Fyctia
Chapitre 6
Flavie
Je déverrouille ma porte, pensive, puisque pour la première fois je ne sais pas exactement comment débuter ma critique. D’habitude, sur le chemin du retour j’ai le temps d’y réfléchir, construire des paragraphes dans ma tête, mais là, rien du tout, le néant.
Je me laisse tomber sur le canapé avec mon ordinateur ainsi que quelques feuilles vierges et j’essaie de lister les points positifs et négatifs du film, mais rien ne me vient. Mon crayon reste suspendu au-dessus du papier alors que je revois en boucle la conversation que j’ai eue avec Monsieur Alory et ne cesse de m’interroger. Et si je lui donnais un petit coup de pouce ?
Après tout il était tellement investi au sujet de son film et ça doit probablement lui tenir énormément à cœur, ça se voit qu’il est réellement passionné, et qu’il défend profondément les valeurs et messages qu’il veut transmettre. Donc peut-être que pour une fois je pourrais essayer de rester neutre ?
Je me prends la tête dans les mains, c’est insensé de réfléchir autant pour une simple critique alors que c’est littéralement mon métier. Je ne peux pas mentir à mon audience, c’est une certitude. Mais si j’adoucis quelques points négatifs du film… peut-être que ça pourrait laisser le champ libre à sa propre campagne publicitaire pour s’exprimer, au même titre qu’il s’est exprimé avec moi. Et ainsi, tous verront les véritables engagements de ce film au-delà de ses défauts et à quel point il compte réellement.
Génial Flavie, maintenant tu es encore plus perdue.
Pourquoi c’est si compliqué cette fois ? D’habitude, les tournures de phrases me viennent naturellement, comme une évidence. Là, j’ai l’impression d’être face à une vitre embuée, incapable de discerner clairement ce que je veux dire. Alors qu’il y a tant de choses que je voudrais dire…
Et puis, il y a sa voix qui résonne encore dans ma tête. Son regard passionné quand il parlait de son film. Ce fichu sourire énigmatique, comme s’il savait déjà que j’allais hésiter, que je serais incapable de descendre son travail comme n’importe quel autre. Cette pensée me crispe, je refuse d’être influencée et pourtant…
Je soupire en frottant mes tempes. C’est ridicule, Flavie. Ce n’est pas un ami, ce n’est pas ton combat, et ce n’est certainement pas ton rôle de protéger son film.
Mais si je souligne toutes ses faiblesses, est-ce que je ne risque pas d’étouffer tout le reste ? Ce film n’est pas parfait, mais il a du sens. Il a une voix, une âme, une intention. C’est déjà plus que la majorité des productions que je démonte habituellement sans remords.
Je tapote le bout de mon crayon sur la table. Peut-être que ce n’est pas une question d’honnêteté, mais de perspective. Peut-être que ce que je perçois comme des défauts, d’autres le verront comme une force. Oui, voilà, c’est ça.
Enfin, je commence à écrire. Les mots s’étalent sur le papier mais à chaque phrase qui apparaît sur la feuille, j’ai l’impression d’être en train de jongler avec des couteaux. Trouver l’équilibre entre sincérité et indulgence. Mettre en lumière ce qui fonctionne sans trop insister sur ce qui cloche.
Juste une fois, Flavie. Rien qu’une fois.
Je barre quelques lignes. Puis d’autres. Jusqu’à ce que la critique ressemble plus à un plaidoyer qu’à une analyse impartiale. Je me recule dans mon canapé, l’estomac serré.
Ça va, ce n’est pas un mensonge… juste une nuance.
Alors pourquoi j’ai cette foutue boule dans la gorge ?
4 commentaires
loup pourpre
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Il y a 19 jours
Emma Sofia
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Il y a 3 mois