Fyctia
Chapitre 13 : Bree
Il y a des matins plus faciles que d’autres, où une simple pensée positive peut vous donner l’élan suffisant pour faire de cette journée une réussite. Où les ombres semblent se tenir loin. En ouvrant les yeux, j’ai constaté que j’ai dormi une demi-heure de plus que les nuits précédentes, ça paraît peut-être dérisoire, mais pour moi ça veut dire beaucoup. Donc, j’ai laissé mon lit derrière moi avec un sourire ancré sur mon visage, et celui-ci ne m’a pas quitté durant mon footing ni ma routine matinale.
Je m’engage dans la bouche de métro, confiante. Je ne suis pas dupe au point de penser que j’effectuerai tout le trajet en transport en commun, cependant j’ai bien l’intention de battre mon record. Alors, quand la rame s’arrête devant moi, je m’accroche aux ondes positives qui m’entourent et monte à l’intérieur.
Les premiers signes d’angoisse ne tardent pas à faire leur apparition. J’ai chaud, ma vue se brouille, mais je tiens bon. Aujourd’hui, je me sens insubmersible. Les portes s’ouvrent sur le quai de l’arrêt suivant, la tentation de m’échapper est forte, j’hésite… je lance un regard à la station qui semble n’attendre que moi, sauf que la sonnerie retentit et, cette fois, je suis encore dans le wagon. Un mélange de fierté et de panique s’empare de moi tandis que le métro redémarre. Ma gorge se serre et mes mains deviennent moites. Les minutes qui me séparent du prochain arrêt me paraissent interminables, et lorsque je peux enfin descendre, je me jette hors du train comme une fugitive et regagne la surface.
L’air qui pénètre dans mes poumons lorsque j’ai rejoint la rue me fait un bien fou, et soudain, mon sourire réapparaît. Je l’ai fait ! Un petit pas pour l’homme mais un grand pas pour Bree O’Neil. Ma joie est telle que je ne peux m’empêcher de tirer mon portable de ma poche et d'ouvrir mon compte Instagram. Je me prends en photo pointant du doigt le nom de la station à laquelle je me trouve, avant de la poster en story avec une légende.
“Il n’y a pas de petites victoires, juste vos plus belles réussites.”
Je range mon téléphone et hèle un taxi pour finir mon trajet. Pas de boulot au programme, je rejoins ma sœur pour le petit-déjeuner dans un café de Brooklyn afin de préparer la fête d’anniversaire de Courtney. Lucy ne voulait pas que je m’implique, elle a même tenté de garder le secret, sauf que mon aînée est une piètre menteuse. Il a suffi que je l’interroge sur les six ans de ma nièce avec un peu d’insistance pour qu’elle crache le morceau.
Lorsque j’arrive sur notre lieu de rendez-vous, Lucy est déjà installée en train de siroter son cappuccino. Comme toujours sa tenue est impeccable bien qu’un peu trop stricte à mon goût. Elle travaille dans un cabinet comptable et, malgré le fait que son patron n’impose aucun code vestimentaire, ma sœur a de hautes exigences envers elle-même. À côté, mon jeans et mon pull en laine à grandes mailles créent un sacré contraste, mais ça nous définit plutôt bien.
— Désolée pour le retard, dis-je en l’embrassant avant de prendre place.
— Un problème de métro ?
— En quelque sorte, rétorqué-je sans dissimuler ma joie.
Elle ne me demande pas de quoi il s’agit, de mon côté, je ne m’étends pas sur le sujet, respectant ainsi notre accord tacite.
— Alors, tu as déjà défini un thème ? lancé-je tout en attrapant le menu.
Lucy ne répond pas tout de suite. Je lève les yeux et vois les siens baissés vers la tasse qu’elle tient entre ses mains.
— Que se passe-t-il ? l’interrogé-je, soudain sur la défensive.
Elle se dandine sur sa chaise, mal à l’aise. Le temps s’étire et je commence à angoisser, son silence ne présage rien de bon. Va-t-elle revenir à son idée première et m’écarter de l’organisation ? Ou alors peut-être qu’elle a invité du beau monde et ne souhaite pas présenter “sa cadette, couverte de cicatrices, qui s’exhibe sur internet” ? (Celle-là j’ai du mal à l'accepter.) Lucy ne comprend pas que j’ai fait du drame qui a changé ma vie, ma carrière. Mon blog et l’émission de radio passent encore, mais depuis que j’ose alimenter mon compte Instagram de photos de moi, je suis devenue une hystérique aux yeux de ma famille. Pourtant, ça fait partie de ma thérapie, mon corps que je ne parviens pas à regarder en privé, le sublimer par un cliché authentique me permet d’avancer un peu plus vers l’acceptation. Alors, ma sœur, pour qui l’apparence nous définit, déteste voir mes blessures capturées par un appareil, mais elle supporte encore moins que d’autres puissent les regarder. J’inspire profondément. Je passe une bonne journée et je ne souhaite pas la gâcher avec d’obscurs souvenirs.
— Je… voilà… Courtney voudrait un thème sur les pompiers.
Quoi ?
Mes épaules sont secouées par mes rires que je ne parviens pas à réprimer.
— C’est tout ? dis-je après avoir retrouvé mon calme.
— Tu ne trouves pas ça… déplacé ?
Je lève les yeux au ciel face aux simagrées de ma sœur.
— Non, c’est le choix d’une enfant de bientôt six ans.
— Mais après ce qu’il s’est passé il y a deux ans… ça me donne l’impression de mettre en scène ce terrible jour.
J’enveloppe ses mains des miennes et lui offre un sourire rassurant. Je comprends ce qu’elle ressent, et ce n’est pas uniquement pour me protéger qu’elle est mal à l’aise avec cette idée, ce souvenir est aussi douloureux pour elle.
— Lucy, on n’est pas obligé de recouvrir la maison de peinture rouge et orange, ni même allumer un feu dans la cheminée. Courtney veut peut-être simplement passer à autre chose à sa manière. Les pompiers ne sont pas seulement là pour éteindre les incendies, et ça, c’est à nous de le lui prouver.
Elle acquiesce avant de se redresser et de lisser la jupe de son tailleur qui ne présente pas le moindre pli.
— Dans ce cas, je propose qu’on s’y mette, car on a du pain sur la planche.
J’opine et tire de mon sac un bloc-notes et un stylo sous le regard amusé de ma sœur qui sort sa tablette.
— Quoi ? Je suis plutôt vieille école. Tout ce qui est important mérite d’être inscrit sur du papier, argumenté-je.
— Soit. J’ai déjà établi la liste des invités. Ce sont tous les enfants de sa classe et quelques parents avec qui j’ai pu discuter, car nous serons en infériorité numérique ; il nous faut quelques renforts.
Super maman est entrée en action, si bien que je n’ai qu’à apporter le côté créatif, tandis que Lucy gère toute la logistique. Une fois encore, nos différences se complètent. Nous passons l’heure suivante à élaborer l’anniversaire parfait pour Courtney. Quand on a fini, je suis si impatiente que le mois à venir me semble bien trop long.
Lucy consulte sa montre avant de ranger ses affaires en vitesse et boire la fin de sa seconde tasse, ou la troisième, je ne sais plus.
— Je file si je ne veux pas arriver en retard. En fait, maman nous a invitées à dîner ce week-end, elle a quelque chose à nous dire. On se voit samedi.
Puis elle m’embrasse sur la joue avant de partir en trottinant sur ses talons hauts.
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Salma Rose
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Emma Berthet
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DIANA BOHRHAUER
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Lily_D
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Emma Berthet
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Il y a 3 mois