Elsa Carat Bluff Chemise italienne

Chemise italienne

— Bonsoir, je suis venu chercher Keyah Mongo.


Le policier le toise d'un regard noir mais l'Ombre ne se départit pas de son air décontracté.


De ma cellule, je ne vois que le dos de sa chemise italienne blanche sous laquelle je devine ses trapèzes développés. Je discerne à peine un quart de son profil mais j'imagine le sourire narquois qu'il affiche. A la limite de la provocation, il s'appuie sur le bureau du flic comme s'il était accoudé à un bar où il a ses habitudes. L'homme en uniforme lui répond d'un ton cinglant mais je le sens déstabilisé par l'attitude de l'Ombre.


— Ce n'est pas une garderie ici.


— Ça tombe bien, ce n'est pas ma fille que je viens chercher. Je suis venue pour Keyah Mongo. Un regard de braise, maline, des jambes interminables, un peu insolente et un sacré caractère, ça ne vous dit rien ?


Je me sens flattée et outrée en même temps. Il n'y a que lui pour me faire ressentir des sentiments aussi contradictoires !

Le policier, lui, reste coi face à l'aplomb de l'Ombre.

Ce dernier en profite.

Avec l'autorité naturelle qui le caractérise, il lui tend ce que je devine être une pièce d'identité :


— Martial Baume. Vous devriez vérifier mon identité et passer un coup de fil. J'attends.


L'Ombre pianote des doigts sur le bureau. Il dégage une telle assurance que le policier s'exécute. Il quitte son bureau avec la carte d'identité pour se concerter avec son collègue hors de mon champ de vision.


J'observe l'Ombre à son insu. Martial Baume... Je fais tourner ce nom dans ma tête, en détache chaque syllabe... J'essaie de faire coïncider le patronyme avec l'homme que je connais. Est-ce son vrai nom ? Ou est-il en train de baratiner le flic ? Comment savoir avec quelqu'un comme lui ?


En tout cas, le policier revient quelques minutes plus tard, accompagné de son collègue. Leur attitude n'est plus du tout la même. Ils lui lèchent les bottes, lui présentent des excuses, affichent de grands sourires hypocrites, lui proposent un café et même une chaise confortable le temps de remplir un ou deux feuillets.


" Ne vous en faîtes pas, ce ne sera pas long".


Je suis subjuguée par ce spectacle. Par quel miracle a-t-il réussi à les embobiner aussi facilement ? Quand je pense qu'ils sont en train de faire des courbettes à l'un des types les plus recherchés du continent !


Si je n'étais pas en train de pourrir dans cette cellule - et mon père je-ne-sais-où dans un autre endroit glauque -, ce serait sûrement l'un des moments les plus divertissants de ma vie.


Quelques gribouillis plus tard, on me sort de ma cellule en me donnant du "Madame". Les flics nous raccompagnent à la porte en nous souhaitant bonne nuit.


C'est n'importe quoi !


J'attends qu'on se soit suffisamment éloignés sur le trottoir pour demander des explications :


— Comment t'as fait pour me faire sortir aussi facilement ? D'abord, comment t'as su que j'étais là ? Il faudrait arrêter de me suivre maintenant ! Et c'est ton vrai nom, au moins, Martial Baume ?


Avec un large sourire qui tranche avec ma sévérité, il lève ses deux mains, paumes dirigées vers moi.


— Doucement. Une question à la fois. Et ce serait plutôt à moi de te demander ce que tu faisais là, tu ne crois pas ? Mais je t'en prie, ce n'est rien, pas la peine de me remercier de t'avoir sortie de prison.


Loin de me calmer, son arrogance ne fait que mettre mes nerfs, déjà bien malmenés par cette soirée, un peu plus à vifs.


— Tu voudrais que je te remercie ? Pour m'avoir abandonnée alors que mon père se faisait kidnapper ?


— Ton père ? C'était lui dans la voiture... Kidnappé, tu dis ? Pourquoi quelqu'un ferait ça ?


— Parce qu'il a des dettes de jeu !


L'Ombre fronce les sourcils.


Mais comment savoir s'il ne joue pas la comédie ?


Je redresse le menton et accroche son regard.


— J'ai reçu une demande de rançon. Ils réclament un million d'euros d'ici dix jours ! Ça t'arrange bien, non ? C'est pratique, juste au moment où tu essaies de me convaincre de faire un coup avec toi !


Brusquement, il fait un pas en avant, pose ses deux mains sur mes épaules et colle presque son front au mien. La colère est évidente dans ses yeux. Ils sont plus sombres que d'habitude.


— Je n'ai rien avoir avec ça ! Bon dieu, Keyah, tu crois vraiment que je serais capable de te faire un truc pareil !


Il semble tellement offensé à cette idée qu'un doute traverse mon esprit mais je me défends :


— Après tous les coups tordus que tu m'as fait avec la toile et ta manie de m'espionner, de me suivre partout : en boîte, au musée et même en prison, j'ai de quoi me poser des questions ! Tu as dit toi-même que tu faisais tout ce qu'il fallait pour obtenir ce que tu veux...


