Fyctia
Chapitre 6 (1)
Pulsions meurtrières : Thème de Carrie, Pino Donaggio
J’ai toujours détesté Woody Woodpecker... la vitesse vertigineuse de son bec qui s’abat sur le tronc d’arbre, son rire strident et répété, à la limite du diabolique qui te dit « tu l’as bien cherché ! »... Je l’ai souvent côtoyé lorsque j’étais étudiante. J’abusais un peu... Okay, beaucoup... Le weekend. A l’époque, j’avais l’impression que pour faire partie du groupe, il me suffisait de boire et de fumer. Avec le temps, j’ai compris que je n’avais pas besoin de ça et j’ai remplacé l’alcool par les Petits Prince.
Aujourd’hui et après de longues années d’absence, Woody vient de refaire surface et a pris ma tête pour cible. Et croyez-moi, il s’en donne à cœur joie pour me faire regretter mon dernier verre. Il n’est pas le seul d’ailleurs... Mon corps tout entier m’en veut. Je ne peux plus ouvrir les yeux, je ne peux plus ouvrir la bouche, je ne peux plus bouger ! Ma gueule de bois a atteint un record historique.
Je pense... Non, je sais que je vais rester au lit toute la journée. Privilège des gens en vacances. Je me prends à rêver d’une plage au sable fin, au soleil qui brunit tendrement ma peau... quand mon fixe se met à sonner !
Pitié ! Pitié !! La sonnerie m’éclate les tympans. Voyant que me cacher la tête sous mon oreiller n’atténue en rien le bruit infernal de la sonnerie, je le projette en travers de la pièce. Inutile. J’essaie de me lever pour aller décrocher le combiné, mais ma gueule de bois rend la chose impossible. Lorsque le répondeur se met en marche et que j’entends la voix de ma mère résonner dans mon appartement, j’en reviendrais presque à remercier Monsieur Smirnoff pour son effet dévastateur. Je ne désire pas parler à ma mère. Surtout pas avec 10 verres d’alcool dans le sang.
Ne vous méprenez pas. J’aime ma mère, je ne l’échangerais pour rien au monde mais pour lui parler, il faut se préparer psychologiquement. Les conversations normales du genre « hey ça va ? Oui et toi, quoi de neuf ? Pas grand-chose, mais j’y travaille. Super. Merci », elle ne connait pas. Avec elle, j’ai toujours droit à des «Quand est-ce que tu te maries?», «Pourquoi tu me fais ça à moi??» ou bien « Qu’est-ce que tu as fait encore ? ».
Son grand truc ? La culpabilisation.
Ma mère a passé ma vie à façonner ma culpabilité si bien qu’il m’est quasi impossible de lui dire non. Récemment, et avec le remariage de mon père (avec un autre homme) en perspective, les choses ont empiré.
Mais je vous laisse le plaisir de découvrir le spécimen par vous-même :
« Salut c’est Mélina, si je ne vous réponds pas c’est sans doute parce que j’ai mieux à faire. Je vous rappellerai... ou pas ».
— Mélina, c’est moi ! Ta mère ! Je sais que tu es là alors s’il te plaît décroche ce téléphone. D’accord, je comprends... tu ne veux plus me parler c’est ça ! Tu as choisi ton camp ! Je suis ta mère pour l’amour de Dieu. Comme si le mariage de ton père n’était pas assez dur comme ça, il faut aussi qu’il te retourne contre moi ! Qui t’a mise au monde ? Qui a souffert pendant deux jours avant que tu daignes enfin sortir ?! Ça n’est sûrement pas ton père Mélina ! C’est moi ! Et ton prénom ? Sans moi tu te serais appelée Germaine ou Cunégonde ».
Alors ? Convaincu ? Moi, je le serais. Je le suis d’ailleurs ! Le message de ma mère vient de chambouler complètement mes plans. Fini la plage de sable fin, le cocktail avec sa petite ombrelle et les beaux mecs qui exposent leurs muscles luisant, je suis bel et bien réveillée.
Je me lève, bien décidée à joindre mon canapé pour une petite séance du Journal de Meg. Le Docteur Marc Meier est juste à tomber ! Alors que dans mon corps, mes hormones sont en train de crier « un bisou, un bisou, un bisou », Elle me dit de Mika se met à jouer. Ma mère est en train de m’appeler sur mon téléphone portable. Elle a trouvé le moyen pour que je ne l’évite pas.
— Salut maman, dis-je faussement enthousiaste.
— Salut ma chérie ! Tu as eu mon message ?
Le ton est totalement différent de celui employé dans son précédent message.
Envolée la névrosée slash dépressive qui deux secondes plus tôt me faisait un caca nerveux sur mon répondeur. J’ai le droit à une version temporisée. Et je n’aime pas ça. Je préfère de loin ma mère hystérique, là au moins je sais à quoi m’attendre.
— Non, maman, mens-je.
— Bien, ne l’écoute surtout pas !
— Okay.
Long silence.
— Alors, comment vas-tu ? dis-je, mal à l’aise.
— Ettoimapuce?
« Ma puce » ? Ooh là, je m’attends au pire.
— Je vais... bien, finis-je, après une légère hésitation.
Je vais éviter de rentrer dans les détails de ma vie amoureuse avec ma mère
pour le moment. Elle a toujours eu des plans très concrets pour ma vie : elle voulait me voir mariée avant mes 30 ans. Pour elle, ce n’est pas normal pour une femme de mon âge d’être célibataire. Alors lui raconter que je me suis fait larguer 15 jours avant la date fatidique et que j’abandonne les hommes n’est peut-être pas une bonne idée... Je ne voudrais pas qu’elle me fasse un remake de Carrie.
— Bien. Bien. J’ai une petite faveur à te demander. Mais si tu ne veux pas ça n’est pas un problème.
Le voilà sûrement, le pire auquel je m’attendais.
— Dis-moi.
— Tu vois, j’ai cette amie. Sa petite-fille a grandi en Inde et revient en France
pour ses études. La pauvre ne connait personne à Paris. Toute sa famille
reste en Inde... Donc, je me disais que toi, tu pourrais l’aider. Qu’entend-elle par « aide » ?
— « Aider », Maman ?
— Héberger.
— Tu sais maman, je suis vraiment très occupée en ce moment et ...
— S’il te plaît Mélina, c’est vraiment l’une de mes meilleures amies, insiste-t-
elle. Tu sais que je ne vois que mes amies depuis que tu es partie. En plus,
elle trouve que c’est une excellente idée...
— Quoi ? As-tu déjà accepté maman ?! demandé-je, sentant la moutarde me
monter au nez.
— Euh... hésite-t-elle.
— Tu n’as pas fait ça ! Est-ce que tu as complètement perdu l’esprit ?! J’oublie le tact. Je suis furax !! Comment a-t-elle osé brader mon appartement
et mon temps au profit d’une parfaite inconnue ?
— Je pensais que tu n’y verrais pas d’inconvénient ma puce ! C’est juste pour
quelques semaines !
— Quelques semaines ! hurlé-je.
— Tu ne remarqueras même pas sa présence. Je te le jure.
Je me pince l’arête du nez, tentant de me calmer. Ma mère ne dit rien pendant ce temps.
— Et elle arriverait quand ?
6 commentaires
Shaddie.M Lynss
-
Il y a 2 ans
Lucie C. Jeanne
-
Il y a 2 ans
Laureline Maumelat
-
Il y a 2 ans
Sarah Portmann
-
Il y a 2 ans
Lucie C. Jeanne
-
Il y a 2 ans