Fyctia
Chapitre 5 - partie A
— Yun Ha —
Le prof parle, le tableau grince, mon pote râle. Bref, un mercredi comme un autre. Je griffonne sur ma trousse, sur le bord de ma table, sur la manche de ma chemise, j’ai déjà renoncé à lutter. C’est plus fort que moi. Une spirale devient un œil, l’œil un visage, et voilà que je me retrouve à reproduire celui de Jin Beom… avec des cornes de chèvre.
— T’es sérieux ?! soupire JinBeom en voyant son sac profané.
— C’est une œuvre d’art, mec. Tu devrais encadrer ton sac.
Il lève les yeux au ciel, mais je vois bien qu’il sourit. Même les profs n’essaient plus de m’arrêter. Y a que Seo Rin qui m’arracherait le stylo des mains. Sauf qu’aujourd’hui, justement… elle est pas là.
Et ça, ça cloche. Parce que Seo Rin n’est jamais absente. Elle pourrait se réveiller avec une jambe cassée et une météorite dans son jardin qu’elle viendrait quand même en cours. Mais ce matin, sa chaise est vide. Et ce qui me fout encore plus les nerfs, c’est que je l’ai vue sortir de chez elle, ce matin.
Je l’ai vue parce que… ouais, ok, je me lève à la même heure qu’elle tous les matins. Pas par hasard. Sa fenêtre donne pile en face de la mienne. Et chaque matin, elle ouvre ses volets pile à l’heure où le soleil se lève. Elle attend ce moment. Elle aime le lever du jour, la lumière douce, l’air frais… Et moi, j’aime la regarder elle. Parce que c’est le seul moment de la journée où elle sourit. Un sourire volé par le ciel. Pas un que j’ai dû lui arracher avec une blague.
Et, aujourd’hui, j’ai eu droit à ce sourire, et ensuite, plus rien. Elle est pas venue. Elle répond pas à mes messages. Ni à mes appels. Et plus les heures passent, plus ça m’énerve.
À la pause-déjeuner, je bouffe pas. J’ai pas faim. Je sèche les cours de l’aprem. Je prends la direction de l’atelier d’art. Mon échappatoire.
Je pousse la porte. Et là… le destin me fait un clin d’œil. Seo Rin, juste là. Sur le point de sortir. Elle ouvre la porte au moment exact où je la pousse. Nos regards se croisent. Et moi, je souris. Parce que c’est pas une coïncidence. C’est le destin de Dieu, une route toute tracé vers elle.
— Tu vas quelque part, Missy ?
Elle reste silencieuse. Tête baissée, un truc cloche.
— Et ce matin ? Tu vas me dire pourquoi t’étais pas là ? Et pourquoi t’ignores mes messages ?
Elle finit par soupirer. Une expiration longue. Fatiguée.
— Je me suis évanouie, dans cette salle.
— Quoi ? Et tu dis ça comme si tu me racontais que t’as raté ton bus ? Viens, je t’emmène à l’infirmerie.
Je tends la main pour attraper son poignet. Elle le retire brusquement.
Mais dans ce mouvement sec… une mèche de cheveux se soulève.
Et je le vois. Le sang. Une trace séchée, fine, juste à sa tempe.
Je la saisis doucement par le visage, mes mains en coupe autour de ses joues.
— Tu saignes. Tu t’es pas juste évanouis ? Tu t’es cognée où ? Contre quoi ?
— Contre un bureau. Ça arrive. Détends-toi.
— C’est pas rien, Missy.
Elle me traite de débile. Mais elle ne me repousse pas. Mon pouce glisse doucement sous la plaie, sans appuyer. Je frôle à peine sa peau. Et là, le silence change de nature. Il devient électrique. Son souffle s’accélère. Le mien aussi.
Mes doigts passe le long de sa mâchoire. Elle ne bouge pas. Je m’approche. Juste assez pour sentir son parfum. Juste assez pour entendre battre son cœur. Je pourrais l’embrasser. Là. Maintenant.
Mais je ne le ferai pas.
Parce que je l’aime, alors qu'elle ne s’aime pas elle-même. Elle ne comprend pas que son cœur, aussi noir soit-il, m’attire.