Ses mains descendent de mes épaules pour encadrer mes joues. Son nez frôle le mien.


— Ce que je veux, c'est toi.

Je déglutis. Dans un autre contexte, une déclaration si spontanée et sincère m'aurait bouleversée. D'ailleurs, c'est le cas. Je l'admets, ça me bouleverse mais pas plus d'une seconde. Je n'oublie pas la situation dans laquelle je me trouve et qui se tient devant moi. L'Ombre est un manipulateur hors pair.


Délicatement, je pose mes mains sur les siennes et les retire de mes joues réchauffées par son contact.


Il poursuit avec plus de douceur dans la voix.


— Je n'ai pas touché à ton père et je n'ai demandé à personne de le faire. Je travaille seul. Réfléchis, si j'avais une équipe, je n'aurais pas besoin de te recruter. Je suis un solitaire. Et tu le sais. Parce que tu es comme moi.


Ses arguments font mouche. Je me méfie de ses talents d'acteur et de mon discernement possiblement altéré par ce que je pourrais ressentir pour lui. En revanche, je me fie à la logique et à mon raisonnement. Il me semble évident qu'il n'a rien à voir avec les ravisseurs.


Et dans tous les cas, ai-je vraiment le choix si je veux aider mon père ?


Je prends une grande inspiration pour retrouver les idées claires.


— Très bien. Alors c'est quoi ta proposition ? J'espère que c'est un très gros coup parce qu'il me faut 1 million.


Le sourire irrésistible est de retour.


— Crois-moi, tu ne vas pas être déçue. Tu risques même d'avoir un choc. Je préfère que tu sois assise quand je te le dirai.


Il ajoute avant que je n'aie le temps de répondre :


— De préférence en amazone sur mes cuisses.


Je souris malgré moi.

Fier de l'effet de sa répartie, il me tourne le dos et commence à marcher en direction de ma voiture m'invitant implicitement à le suivre.

Je le laisse s'éloigner seul. Il doit croire que je lui ai emboîté le pas mais je réfléchis.


Il n'a toujours pas répondu à ma question. Je crois même qu'il a fait exprès de ne pas revenir sur le sujet. Comment a-t-il fait pour me sortir d'ici ? A-t-il donné sa véritable identité ? Et si c'est le cas, que dois-je en déduire ?


Quand j'estime qu'il est suffisamment loin, je l'interpelle depuis le trottoir d'en face :


— Martial ?


Il se retourne instinctivement, comme s'il avait répondu à ce prénom toute sa vie.


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15

15 commentaires

Aldevir

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Il y a 2 ans

C'est toujours si délicieusement narré, j'aime décidément beaucoup ton style. Si tu as écris autre chose je serai ravie de le lire !

Elsa Carat

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Il y a 2 ans

Merci pour ce joli compliment ! (si jamais ça t'intéresse, sur Fyctia, il y a "tant que tu m'amuses" qui est aussi une comédie romantique, qu a aussi été sélectionnée pour la finale d'un concours et qui est en entier sur la plateforme. Sinon, dans un autre genre ( feel-good/terroir avec un drame en toile de fond )"Pour mieux compter les vagues" sortira en mars en librairie sous un autre titre et le début est sur fyctia. En tout cas, merci encore de ton soutien ici :)

JULIA S. GRANT

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Il y a 2 ans

J’adore cette tension entre eux, ce lien évident et en même temps ambigüe. Hâte de lire la suite évidemment ☺️

Elsa Carat

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Il y a 2 ans

Je suis heureuse de lire ça ! merci encore :)

Morgane P.

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Il y a 2 ans

Yes on a un prénom ! Keyah est bien maline, elle va les avoir ses infos.

Cirkannah

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Il y a 2 ans

Kerah n a pas confiance et on la comprend comment savoir avec un numéro pareil ? C est ce qui fait la personnalité explosive de ces deux et leur alchimie incroyable entre désir puissant et rage on se pose des questions et on doute à chaque échange ; on cherche la vérité entre les lignes. Ton roman ne pouvait porter meilleur titre Mais il est irrésistible de Martial non? Si c’est son prénom Hâte de découvrir le coup fumant qu il prépare Chaque chapitre est un vrai bonheur 👏🏻👏🏻

Elsa Carat

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Il y a 2 ans

C'est lire tes commentaires qui est un vrai bonheur ! Merci pour tes commentaires détaillés. J'en suis particulièrement heureuse, c'est tellement satisfaisant et encourageant de voir qu'on arrive à faire passer les ressentis qu'on voulait :)

LilouJune

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Il y a 2 ans

Bien joué Keyah !! Est ce que j'y aurais pensé ? Évidemment que non ! ^^ La réponse à son autre question sera-t-elle au rdv dans les prochains chapitres ? Je suis sûre que oui, du coup j'ai hâte !! L'ombre est toujours aussi mystérieux, c'est top !!

Elsa Carat

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Il y a 2 ans

Aaaah, je suis contente que l'Ombre intrigue ! J'ai prévu encore quelques révélations pour la suite ;)
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