Fyctia
Soirée Tolkien
Sel a décidé sur un coup de tête de dormir chez moi. Elle disait que c’était pour me tenir compagnie, mais je me suis bien doutée qu’elle avait peur que je fasse un truc idiot. Je ne vais pas cacher que ça m’a un peu agacée, avant que je ne me dise qu’elle le faisait pour le petite créature ingrate que j’étais et que je devrais être heureuse qu’elle soit si présente pour moi.
On était en train de manger des marshmallows devant Le Seigneur des Anneaux, emmitouflées dans une couverture aux charmants motifs d’un certain personnage de manga en train d’étirer ses bras pour balancer un coup de poing élastique dans une quelconque autre personne, quand quelqu’un a ouvert la porte d’entrée en ronchonnant.
J’ai tourné la tête pour voir Apolline, dame d’une quarantaine d’années un peu rondouillette, et accessoirement ma mère. Adoptive. Mais je m’en fichais, c’était ma mère avant tout. Je n’avais jamais connue l’autre, je ne vois pas pourquoi je devrais dire qu’Apolline est ma « deuxième » mère. Elle a été la première et la dernière pour moi. La seule.
Aussitôt qu’elle a posé les yeux sur Séléna et moi, son regard s’est adouci.
« Oh ! Ma petite Séléna, tu es là ! Tu passes dormir à la maison ? A-t-elle dit d’un ton joyeux, avant de réfléchir un instant et de reprendre. Oh, ce n’est pas grave, de toute façon. Même si ce n’était pas le cas, je t’aurai obligée à rester ici quand même. Tu sais qu’en ce moment, les rues de la ville, la nuit, sont de plus en plus dangereuses ? C’est calamiteux ! Les jeunes, de nos jours… Incapables de penser à leur avenir, toujours en train d’emm… bêter le monde. Tu verrais, par rapport à mon époque… »
J’ai décroché de son monologue pour refixer mon attention sur le téléviseur et voir Gimli planter sa hache dans le crâne d’un orc. J’adorais Apolline, mais elle avait pour habitude de divaguer assez souvent et rapidement. Chose qui avait d’ailleurs tendance à fasciner Séléna, qui la regardait dans ce genre de situations comme s’il s’agissait d’un animal étrange.
« Au fait, Barbara, m’a interpellée ma mère. Comment s’est passée ta journée ? »
Je me suis figée inconsciemment, avant de sortir un sec :
« Tout à fait normalement. »
Je me suis rendue compte que j’étais peut-être un peu blessante. Ça m’a fait culpabiliser. J’ai repris, d’un ton plus doux :
« Et toi ?
- Oh, ça allait. Enfin, il y avait bien cet enc... embêtant notaire qui voulait que je règle un peu plus tôt le loyer, mais sinon, tout allait bien. Des crêpes pour le dîner, ça vous va ? »
J’ai répondu un faible « oui », tout comme Sel, bien que le sien soit plus enthousiaste. Apolline a aussitôt disparu dans la cuisine.
Elle et moi n’aimions pas aborder ce sujet de discussion, mais l’argent était un problème pour nous. Ma mère n’avait pas de mari et moi pas de travail –chose logique pour une lycéenne, me direz-vous. Elle bossait dur chaque jour pour nous maintenir dans une qualité de vie plutôt confortable, se levant aux aurores pour revenir tard le soir.
J’avais plusieurs fois voulu lui dire que je pouvais faire un petit travail à côté des cours, comme serveuse ou baby-sitter, mais elle me rétorquait toujours que ce serait sacrifier des heures d’études qui me permettraient d’avoir un bon boulot. Entendez par là au moins chef d’entreprise. Sauf que je n’avais aucune idée de quoi faire plus tard.
Certes, j’avais quelques dons en dessin et des résultats frôlant l’excellence -en restant tout de même humaine-, mais Apolline me tuerait si je lui disais vouloir devenir peintre… -ce qui n'était pas le cas- et je n’avais aucune idée de quel genre de métier dix fois mieux payé pourrait me convenir. Je n’avais pas envie de mettre mon intelligence au profit de la science, d’être avec des chiffres autour de moi toute ma vie ou de développer un quelconque produit pour le vendre en masse.
