Fyctia
Chapitre 14 (1/4)
- Prête ? me demande Leslie, alors qu'elle actionne son clignotant pour se garer en double file, devant le Murray's.
- Si on veux, murmuré-je en m'essuyant nerveusement les mains sur ma robe, plus courte qu'il n'y semblait.
- Ça va aller, ne t'en fais pas, me rassure-t-elle. Regarde, il est déjà là. Il est encore plus en avance que nous, c'est plutôt bon signe, non ?
- Oui, tu as sûrement raison, dis-je en sortant de la voiture.
Mais une fois debout sur le trottoir, le froid de la nuit qui commence à tomber m'enveloppe, en même temps que l'angoisse qui me rattrape. Prise de panique, je me penche vers Leslie, la main sur la portière encore entrouverte pour lui demander:
- Attend ! Et si je foutais tout en l'air ? Genre, en lui renversant du vin sur la chemise, ou en m'étouffant avec une crevette ? Et si je commande un plat à base d'ail et qu'il comptait m'embrasser ? Et si... Et si... je disais une connerie ? je débite à toute vitesse.
- Relax, ma belle. Il te mange dans la main, ton petit Lewis. Mais dans le doute, évite l'ail, les crevettes et commande du vin blanc. Ok ? Et si t'as peur de dire une connerie, contente-toi de sourire. Tu es tellement canon qu'il te laissera tout passer, plaisante-t-elle.
Elle a raison, il faut que je me détende. Ce n'est qu'un dîner, je ne vais pas me marier avec lui. Si jamais le courant ne passe pas, on repartira, chacun de notre côté, et on passera à autre chose. J'adresse un hochement de tête silencieux à mon amie, auquel elle répond par un sourire. Puis elle me fait un clin d'oeil, m'envoie un baiser et démarre en trombe sous les klaxons des conducteurs coincés derrière elle - qui, lassés d'attendre, essayaient de se faufiler entre sa voiture et le muret de l'autre côté de la route - non sans leur tendre son majeur au passage. La scène me fait rire, mais la vision de ses feux arrières qui s'éloignent est comme le rappel que mon angoisse attendait pour se réactiver aussitôt. J'aurais aimé qu'elle reste avec moi, ce soir, dans l'ombre, pour me souffler ce que je dois dire. Un peu comme mon Cyrano personnel, quoi.
Quand je vois à quel point elle s'est impliquée dans mes préparatifs, je suis sûre qu'elle aurait accepté sans hésiter. Parce que, si cette soirée a lieu, c'est grâce à elle. Elle a tout géré, de A à Z. Que ce soit ma tenue, mon maquillage ou ma coiffure, c'est elle a tout choisit. Et je crois que si je l'avais laissé faire, elle aurait même sélectionné mes sous-vêtements. Elle était si excitée, tout à l'heure, quand nous étions chez moi, qu'on aurait pu croire que c'était elle qui avait rendez-vous.
C'est bien à ça qu'on reconnait les véritables amis, non ? Ils se réjouissent de vos succès et souffrent de vos échecs. Et bien, même si pour le moment le statut de cette soirée reste à déterminer, Leslie, elle, semble certaine qu'il s'agira d'une réussite. Elle m'a pratiquement traînée de force, alors que je voulais reporter, le temps de mettre les choses au clair avec Aaron.
Mais elle a réussit à me convaincre qu'il serait préférable de voir tout de suite si mon histoire avec Lewis a une chance, pour avoir toutes les cartes en main quand je ferai le point avec mon ex. Ça m'a paru logique. Alors je suis venue.
Reste à savoir si l'avenir lui donnera raison. Parce que, pour le moment, c'est certain, le courant passe parfaitement entre Lewis et moi, via les textos que nous échangeons. Mais j'attend de ce dîner qu'il me confirme si l'attirance est la même lorsque nous nous retrouvons en tête à tête. Et pour en être sûre, il vaut mieux que je sois seule. Donc, pas de Cyrano caché dans les buissons pour moi.
- Saddie ?
Je prend une profonde inspiration et me tourne pour faire face à celui qui se tient dans mon dos.
- Salut, chuchoté-je presque, en remettant nerveusement en place le bas de ma robe.
En me voyant, il fait un pas en arrière, comme surpris. Inquiète par cette réaction inattendue, je baisse les yeux sur ma tenue, pour voir si quelque chose cloche, mais ne voyant rien, je relève la tête. Et quand nos regards se croisent, je me sens aussitôt allégée d'un poids. Il me regarde comme si j'étais la huitième merveille du monde, et, la main perdue dans ses cheveux pour une fois disciplinés, il laisse échapper un petit rire nerveux quand il me dit:
- Tu es vraiment très belle.
- Merci, toi aussi. Enfin, c'est pas ce que je veux dire. Tu... tu es très beau, bafouillé-je.
Il me sourit timidement avant de glisser ses mains dans les poches de son jean, en baissant la tête, comme s'il était gêné par ce compliment. Ou qu'il n'était pas tout à fait convaincu. Pourtant je pense ce que je viens de dire. A 100%. Lewis a beaucoup de charme, c'est un fait, mais ce soir, je le trouve particulièrement séduisant. Je ne sais pas si ça tient au fait que je le connais davantage, ou que la rue, plongée dans une obscurité partielle, donne un cachet plus romantique à notre rencontre. Peut-être aussi que c'est lié à cette chemise noire, qui met en valeur son torse athlétique et ses épaules sculptées. Je n'en sais rien, mais une chose est sûre, je suis finalement ravie d'avoir sauté le pas et accepté son invitation.
- On va voir si notre table est prête ? demande-t-il, en m'indiquant le restaurant, à quelques mètres de nous.
J'acquiesce d'un mouvement de tête et commence à me diriger vers l'établissement, autant que faire se peut - vue la stabilité de mes talons sur le sol pavé - en resserrant les pans de mon gilet sur moi. Dès qu'il me voit, Lewis porte les mains à sa veste, prêt à la retirer:
- Tu as froid ? Tu veux ma veste ?
- C'est gentil, mais on a que quelques mètres à marcher, je peux attendre.
Il relâche le tissu de son blazer marine, l'air penaud.
- En revanche, je veux bien que tu me tendes ton bras. Pour l'équilibre, ajouté-je en chuchotant.
- Oh mais bien sûr, où avais-je la tête ? Milady, dit-il, en me faisant une révérence, le coude replié pour que je puisse m'y agripper.
Je hoche la tête en riant doucement, avant d'accepter le soutien qui m'est offert avec tant de cérémonie. En le voyant, si timide et réservé à l'usine, je ne l'imaginais pas se donner en spectacle comme il vient de le faire. Dans une rue fréquentée qui plus est. Mais j'imagines qu'il se force à sortir de sa zone de confort pour notre rendez-vous. C'est d'autant plus charmant.
Et arrivés devant la petite porte en bois usé du restaurant, Lewis me fait signe d'attendre et dans un nouvel élan de galanterie, il se penche pour m'ouvrir. Cette fois, c'est à moi de lui offrir une révérence, mais lorsque je baisse la tête, je suis frappée par une impression que j'avais déjà eu, un peu plus tôt.
La sensation qu''une effluve étrange émane de sa veste.
Ni vraiment mauvaise ou dérangeante.
Mais c'est entêtant et fort.
Et je sais que ça n'a rien à voir avec son parfum, puisqu'il porte le même que Shane.
0 commentaire