Fyctia
Chapitre 1 - ERINE
1 an plus tôt
[Stressed Out – Léon & Skott]
La vie est une belle saloperie.
Elle peut nous amener au summum du bonheur, juste assez pour commencer à goûter à cette euphorie douce et sucrée qu’est la joie pure avant de tout nous reprendre.
La vie est comme ça.
Fragile.
Imprévisible.
Elle ne tient qu’à un fil.
Je sens le vent chaud de la nuit sur mon visage.
L’alcool enivre mes sens et me procure davantage ce sentiment de plénitude. Qu’est-ce qu’on est bien là !
Les parfums fruités de l’été dans le Colorado me parviennent quand j’inspire profondément. J’entends mes amis rirent à l’avant de la voiture et je m’enfonce un peu plus dans le siège. Le paysage défile tandis que notre véhicule s’enfonce dans la nature. Les criquets chantent à notre passage, la musique douce résonne dans l’habitacle.
Un bel été. Le meilleur de ma vie.
Il fait partie de ces moments, suspendus dans le temps, où l’insouciance nous gagne. Où les soirées festives s’étirent à l’infini. Où l’on se laisse porter. Où plus rien n’a d’importance que le présent.
— T’es sûr de pouvoir conduire Tyler ? demande Alice.
— Je n’ai bu que trois bières, ça va. Puis vous êtes tous bourrés. On ne va pas prendre un hôtel alors que notre Airbnb est à peine à 2 miles* ?
Je glousse bêtement. Je ne bois jamais. Études de médecine y obligent. Nous devons sans cesse être vifs.
Prêts.
Toutefois, ce voyage était prévu depuis si longtemps. Nous fêtons le départ de Jackson, mon meilleur ami, qui a obtenu le poste qu’il convoitait tant au Canada. Et accessoirement, mon entrée en deuxième année à l’hôpital en tant qu’interne en chirurgie.
On n’a qu’une vie, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qu’une soirée de lâcher-prise dans toute une vie ? Et puis, je ne suis pas en service.
Mes amis sont là pour moi. Notre road trip ne fait que commencer. Notre vie aussi. Enfin.
Nous sommes jeunes.
Nous sommes invincibles.
Et puis…
Un choc. Ma tête qui ballotte. Je me cogne. Une fois. Deux fois. Trois fois. Mon cou craque. J’ai mal. Tout tourne. J’ai envie de vomir. Peut-être que je me suis endormie.
Ou pas.
Ouvre les yeux.
Je me force. J’ouvre. J’ai mal. Très mal.
Je crois que je détache ma ceinture. En tout cas, je suis debout sur la route. Je suis confuse. La tequila court encore dans mes veines pour me rappeler mes excès.
La voiture est sur le bas-côté, le pare-chocs complètement enfoncé imprimant la marque des barrières de survies. La fumée sort du capot et s’élève dans le ciel dégagé. Une odeur de brûlé et de fer emplit l’air, pesant contre ma langue lorsque je le respire. Le pare-brise est brisé côté passager, maculé d’un liquide rouge bien trop familier.
J’entends pleurer. Et crier.
— Erine !
Je titube. Je crois que je saigne. Mais quelque chose me serre l’estomac. Mon corps comprend avant mon cerveau.
Je pleure. Je tremble. Je suis au bord de l’évanouissement. À deux doigts de vomir. L’alcool me monte à la tête.
Je contemple le corps agonisant au sol. Jackson est étendu, les bras tordus, gonflés. Je comprends qu’il vient de passer à travers le pare-brise. Ses jambes tressautent. Il y a du sang.
Partout.
Beaucoup de sang.
La mare s’étend sous son corps, telle une flaque sombre miroitant les étoiles.
Comment peut-on en perdre autant ?
— Aide-le ! Erine !
Oui. L’aider. Je dois l’aider.
Je lutte durant quelques interminables secondes avec moi-même.
Jackson. Je dois l’aider.
Le sang continue de couler sur l’asphalte, inarrêtable. Je dois réagir. Je suis chirurgienne. J’ai déjà opéré en présence des titulaires, sous une tension très souvent palpable. Je dois le faire. Je dois le faire. Je suis chirurgienne.
Mais je n’arrive pas à me rappeler mes cours.
Je n’arrive pas à me souvenir de quoi que ce soit.
Je ne vois que la flaque grenat qui continue de s’étendre.
Vide.
Je.
Suis.
Vide.
Les larmes glissent sur mes joues. Je suis impuissante. Impossible de réfléchir. Impossible de tout. D’accorder mes pensées. On me secoue. On m’implore. On m’approche de lui.
Je suis chirurgienne.
Je glisse. Le sol est poisseux.
Je dois le faire.
Mes mains sont rouges et visqueuses. Mon jean aussi. J’ai mal au crâne.
Je suis chirurgienne…
Ça bourdonne dans mes oreilles.
… dois le faire….
Je n’arrive plus à rien quand je le vois suffoquer sur l’asphalte.
…suis…
Le bourdonnement s’amplifie, devient assourdissant.
…je dois…
Je n’entends plus rien.
Stop !
Non.
… Je me sens partir. Loin.
…
Je me détache de la réalité.
…
Je me lève. Un calme étrange m’envahit et une poigne de glace m’enserre l’estomac. Je me tourne vers la voiture.
Je dois m’asseoir.
Cette pensée est comme un fil rouge. Elle m’est vitale. Je dois m’asseoir. Je dois retourner dans la voiture. Nous devons partir. Nous devons reprendre la route. Demain, nous nous levons tôt. Il faut partir.
J’ouvre la portière de la voiture.
Je m’assois.
Le bourdonnement est de plus en plus fort dans mon crâne. Mais je continue de flotter. Je suis là et pas là.
Je suis sonnée.
J’ai trop bu.
Je ne parviens pas à réfléchir.
J’attache ma ceinture.
…
Et j’attends.
…
-----------------------------------------
* Équivalent de 3km en système métrique
51 commentaires
Vidou
-
Il y a 3 mois
Ginnie Diver
-
Il y a 4 mois
octobrebleu
-
Il y a 5 mois
BettySophie
-
Il y a 7 mois
Lys.
-
Il y a 10 mois
Marianne L. Rose
-
Il y a un an
AJ Broochmitt
-
Il y a 10 mois
Mayana Mayana
-
Il y a un an
AJ Broochmitt
-
Il y a 10 mois
Aaron. J. Govan
-
Il y a un an