Très bien, si, elle a besoin d’un meilleur ami, alors je continuerai à jouer ce rôle autant de temps qu’il faudra.
Je ne sais plus combien de temps, on est restés là. Dans le silence. Elle debout, moi juste en face, le cœur en feu, mais les mains beaucoup plus sages que mes pensées. Quand la voix de Seo Rin brisa le silence.
— Qu’est-ce que tu penses de Sarang ?
Je relevai la tête, surpris. Son ton était neutre, presque désinvolte.
— Missy, pourquoi tu me demandes ça, tout à coup ? répliquai-je, méfiant.
— Réponds.
— Pourquoi cet intérêt soudain ? Toi, t’es plutôt du genre à te foutre de tout le monde.
Elle sembla prise au dépourvu. Puis, après une seconde d’hésitation, elle déclara :
— C’est faux… Je m’intéresse à toi.
Je clignai des yeux, surpris, et un léger sourire ce format sur mon visage.
— Et si tu es ami avec cette fille, alors je veux savoir qui elle est. Je veux comprendre. Et aussi… savoir si elle est vraiment aussi horrible que ce que dit Ye jin.
Un rire amer m’échappa. Seo Rin baissa les yeux, mais continua :
— Yejin et Hye Min disent que c’est un monstre. Apparemment, à la cafétéria, elle a frappé et humilié Yejin devant tout le monde.
J’explosai de rire. Impossible de me retenir.
— J’y étais. J’ai vu toute la scène et c’était magnifique.
Je secouai la tête, amusé par le souvenir de Yejin, furieuse et humiliée devant tout le monde.
— D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi tu traînes avec Ye jin et Hye Min. Ce sont juste deux pestes écervelées.
— Tu as raison, elles sont stupides. Mais… avec elles, je me sens à l’aise.
— Tu pourrais traîner avec d’autres gens. Pourquoi elles ?
— Parce que c’est facile. Avec elles, je n’ai pas besoin de faire d’efforts.
Un silence s’installa, mais je le brisai rapidement.
— Yejin harcèle Sarang depuis son arrivée. Elle lui a juste rendu la monnaie de sa pièce, et elle en a profité pour que la moitié du lycée assiste au spectacle.
Seo Rin me fixa un instant, puis, d’une voix plus posée, elle me demanda :
— Tu l’aimes bien ?
Je réponds sans réfléchir.
— Oui.
Mais je ne m’arrêtai pas là.
— Sarang est surprenante. Talentueuse. J’ai l’impression de me voir en elle, comme un miroir, un reflet de moi… On se comprend.
Seo Rin détourna le regard. Je sentis un léger malaise. Elle s’approcha de moi, et sa voix se fit plus douce, plus vulnérable.
— Et nous ? On ne se comprend pas ?
Je la fixai, surpris.
— C’est différent. Toi et moi, on se comprend autrement. Tu es irremplaçable.
Un sourire m’échappa et, sans réfléchir, je la pris dans mes bras. Est-ce qu’elle est jalouse ? Seo Rin, tu ne te rends pas compte à quel point je t’aime en silence depuis tout ce temps ?
— 11 ans d’amitié, ça ne peut pas être éclipsé par une jolie fille sortie de nulle part.
Je voulais la rassurer, mais elle se crispa entre mes bras.
— Donc, tu la trouves jolie ?
Merde.
— Rin, ce n’est pas ce que je voulais dire…
Elle recula d’un pas, puis de deux. Son visage était fermé, mais je distinguais la blessure dans son regard. Une blessure que je venais, sans le vouloir, d’ouvrir.
— C’est bon. J’ai compris. Laisse tomber, Yun ha.
Sa voix était calme, tranchante comme du verre.
Et puis elle a tourné les talons. Elle m’a laissé là, sans un mot de plus. Elle est sortie comme si rien ne s’était passé. Comme si on n’avait pas frôlé un monde parallèle. Un monde où je me serais autorisé à l’aimer pour de vrai et que j’avais encore une fois tout gâché. J’ai pas dormi cette nuit-là.
2 commentaires
Hooper (Seb Verdier)
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Il y a 5 jours
NohGoa
-
Il y a 6 jours