Fyctia
Chapitre 11 : Bree
Lorsque je pousse la porte de la bibliothèque, je suis armée pour ce qui va suivre, j’ai apporté moi-même les pâtisseries pour cette session. Bien qu’un certain pompier ait maugréé contre ce stéréotype, les douceurs sont de vrais atouts pour délier les langues.
Carolyne m’accueille avec le même sourire que la fois précédente. Bien qu’elle semble être une gaffeuse hors pair, ce petit bout de femme est d’une bienveillance touchante. Elle a le souci de bien faire et le monde manque cruellement de gens comme elle.
— Bonjour Bree, je n’étais pas certaine de vous revoir.
— Moi non plus, avoué-je avec un rictus gêné.
— Vous avez besoin de moi pour tout installer ?
— Pas cette fois. Je vais assurer !
J’ai dit à Natacha que je souhaitais poursuivre ce que j’ai commencé par hasard, toutefois, elle veille au grain. À l’instant où c’est trop pour moi et que je ne parviens plus à gérer, on arrête tout et je serai remplacée. En d’autres termes, c’est un filet de sécurité. Cette idée me rassure et me pousse à rejoindre le fond de la pièce et d'arranger les fauteuils comme la séance précédente. Je décide d’ajouter ma touche perso en créant plusieurs tables individuelles entre les sièges en plus de celle se situant au centre, soit avec des livres, soit en utilisant le mobilier à disposition. Puis j’abaisse les stores aux fenêtres pour diminuer l'affluence de lumière. L’ambiance est plus intimiste, sans doute cela donnera la possibilité à chacun de se livrer plus facilement. Tamiser cet espace permet également de se soustraire aux regards des autres.
La clochette de l’entrée retentit et, comme lors de notre session de début de semaine, Wyatt, le doyen des membres, est le premier à me rejoindre.
— Bonjour mademoiselle Bree, que nous avez-vous concocté aujourd’hui ? m’interroge-t-il en observant l’agencement. Une nouvelle version de l’émission d'Oprah ? Je dois vous avouer que ça me plaît bien.
Je ne suis pas certaine qu’être comparé à un talk-show télévisé soit un compliment, car nous sommes loin du divertissement, malgré ça, qu’il se sente à l’aise est tout ce qui m’importe.
Les autres participants arrivent peu après, sauf un qui manque à l’appel. Nous sommes installés, les regards sont braqués sur moi, attendant que je lance le tour de parole, cependant, je ne parviens pas à m’y résoudre. D’une oreille, je guette le tintement de l’entrée, avec l’espoir qu’il franchisse le seuil. S’il ne vient pas, le sentiment d’échec sera puissant. Après tout c’est pour aider ce pompier que j’ai décidé d’animer ce groupe.
Je pousse un soupir résigné. Par respect pour les personnes présentes, je ne peux pas patienter plus longtemps.
— Nous avons tous un point commun ici. Une histoire terrible...
La clochette de l’entrée retentit et quelqu’un s’approche d’un pas traînant. Il est là. Je devine que c’est lui à sa respiration incertaine. Carter nous rejoint, tête baissée, une main fourrageant dans ses cheveux en bataille, et va s’asseoir sur l’un des sièges vides. L’espace d’un instant, j’ai le souffle coupé, il est grand, beau, mais surtout torturé de l’intérieur. Je suis surprise de le voir debout alors qu’il y a quelques jours, son supérieur l’a conduit ici en chaise roulante. Il ne boite pas, j’en déduis qu’il était toujours hospitalisé. J’ai passé tellement de temps dans le bâtiment voisin pour en connaître les procédures.
— Excusez-moi, souffle-t-il. Continuez.
Son ton est éteint, aucune pique ne sort, pas même un grognement de mécontentement. Il se contente de s’enfoncer dans le dossier tout en triturant ses mains. Je m’éclaircis la voix tout en me forçant à détourner les yeux.
— Je voudrais que vous partagiez, ce qui a été le plus dur pour vous cette semaine. Pour ça, sur les petites tables, vous trouverez du papier et des crayons. Prenez votre temps, et quand vous le pourrez, mettez votre réponse dans la corbeille au centre.
Dans un premier temps, c’est l’étonnement qui se peint sur tous les visages qui m’entourent. Puis chacun, à son rythme, s’anime et récupère ses outils. Mon attention est irrémédiablement attirée vers Carter. Il est livide et son regard est dans le vide. Mue par le besoin de lui venir en aide, je quitte mon siège pour le rejoindre. Je me positionne près de lui et m’accroupis afin d’établir un contact. Il sursaute légèrement et se reconnecte à la réalité. Son œil d’un bleu perçant est braqué sur moi, me laissant découvrir toute la détresse de l’homme qui se tient face à moi. Je souris pour le rassurer, malheureusement, ça n’a pas l’effet escompté.
— Qu’est-ce que vous faites ? lance-t-il d’un ton sec.
— Je me suis dit que vous aviez sans doute besoin d’aide ou de soutien, du moins.
— Je suis défiguré, beugle-t-il, bouillonnant de colère. Pour autant, ça ne fait pas de moi un assisté ou un enfant, merde !
— Dans ce cas, rien ne vous empêche de rester poli, contré-je sans me démonter face à son emportement.
Il me foudroie du regard tandis que je me redresse. Son comportement ne m’atteint pas, je devine ses tourments intérieurs sans mal, simplement parce que j’ai été à sa place il n’y a pas si longtemps. Certes je n’ai jamais crié sur ma psy ou mon médecin, cependant j’ai ressenti cette rage et cette douleur. Pour certains, il est bon de la laisser sortir, pour d'autres, il est nécessaire de la canaliser. Concernant Carter, je n’ai pas encore cerné toute sa personnalité ni l’impact entier de ce qui le mène ici, mais je ne compte pas lâcher l’affaire.
— Pourquoi êtes-vous venu aujourd'hui ? le questionné-je de but en blanc.
— Pour remplir ma part d’un contrat.
Son ton est las, mais son visage demeure neutre. Pour couper court à toute discussion, il récupère une feuille et un stylo pour commencer l’exercice. C’est à cet instant que je prends conscience de l’attention que le reste du groupe nous porte. Immobiles, tous semblent suspendus à nos lèvres, cherchant à savoir qui aura le dernier mot.
Je regagne ma place alors que la corbeille se remplit, même le pompier réfractaire se plie au jeu. Quand tout le monde y a laissé son message, je la récupère afin de découvrir leurs réponses à ma question. A chaque papier que je déplie, je le lis à voix haute et le pose en évidence sur la table.
— Récupérer ma fille à l’école, aller à un énième rendez-vous médical, me lever le matin…
Puis l’un d’entre eux me surprend davantage, car il est à contre sens des autres.
— Rentrer chez moi.
Je suis presque certaine qu’il s’agit de Carter, et il m’est difficile de ne pas le regarder. Le principe de cet exercice est de préserver l’anonymat, donc je continue avec la feuille suivante, ce qui ne m’empêche pas de me triturer les méninges. Pourquoi, alors que tout le monde recherche la protection de son foyer, Carter, lui l’appréhende ? Se pourrait-il que, comme moi, sa maison soit partie en fumée ? Dans ces cas-là, il ne pourrait pas “rentrer chez lui”. Ma curiosité est piquée au vif, cependant, je lui dois de la réfréner.
Si je veux qu’il s’ouvre, ce n’est pas à moi de le mettre à nu.
5 commentaires
Lily_D
-
Il y a 3 mois
Sabrina PAUGAM
-
Il y a 3 mois
Emma Berthet
-
Il y a 3 mois
Sabrina PAUGAM
-
Il y a 3 mois