Je me suis tirée de mes réflexions en secouant la tête. Foutu futur ! Y penser allait encore me déprimer !... En parlant de déprime… Lucas... Argh ! Non ! Il ne fallait pas qu’il entre dans ma tête !
J’ai piqué rageusement une poignée de marshmallows de leur sachet en plastique et je les ai tous mis dans ma bouche. Mauvaise idée, j’ai failli en recracher la moitié.
« Les filles ? À TABLE ! »
La voix d’Apolline m’a fait sursauter –ce qui m’a d’ailleurs fait gober trois marshmallows- et je me suis difficilement levée du canapé, imitée par Séléna. J’ai marché jusqu’à la table de la cuisine et me suis mise à saliver devant les crêpes salées posées sur la table.
« Miam, a dit Sel. »
J’ai acquiescé et on s’est installées.
Le repas a vite été expédié, et ce dans la bonne humeur générale. Assez pour que je pense plus à la façon de ne pas recracher mon verre d’eau en riant qu’à Lucas. Sel et moi avons ensuite regardé la fin du Retour du Roi, puis disparu dans ma chambre.
À chaque fois que Séléna dormait à la maison, elle prenait mon lit. Avec moi dedans. C’était encore le cas aujourd’hui. Je me suis retournée dans ma couette, lui faisant face. Elle m’a fait un drôle de sourire.
« Ça te dérange si je t’inscris sur une vingtaine de sites de rencontre ?
- C’est cela, oui… ai-je répondu, sarcastique. Enfin, si tu le fais, t’oublies pas de t’inscrire aussi ?
- Rho… T’es pas drôle. »
Je lui ai souri narquoisement avant de me mettre sur le dos pour observer le plafond. J’avais demandé à Apolline de dessiner quelque chose dessus moi-même. Résultat : deux immenses ailes stylisées, d’un bleu-vert ressemblant vaguement à une couleur émeraude, s’étalaient sur plus de la moitié du plafond.
J’ai entendu Sel souffler quelques mots à côté de moi.
« Tes yeux sont magnifiques…
- Pardon ?! »
Je me suis tournée vivement vers elle. Elle a eu l’air gênée un instant –elle savait que je n’étais pas très réceptive aux compliments, avant de me sourire.
« Tu ne te maquilles jamais, Barbara, mais tu es belle naturellement. Alors je te le dis : tes yeux sont magnifiques. »
Moi, je trouvais surtout qu’ils ressemblaient à des yeux d’Alien. Verts. Mais gris et dorés en même temps. Dans le même iris. C’était carrément chelou. Pour être plus précise, j’avais un fin disque gris autour de la pupille, entouré par du vert, puis du doré. D’après certains médecins, c’était une maladie. D’autres disaient que c’était juste une petite anomalie mais qu’il ne fallait pas que je m’en fasse. Le plus étrange, dans tout ça, c’est que la dose de chaque couleur avait tendance à changer selon mon humeur. Ainsi, j’avais l’iris en majorité vert quand j’étais heureuse, gris quand j’étais énervée et doré quand j’étais stressée.
J’ai souri à Sel.
« Ne me dis pas que je suis belle. Tu l’es cent fois plus que moi. »
Elle a soupiré, comme lassée, avant de fermer les yeux. Sa respiration s’est faite plus lente, jusqu’à ce qu’elle s’endorme complètement, une dizaine de minutes plus tard. J’ai trouvé le sommeil quelques heures après elle.
[Hey ! Oui, je sais, j'étais censée sortir ce chapitre demain... Mais... Mais... Mais ! Soyez contents, voilà ! :part bouder un peu plus loin:]
10 commentaires
QuillQueen
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Il y a 9 ans
Howl
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Il y a 9 ans
Maeva_A
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Il y a 9 ans
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Il y a 9 ans
Kevin Maury
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Howl
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Howl
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Faustine Teisseire M.G
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Il y a 9 ans