Elsa Carat Bluff Magnum Cristal Louis Roederer

Magnum Cristal Louis Roederer


C'est la nuit que je travaille, que je vis vraiment. Je ne suis jamais aussi débordée que le week-end. Ce serait un problème si mes amis vivaient le jour et en semaine. Mais ils sont tous comme moi. Entre oiseaux nocturnes, on se reconnaît, on s'apprivoise.


Le bel inconnu est l'un des nôtres. Lui, c'est un rapace. Il cherche une proie. Mais pas n'importe laquelle. On voit tout de suite que Monsieur est exigeant. Il aime quand ce n'est pas trop simple. Je pourrais me laisser convaincre. Ou pas.

Il est diablement sexy. J'ai remarqué son étui à guitare. J'ai un faible pour les musiciens.


Il s'est installé sur le tabouret de bar à côté de moi. Et il me mate. Pas comme un mec lambda qui essaierait de le faire avec plus ou moins de discrétion. Non, il le fait de manière ostentatoire. Pour que je sois forcée de le remarquer. Pour me provoquer. Pour m'obliger à lui parler en premier même si c'est pour l'engueuler. Dommage pour lui, je suis très douée au jeu des regards. Nous nous fixons dans les yeux sans ciller une bonne dizaine de secondes. On dit qu'un regard mutuel n’excède jamais une seconde. En dessous, cela traduit un comportement fuyant. Tandis qu’au-delà, il s’agit d’une invasion. Je crois qu'on vient de battre un record du monde. Son regard est profond, marron doré. Il porte une veste en cuir. Du cuir véritable, je suis formelle.


Il se décide enfin à parler :


— Je pourrais faire ça toute la nuit.


— C'est de la triche. Elle est déjà presque terminée. Le jour va se lever dans deux heures.


— Je pourrais faire ça demain aussi.


— Je ne serai plus là demain.


— C'est vrai. On ne sera plus dans cette boîte dans moins d'une demi-heure.


OK. Il n'a pas froid aux yeux. Je dois être complètement folle mais ça me plaît.


Je fais un signe du menton vers l'étui à ses pieds et remarque tout haut :


— Un musicien.


A son tour, il observe attentivement dans ma direction. Ses yeux glissent sur mon visage, s'attardent sur ma bouche, plongent dans le décolleté de ma robe rouge, détaillent chaque millimètre de la peau nue de mes jambes, de mes cuisses à mes chevilles.

Enfin, après une longue inspection, il rétorque sur le même ton que je viens d'emprunter :


— Une très belle femme.


Ça me fait sourire.


— Tu joues vraiment de la guitare ou c'est juste pour impressionner les filles ?


— Est-ce que j'ai l'air d'avoir besoin de ça pour impressionner les filles ?


En toute honnêteté, non.


— Je crois que t'es un vrai musicien. Mais pas forcément un bon.


Pour la première fois, son regard se dérobe. Il baisse la tête une seconde. C'est furtif mais je ne peux m'empêcher de le remarquer. J'observe tout le temps les gens, tente constamment d'analyser leur comportement. J'ordonne à mon cerveau de se mettre sur pause. Cette nuit, j'ai envie de me laisser aller, de me faire surprendre.


— Je préfère dire que je suis une sorte... d'artiste.


Je le taquine :


— Oui, ça te va bien. Tu as les cheveux d'un artiste.


Son sourire s'élargit.


— C'est quoi ton problème avec mes cheveux ?


Il se passe la main dedans et je dois reconnaître que cet effet décoiffé est hyper sexy. Je réplique quand même sans me laisser déstabiliser :


— C'est quoi ton problème avec les coiffeurs ?


Il descend de son tabouret, le rapproche si près du mien que nos genoux se touchent quand il s'y rassoit. Il me susurre à l'oreille :


— Promis, je te laisserai faire tout ce que tu veux avec mes cheveux.


Son souffle dans mon cou me fait frissonner. Je savoure l'instant en tâchant de garder un semblant de contrôle.


— Des couettes ? Ça t'irait bien, je crois.


Il secoue la tête et prend un air sérieux.


— On va avoir un problème. Il faut des chouchous pour faire ça, non ?


— Oui et alors ?


— Je n'en ai pas dans ma chambre d'hôtel.


Par la suite, il a commandé du champagne. Une bouteille Magnum Cristal Louis Roederer 2008 à 970 euros. Le prix ne m'a pas impressionnée. J'ai l'habitude de voir des hommes et des femmes payer plus cher que ça pour boire. Mais la plupart se contentent de commander la meilleure bouteille. Lui, c'est un connaisseur. Il est comme moi. Il fait attention aux détails. Il retient le nom des belles choses.


