galanterie. Le trajet se passe dans un silence convenu et poli. Quelques banalités sur nos journées, à la limite.

De toute façon, l’hôpital est à moins de dix minutes en voiture. Nous n’avons pas le temps d’échanger beaucoup.

Installée dans la salle de repos du personnel, je déguste un moment de calme avec mon café, les yeux rivés sur Google Maps.

Bordel, la première zone commerciale est à quarante minutes de route !

Je me mords la lèvre, soucieuse. C’est à cet instant que Spencer se pose à côté de moi. Enfin, s’avachir serait un mot plus juste.

— Je suis lessivée !

Elle porte encore sa charlotte bleue et l’odeur de l’antiseptique imprègne sa peau.

— Une opération difficile ?

— Ablation d’une tumeur cérébrale. Assez stressant en effet ! Oh, tu vas faire du shopping ?

Je ramasse mes cheveux à l’arrière de mon crâne, le genre de geste que fait une personne dépassée.

— J’aimerais bien. Mais je n’ai pas de voiture et j’ai urgemment besoin de vêtements chauds et d’un vélo.

— Je peux t’emmener. Enfin, ça dépend quand.

Nous vérifions nos plannings respectifs et, naturellement, ils ne correspondent pas avec les horaires de fermeture des magasins. Le seul weekend disponible de Spencer, en commun avec moi, est dans un mois. Autant dire une éternité.

— Et Eugénie et Alfie ? demandé-je avec espoir.

— Les internes alternent les heures de gardes le weekend. Désolée ma biche, mais tu n’en trouveras aucun pour te conduire à ta virée shopping. À moins que…

Puis elle reste dans un silence pesant, me regardant avec les yeux plissés, un air sournois au visage.

— Que quoi ? m’exclamé-je. À moins que quoi ?

— Demande au Dr Walter. Vous avez le même planning et il a une voiture. En plus, il te dépose chaque soir où tu termines tard. Alors honnêtement… je pense qu’il comprendra ta demande.

Ma bouche s’ouvre avant de se fermer. Le raisonnement est cohérent. Mais… je ne suis pas certaine d’avoir envie de passer toute une après-midi avec le Dr Walter.

Je le vois déjà bien assez à l’hôpital.

Toutefois… si je ne me trouve pas une parka et des bottes fourrées très bientôt, mon corps va finir congelé.

— J’imagine qu’Amazon ne livre pas ici ? demandé-je dans un infime espoir.

Je récolte le rire ironique de Spencer en réponse.

— Aucune chance ! Le maire refuse toujours l’implantation pour protéger nos commerçants. Tu préfères vraiment faire fonctionner une multinationale plutôt que le commerce de proximité, tout ça pour éviter le Dr Walter ?

Je me rembrunis. Oui. C’est un peu puéril. Mais ça m’aurait bien arrangé.

— Laisse tomber, je vais prendre un taxi.

Ça va me coûter un bras, mais au moins je suis libre de mes déplacements. Et surtout libre de la voiture du Dr Walter.

À l’heure du briefing, je suis assujettie aux urgences. Génial.

Les urgences, c’est un peu comme la vie. Parfois c’est trépidant, exaltant, rythmé. Parfois lent, monotone et désespérant.

Aujourd’hui, c’est plutôt désespérant.

L’horloge persiste à tourner si lentement alors que je jurerais avoir au moins fait deux heures, quand une tête bien familière émerge dans la foule.

— Mme Martinez ? m'écrié-je.