Fyctia

Des tas de questions se bousculent dans ma tête. A quel moment l'Ombre a-t-il pu faire l'échange hier soir ? A partir de l'instant où il m'est tombé dessus dans le musée, nous ne nous sommes plus quittés. Où et comment a-t-il pu cacher le vrai tableau ? Il était nu la plupart du temps ! Est-ce qu'il l'a dissimulé dans un endroit sûr ? Est-il encore quelque part dans un recoin du Royal Gold Museum ? Et pourquoi me laisser la toile sur l'oreiller pour le simple plaisir de la voler à nouveau le lendemain ?

Ce type est vraiment tordu !

Ses paroles me reviennent à l'esprit et prennent un tout autre sens à la lueur de cette révélation :

" Tu me détesteras encore demain matin".

Loupé ! Je ne te déteste pas, je te hais !

Je continue de me creuser la tête en ressassant les événements. Je sens que je suis sur le point de mettre le doigt sur un détail important. Et si... ? Non, il n'a pas pu faire ça quand même !

Soudain, la présence de mon père se rappelle à moi.

Je relève les yeux du journal pour les poser sur lui. Quatre rides lui barrent le front mais il a toujours fait plus jeune que son âge. Avec ses blessures et son perfecto en cuir vieilli, il ressemble à un boxeur tout juste sorti du ring. Pourtant, il n'a jamais été bagarreur. Il est doué pour les négociations, pour apaiser les conflits et détourner l'attention. Il n'a jamais eu besoin d'user de la force. Ce qui ne l'empêche pas d'être intimidant. En ce moment même, son regard me juge.

— Pourquoi m'as tu dis que tu allais rendre la toile ? Tu as cru que le Musée ne se rendrait pas compte que c'était un faux ? Ou tu pensais que je n'allais jamais le savoir ?

Je me lève en soupirant. J'ai le sentiment que peu importe ce que je pourrais dire, il ne me croirait pas. Je vois bien dans ses yeux qu'il m'a déjà désigné coupable. Et j'ai du mal à lui en vouloir. Moi-même, je n'arrive pas à trouver un sens logique à ce qui s'est passé. Alors comment lui expliquer ce que je suis incapable de comprendre ?

Je me dirige vers la salle de bains et en reviens avec une trousse de premier secours. Il me laisse pulvériser de l'antiseptique sur ses blessures en grimaçant. J'essuie les plaies et pose des pansements.

— Papa, j'aimerais t'expliquer, je t'assure mais pour l'instant, je ne peux pas.

Il me regarde avec intensité et profite que je sois à genoux devant lui en train de le soigner pour poser une main rugueuse sur ma joue. Je ne me souviens plus de la dernière fois où on a été si proches tous les deux. J'ai l'impression que ça remonte à l'époque où c'est lui qui pansait mes bobos.

Peu habituée à ces démonstrations d'affection, je me redresse et retourne m'asseoir sur le canapé en face de son fauteuil.

— Bon, alors, combien tu dois ?

— 800 000 euros.

Je manque de m'étouffer avec ma salive. Mon père n'a jamais joué une telle somme d'argent. Comment a-t-il pu en arriver là ?

— Mais comment c'est possible ? Pourquoi tu as parié une telle somme ? Tu n'as même pas autant à la banque !

— Si, je les avais ! Justement, c'était mon soir de chance ! J'étais au casino Le mystère Carmin, le fameux jour où tu as volé le tableau. Il faut croire que ça m'a porté bonheur (Il ajoute avec une pointe de sarcasme) Enfin, c'était le jour où tu as volé la toile pour la première fois.

Je ne prends même pas la peine de me défendre. Quand mon père a une idée en tête, il est impossible de la lui enlever. En plus, il a vu la peinture chez moi, je n'arriverai jamais à le convaincre que je n'y suis pour rien.

Je le laisse poursuivre :

— Je venais de remporter le jackpot à la partie précédente. J'étais en veine ! J'étais sûr de gagner !

Je n'arrive pas à y croire. Il a joué " tapis " avec un gain de 800 000 euros et il ne semble même pas le regretter.

Il pointe un index menaçant vers moi :

— Je t'interdis de le dire à Yasmine. Elle serait capable de me tuer si elle l'apprenait !

Je ne peux m'empêcher de sourire intérieurement. Il est plus effrayé par les éventuelles représailles de sa nouvelle fiancée que par celles des types qui l'ont tabassé.

— Je ne dirai rien. De toute façon, je ne la vois jamais.

Mon père rétorque du tac-au-tac :

— Elle aimerait te voir plus souvent.

Je n'ai pas du tout envie d'aborder le sujet à ce moment précis. J'apprécie Yasmine mais je ne me sens pas à l'aise avec ses élans maternels.

— Bien. Et tu crois que j'ai 800 000 euros dans mon portefeuille ?

Il hausse ses larges épaules.

— Dans ton portefeuille, je ne sais pas. Mais avec toutes ces oeuvres d'art que tu as dérobées, je me suis dit que peut-être...

D'un coup, l'évidence me frappe. Je réalise que mon père croit que je suis l'Ombre !

Dans son esprit, c'est parfaitement logique. Il m'a vue avec L'Appartement de Jalousie et les médias ont attribué ce vol à l'Ombre. Il en a déduit que c'était moi et que j'étais responsable de tous ses autres vols précédents.

Je me penche vers lui et m'efforce d'être persuasive :

— Papa. Je. ne. suis. pas. l'Ombre.

Il pose un doigt sur sa bouche et me regarde d'un air complice.

— Oui, bien sûr. Tu es simplement ma fille. Pour toujours.

Je suis partagée entre désespoir et tendresse. Je suis touchée qu'il me soutienne même s'il pense que je suis une criminelle recherchée par Interpol et en même temps, j'aimerais qu'il me croit sans douter de ma parole.

Faute de preuves, je n'essaie même pas de me dédouaner pour le moment. Ce serait peine perdue.

Je consulte l'heure à ma montre et me lève.

— Bon, je dois aller au travail et tu vas m'accompagner. Hors de question que je te laisse tout seul tant qu'on n'aura pas réglé ta dette de jeu.

Tout en se levant, il me demande, perplexe :

— Tu as déjà prévu un autre vol ?

Je lève les yeux au ciel.

— Non, papa. Pas ce boulot là. Mon travail d'hôtesse dans l'événementiel. Je dois m'occuper de l'accueil VIP d'une remise de trophées de footballeurs sur une péniche. Il y aura beaucoup de monde et plein d'agents de sécurité. Tu seras en lieu sûr. Par contre, il va falloir te changer.

Pendant que j'essaie de dénicher un smoking pour mon père, je reçois un message de Mario sur mon portable.

• J'ai trouvé l'hôtel dans lequel TU-SAIS-QUI séjourne actuellement ! C'est qui le meilleur ? Oui, je sais ! De rien. ! Je te joins l'adresse.