Gottesmann Pascal Bien sous tous rapports L'autre chaine

L'autre chaine


Quelques heures plus tard, Lionel savoure son triomphe. L’interview qu’il a donnée à midi a déjà été diffusée trois fois pendant l’après-midi et il a reçu des messages de soutiens venant d’amis perdus de vue, de membres du conseil d’administration de son entreprise mais aussi de parfaits inconnus sur les réseaux sociaux. Surtout, il imagine Marianne découragée de ne pas pouvoir faire son travail de sape dans les médias.


Le père de famille en est convaincu, sa principale adversaire, à l’heure actuelle, n’est pas son épouse mais sa fille. Depuis qu’il a mal accueilli cet adolescent louche avec qui elle vivait une amourette, Marianne le déteste et à l’heure actuelle, voudrait le voir humilié et montré du doigt par la France entière. Il sait d’ailleurs que c’est elle qui a convaincu sa mère de fuir le domicile conjugal comme une prisonnière s’évadant. Sans cela, Clotilde serait encore près de lui et Valentin aussi. Le message pour son fils n’était pas du tout prévu mais Lionel espère qu’il aura fait son petit effet sur le jeune garçon qui saura, peut être, influencer sa mère dans le bon sens et la ramener à la raison.


Car Lionel est sûr d’une chose, sans lui, Clotilde est perdue en ce moment même, comme il est perdu sans elle. Ce ne sont pas quelques coups de rien du tout qui vont faire disparaitre vingt ans d’amour. Il a peut être exagéré ces derniers temps, mais ça arrive à tout le monde et ce n’est pas une raison pour se séparer


De toute manière, le père de famille, sait que les maris abusifs et violents ne sont pas comme lui, ce sont des rebuts de la société, marginaux et alcooliques. Imaginerait on un Jonquier de Frissac faire la une des faits divers dans une affaire de féminicide ? Ça lui semble inconcevable. Il serait même prêt, si Clotilde revient à la maison, à lui laisser la place qui lui revient dans le couple et à la soutenir dans ses projets. Mais il faudra quand même mettre recadrer Marianne, il n’est pas question que sa fille rejoigne la horde des féministes hystériques qui veulent la tête de tous les hommes ne pensant pas comme elles.


Le fil de ses pensées est perturbé par la télé qui continue de ronronner comme une présence. Elle est presque allumée en permanence depuis que ses proches ne sont plus là. Ayant eu toutes les informations de News TV et avant le début des films du soir, Lionel zappe sur La chaine info et manque de s’étouffer en entendant la journaliste sur le plateau.


Il est 20 h 25 et il est temps de diffuser un entretien exclusif. Depuis trois jours, ce qu’il convient de nommer L’affaire Jonquier de Frissac défraie la chronique et Marianne, l’adolescente de 16 ans au centre de l’histoire, est l’objet d’insultes et de harcèlement sur les réseaux sociaux. Mais la jeune bourgeoise irresponsable et écervelée qui est présentée n’est peut être pas aussi coupable qu’on le dit. Nous avons voulu avoir sa version des faits et elle nous a accordé une longue interview que nous vous proposons de suivre.


Lionel ouvre de grand yeux, il ne manquait plus que ça. Marianne qui se voit offrir une tribune sur une chaine de télévision nationale. Sans savoir encore ce que va dire sa fille, le père de famille s’attend au pire et il n’est pas déçu. Tout y passe pendant plus d’une demi-heure, l’ambiance familiale devenue de plus en plus pesante au fil du confinement, les coups devenus quotidiens et les insultes. S’ensuit l’obligation, par l’adolescente, de conduire car le bras de sa mère était trop douloureux. Sans oublier le lynchage sur les réseaux sociaux et la diffusion d’une vidéo l’humiliant, Lionel n’était même pas au courant de cet évènement de la veille. Tout y est, y compris la séquence finale tire larme, comme pour lui quelques heures plus tôt. Lionel est d’ailleurs certain que Marianne exagère et que Clotilde n’est pas tant traumatisée que ça. Et, si elle l’est à cause de banales scènes conjugales ça prouve qu’elle est profondément instable et que, avec elle, les enfants ne sont pas en sécurité.