Il a emporté la bouteille et nous avons commencé à marcher le long du canal.


L'air de la nuit est doux. D'une main, il tient son étui à guitare. De l'autre, il me guide de temps en temps. A chaque fois qu'il pose sa paume dans mon dos, j'ai comme un électrochoc.


Il m'a laissé la bouteille. L'alcool aidant, je suis de plus en plus loquace.


— Tu sais pourquoi j'aime la nuit ? J'aime toutes ces lumières dans la ville. Les enseignes et les éclairages des monuments. Même les lueurs des feux rouges ! J'aime les sonos qui s'échappent des bars encore ouverts. Les passants sur leur 31 parce qu'ils reviennent d'une soirée très chic. Les jeunes qui goûtent pour la première fois à leurs libertés nocturnes en criant dans la rue. Même les bris de verre et les mégots sur les pavés, ça me plaît ! Ça prouve qu'il y a eu de la vie, ici. J'ai besoin de cette effervescence, de ce tourbillon !


J'illustre mon propos en tournant sur moi-même. J'ai définitivement trop bu. Ça le fait sourire. Je le trouve irrésistible quand il me sourit de cette façon.


— Et toi ? Pourquoi tu aimes la nuit ? Tu n'as pas bâillé une seule fois. Tu as l'habitude, toi aussi !


— Je ne sais pas... J'aime la nuit parce qu'on peut être une autre personne à ce moment là. Avoir un autre visage. Tout le monde est différent la nuit.


Je m'arrête. Je me rapproche de lui, pose une main sur son torse, lève la tête pour accrocher son regard qui est plus haut que le mien malgré mes talons.


— C'est bien mystérieux tout ça.


— Toi aussi, tu es mystérieuse. Cette assurance, cette carapace, je vois bien que ça cache quelque chose.


Il a raison. Mais je ne vais pas lui dire que je suis la meilleure pickpocket du pays parce que j'aime ça et que si je peux avoir l'air superficielle, c'est seulement une apparence que je me donne pour que personne n'aille creuser plus loin. Cette dernière partie, je préfère qu'il le découvre par lui-même. J'ai déjà l'impression qu'il a aperçu cette autre facette de moi. C'est pour ça qu'il me plaît, pas seulement parce que j'éprouve une attirance physique irrépressible.


Je me contente de rester énigmatique :


— Tu n'as pas idée de tout ce que je suis capable de faire.


Il répète sensiblement la même chose que moi mais avec une intonation plus grave et plus intense qui me fait vibrer.


— Toi non plus, tu n'as pas idée de qui je suis vraiment.


Je devrais être au minimum sur la défensive après une déclaration pareille. Mais son regard sur moi est profond, sincère, émouvant. On dirait presque qu'il souffre.


Alors quand il me dit qu'on est arrivés devant son hôtel, c'est plus fort que moi.

Je craque.


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19 commentaires

Cirkannah

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Il y a 2 ans

Quelle rencontre !!!

Océane Ginot

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Il y a 2 ans

Cet inconnu est intéressant et ils on pas mal de points communs !

JULIA S. GRANT

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Il y a 2 ans

Ouh la la ca va chauffer. Très chouette ce chapitre

Elsa Carat

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Il y a 2 ans

Un peu de chaleur par cette météo, ça fait du bien :) Merci de ta lecture !

Sherryn AMAZ

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Il y a 2 ans

Une attirance folle, j’adore 🥰 il y a de l’amour dans l’air!!

LK SISSOKO

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Il y a 2 ans

j’adoooore ce chapitre et l’interaction ! J’aime vraiment ta manière de raconter les choses, c’est super dynamique !

Elodée

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Il y a 2 ans

une sorte de deux des pouvoirs dans ce chapitre que je trouve à grande tension sexuelle. Personne ne veut le dire, ils sont tous deux à tourner autour du pot et a rester dans la classe qui est la leur. Y’a une sensualité mêlée à beaucoup de classe, j’imagine une ambiance feutrée et une légère musique de solo piano jazz, des volutes de cigares et des rires à 200 euros. T’es une belle découverte je trouve

Elodée

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Il y a 2 ans

sorte de duel* mon clavier impressionniste cubique, il faut s’y habituer, je suis sur tablette

LilouJune

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Il y a 2 ans

J'aime beaucoup le concept de la pickpocket et ce mystère que tu laisses planer. Rdv au prochain chapitre
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