Fyctia
...on sème ? (1/2)
Mardi 1er Décembre – 18h47
Le rouleau de scotch entre les dents, je rassemble mes cheveux en un chignon négligé que je fais tenir avec un stylo avant de me remettre au travail.
Madame Faure – une mamie joviale aussi exigeante qu’attachante – se promène dans la boutique en attendant l’emballage des articles qu’elle vient d’acheter après plus d’une heure d’hésitation. Régulièrement dans l’année, elle me rend visite et me raconte les dernières lubies de ses petits-enfants pendant que nous choisissons le bon combo entre linge de maison et vaisselle, qu’elle se plait à renouveler chaque saison.
Aujourd’hui, elle est venue pour ses achats de Noël et la boutique est au diapason avec un doux fond sonore de chants festifs. Pendant que je m’affaire dans la confection de jolis paquets, elle se promène dans le magasin et je la vois du coin de l’œil se poster devant la vitrine et observer la rue.
— Coline, pourquoi tant de monde en face ? Une nouvelle boutique ?
Je suis vaguement son regard mais à la nuit tombée et avec le reflet de la lumière, je ne vois rien et préfère reporter ma concentration sur les sucres d’orge que je glisse consciencieusement entre la ficelle de lin et le papier kraft de chaque cadeau :
— Oui, une nouvelle boutique, une fleuriste je crois. L’inauguration est ce soir, elle a invité les commerçants.
Cette curieuse de Madame Faure a presque le nez collé à la vitre et je réprime une envie de rire. En retournant vers le comptoir pour l’encaissement, je passe devant un miroir et me demande si je dois troquer mon jean et mes baskets à paillettes contre le slim noir et les bottines à talons que j’ai emportés ce matin.
J’ignore quelle serait la tenue la plus adaptée pour cette inauguration. Il y aura certainement du beau monde et je voudrai faire bonne impression. En tenue décontractée et du haut de mon mètre cinquante-huit, je ne serai peut-être pas assez crédible.
Toujours pas décidée, j’entreprends de scanner les étiquettes retirées des articles. Au bip sonore qui se déclenche, ma cliente se détache de la baie vitrée et me rejoint les yeux pétillants :
— L’affiche en face plairait tellement à mon petit-fils !
Sans lever les yeux, je tapote sur ma souris qui doit avoir les piles à plat :
— Une affiche ?
— Oui, vous savez, ces illustrations modernes qui ressemblent à des bandes-dessinées ! Batman en train de sauver le Père Noël, c’est cocasse ! Ses deux idoles rassemblées, vous imaginer la joie du petit ? Je crois que je repasserai lui prendre.
Je fronce les sourcils. Quel genre de fleuriste associerait des affiches de super-héros à de la composition florale ?
Madame Faure est en train de signer son chèque et de là où je me trouve, je distingue des silhouettes et de la lumière dans la rue mais rien de plus.
Je lui tends les deux grands sacs contenant ses achats, y glisse des cartes de vœux pour la remercier de sa confiance et ravie, elle se dirige vers la sortie. Tenant la porte de la boutique entrouverte, elle marque un temps d’arrêt en regardant au loin :
— Oh ! Et ces lustres, on dirait qu’ils sont en papier ! Vous qui aimez la décoration Coline, vous allez adorer ! Si en plus vous me dites qu’ils font des fleurs… ah la la, à mon âge on est vite dépassés ! A bientôt Coline.
Mon sourire se fige et un mauvais pressentiment m’envahit. Qu’est-ce qui se trame sous mon nez ?
Plus question d’attendre davantage, ni de me mettre sur mon trente-et-un. Précipitamment, j’enfile ma veste en maille rouge et me dirige vers la sortie.
Il doit y avoir une petite douzaine de personnes qui discutent un verre à la main devant les vitrines où des petits guéridons ont été installés. Je ferme à clé ma boutique et reste quelques secondes le dos collé à la porte pour observer les vitrines de « Petites graines » qui ont été dépourvues du tissu qui les cachait.
Des affiches illustrées de dessins ou de citations flottent comme si elle tenait sur un fil invisible. D’énormes suspensions en origamis aux teintes vives illuminent la vitrine. Au sol, je vois… des tabourets ? On dirait plutôt des bouchons en liège géants dont la base a été teinte en fluo. J’ai beau regarder, je ne vois aucune trace, pas le moindre brin, de fleurs.
Je serre les dents et traverse la route en quelques enjambées, déterminée à accueillir comme il se doit cette concurrente qui a eu le culot de se positionner en face sans daigner venir se présenter.
Je me faufile entre les petits groupes pour atteindre l’entrée, quand un bras se pose sur le mien.
— Coline ! Vous avez vu toutes ces bonnes idées ? Vous allez bien vous entendre !
Je tourne la tête vers cette voix familière et m’excuse auprès de la boulangère et du pharmacien de ne pas les avoir vus.
— Pardon, j’avais la tête ailleurs. Non, je n’ai pas encore eu le plaisir de rencontrer la personne qui tient cette… boutique. Mais j’y vais de ce pas !
Dépitée que des personnes que je côtoie depuis quatre ans, ne voient pas le problème à ce qu’un concurrent se place en face de ma boutique, je parviens à lâcher un sourire hypocrite et reprends mon chemin. Pas question de perdre la face.
A l’intérieur, l’ambiance est tout aussi détendue que dehors. Les couleurs sont tout aussi présentes également, à tel point que ça m’en brûlerait la rétine. On est à l’opposé de mon univers doux et poétique.
Des réveils réalisés en lego, des miroirs bombés dont la surface est dorée… jamais vu ça ! J’observe les alentours de cette vingtaine de mètres carrés, saluant les quelques visages connus et devinant soudain qui est responsable de tout ça.
Sûrement cette grande blonde qui virevolte de groupes en groupes avec son sourire colgate. Elle est en pleine discussion et je décide de patienter.
Pendant quelques secondes, mon attention se porte sur le présentoir de petites cartes en papier ensemencé que je reconnais bien. Elles sont déclinées en une multitude de messages.
« Tu montes pour un dernier verre ? ».
« Va manger des chocolats en enfer. »* Je pouffe et me le reproche instantanément.
— Une préférence ? Moi ce serait celle qui vient de vous faire rire.
Accompagnant ces mots, un bras me frôle l’épaule et une main large attrape la carte coupable. L’odorat doit avoir une mémoire car cette odeur, sucrée et corsée, je la reconnaitrai entre mille. Comme cette voix grave.
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*Citation : jaimelagrenadine.com
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Émilie Parizot
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anciencompte
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Zalma
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Émilie Parizot
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Émilie Parizot
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Fanny, Marie Gufflet
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Émilie Parizot
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Lili CL MARGUERITE
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