Mais il se souvient brutalement de la conversation d’hier avec Patrice Contrepoint. Son vieil ami d’école avait semblé prendre parti contre lui et, dès le lendemain une tribune est offerte sur un plateau à Marianne sur la chaine concurrente. Il ne faut pas être Sherlock Holmes pour mettre les deux évènements en relation. Ce que Patrice n’a pas pu faire sur son antenne il a recommandé à un autre journaliste de le faire. Fort heureusement, l’audience de La chaine info est confidentielle par rapport à celle de News TV. Mais il n’en demeure pas moins qu’on ne s’en prend pas comme ça à un ami de quarante ans. Prenant son portable, il appelle Patrice et est bien décidé à lui dire sa façon de penser.


— Salut Jonquier de Frissac, dit le journaliste en décrochant. Vu l’heure à laquelle tu m’appelles, je suppose que tu viens de faire une infidélité à News TV et de regarder La chaine info.


— Effectivement, répond Lionel d’un ton agressif, et je ne crois pas beaucoup au hasard. J’ai compris, hier, que t’aurais bien voulu m’enfoncer en prenant le parti de Clotilde et Marianne si t’avais eu les mains libres. Puisque tu ne pouvais pas le faire sur ta chaine, t’as conseillé à la concurrence de le faire.


— Disons que je trouve qu’il est bon d’avoir de la pluralité journalistique et d’entendre tous les sons de cloche. C’est pourquoi j’ai conseillé à mon collègue et ami Martin Tramontel, directeur de La chaine info, de s’intéresser à cette affaire.


— Tu sais ce que je risque s’il y a du scandale ? Je pourrais perdre mon entreprise, peut être même avoir des ennuis avec la justice. Sans parler des élections municipales où je suis candidat.


— Je t’accorde la présomption d’innocence mais, si tu t’es comporté comme ta fille le décrit, c’est tout ce que tu mérites.


— Mais Marianne me déteste et m’a fait passer pour le monstre que je ne suis pas. Ce n’est pas honnête.


— Et faire pleurer dans les chaumières en jouant le pauvre père désespéré à qui son fils manque, tu crois que c’était honnête ?


— Je ne jouais pas, Patrice, j’étais sincère. J’aime véritablement Valentin comme un fou et il me manque.


— Je te connais très bien Lionel. Tu as tes qualités, mais aussi tes défauts. Et je sais que t’es tout sauf un sentimental. C’est pas ton fils qui te manque, c’est le futur héritier de ton entreprise. Celui qui aurait perpétué les sidérurgies Frissac en constituant la quatrième génération à sa tête.


— L’un n’empêche pas l’autre. Mais je n’oublierai pas ce que tu m’as fait.


— Je sais que tu m’en veux Lionel, mais n’oublie pas que t’as besoin de moi. Sans News TV, je ne donne pas deux jours à la version de ta fille pour triompher.


— T’es un hypocrite, un faux jeton. Je te prenais pour un ami.


— T’as raison, quand je suis forcé de préparer des interviews complaisantes pour toi je me suis montré hypocrite, mais j’ai été forcé de le faire. Quant à être ami, je ne le suis pas avec les hommes qui battent leurs femmes. Désolé Lionel.

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15 commentaires

Leo Degal

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Il y a 12 jours

Les deux versions sont désormais diffusées… que de linge sale lavé en public ! J’espère que ça ne nuira pas à un éventuel procès…

Gottesmann Pascal

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Il y a 12 jours

Oui. Si procès il y a dans l'avenir.

Marie Andree

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Il y a un mois

Ce Patrice est droit dans ses bottes au moins ! Je me demande comment ça va se terminer cette histoire...

Gottesmann Pascal

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Il y a un mois

Mal pour quelqu'un. Reste à savoir qui

Eva Boh & Le Mas de Gaïa

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Il y a un mois

Un masculiniste en puissance 😔

Gottesmann Pascal

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Il y a un mois

Un masculinite tout court.

Amphitrite

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Il y a un mois

Ça me fait mal cette famille qui se déchire par médias interposés

Gottesmann Pascal

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Il y a un mois

C'est Lionel qui a commencé quand même. Mais, oui, c'est triste.

Amphitrite

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Il y a un mois

Et réaliste!
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