Fyctia

Helena

— Pense ce que tu veux, Trevor, je n'en ai rien à faire. De toute façon, une fois que j'aurai mon diplôme, je ne verrai plus aucune de ces personnes. Alors, je ne vais pas m'arrêter à leurs pitreries.

Il me sourit, la tête penchée sur le côté qu'il laisse légèrement retomber sa courte chevelure qu'il n'a pas coiffée.

Je m'apprête à nouveau à ouvrir la bouche, mais une serveuse vient nous interrompre.

— Une citronnade pour madame, clame cette petite blonde en déposant le verre devant moi. Et un milkshake vanille pour monsieur.

— Excusez-moi, mais je n’ai pas…

Elle ne me donne pas le temps de finir que la voilà partie. Le tocard qui me fait face commence déjà à enrouler ses lèvres humidifiées autour de la paille, tout en me fixant.

— Est-ce que c'est toi qui as commandé ?

Il hausse les épaules.

— Contente-toi de déguster ta citronnade, après tout, c'est ta boisson préférée, non ?

À quoi est-ce qu'il joue ?

— Qu'est-ce que tu as placé dedans ? Une espèce de laxative ? Du poison ou une quelconque connerie ?

Il secoue son crâne.

— Profite de ma gentillesse au lieu de râler.

Sa gentillesse ? Alors là, j'aurais tout vu. Elle a disparu le jour où il m'a abandonné. Et même en remettant le pied à l'université, j'ai bien compris qu'il n'était plus aussi bienveillant qu’à l'époque.

Lentement, j’attrape la paille de mes doigts. Je la rapproche au bout de mon nez pour la sentir et m'assurer qu'elle n'a pas une odeur douteuse. J'en fais de même avec le liquide transparent. Je l'entends expirer lourdement avant qu'il ne se saisisse de mon verre. Il avale une gorgée tout en écarquillant les sourcils, puis me la redonne.

— Bois, m’ordonne Trevor, d'une voix grave.

Je m'exécute. Pas parce qu'il me l'a exigé, mais pour la simple et bonne raison que c'est ma boisson préférée. Comme les Mac and cheese, je n'arrive pas à y résister. Le liquide coule le long de mon œsophage et aucun goût suspicieux ne se mélange au citron. Quoi qu'il en dise, je sais pertinemment que sa gentillesse cache forcément quelque chose. J'ignore encore quoi, néanmoins, je risque de le découvrir bien assez tôt.

— C'est aussi écœurant que de te voir ici, sifflé-je sans le quitter du regard.

— Je pense également à la même chose, quand j'apprends que tu veux un rencard avec d'autres hommes.

Perçois-je de la jalousie ?

— Peut-être que ce n’était pas un renc…

— On ne s'habille pas sensuellement pour venir dans cet établissement, me coupe-t-il, avant d'avaler une gorgée.

— Sensuellement ?

Il se penche de nouveau vers moi, puis me répond :

— La robe rouge te va toujours aussi bien, mais on sait tous les deux qu’elle m’est destinée. Tu n'as jamais mis cette teinte pour aucun autre. À chaque fois que tu la portais, c'était en ma présence.

Il se redresse.

— Tu t'attendais à ce que je sois au courant, et tu as probablement voulu jouer de ma jalousie. Mais ça ne marchera pas.

Un rictus s'étire au coin de mes lèvres. Trevor vient de m’offrir une porte d’entrée pour enfin savoir si mon plan a un tant soit peu fonctionné.

— Ose me regarder dans les yeux et me dire que ça ne te fait rien du tout.

Les traits de son visage s'assombrissent, tandis que ses iris se vissent aux miens.

— Ça ne me fait rien du tout.

Je perçois ses deux pupilles tourner aussitôt sur le côté, avant de revenir vers moi. Voilà donc cette mimique qu'il me fallait pour valider ce que je pensais. Faire entrer un homme dans ma vie le rend jaloux, même s'il ne veut pas l'admettre. Je comprends dorénavant où je dois taper.

— Tu as beau me connaître dans les moindres détails, maîtriser mes secrets les plus obscurs, n'oublies pas que j'en sais tout autant sur ta manière d'être, soufflé-je, la paille au bout de mes lèvres rouge sombre.

Il lève les yeux au ciel, dans un amusement que je lui reconnais bien. Cet air m’avait tant manqué. Merde.

— Maintenant que tu as réussi ton coup, ajouté-je pour me changer ces fichues pensées, tu attends quoi pour aller la rejoindre ?

Il s'essuie le coin de la bouche de son pouce qu'il porte ensuite contre ses lèvres pour lécher. Je retiens mon souffle devant ce geste. Bordel, Helena, arrête ça.

— Oh, elle attendra, répond-il. Je me suis déjà fait du bien et j'ai envie de déguster cette bonne vanille. Le genre de vanille qui m'excite à chaque fois.

Je fais abstraction de ces nouveaux sous-entendus qui se réfèrent à des actions sexuelles. Il a toujours adoré la saveur de vanille sans que je comprenne pourquoi. Bien que j'aime son odeur, et que j’affectionne le porter sur ma peau, la saveur en bouche est différente. Mais après tout, quand je vois qu'il fricote avec Clarisse, je ne suis pas étonnée qu'il ait autant mauvais goût.

Nous passons les minutes qui suivent sans prononcer le moindre mot, nos regards scotchés l'un à l'autre, ainsi que nos lèvres posées sur nos pailles.

— Pour ma prochaine bombe, je choisirais pour la couleur jaune, déclaré-je tout à coup. Après tout, on dit jaune cocu. Et être cocu est associé à la tromperie. C'est un peu ce que tu as réalisé lorsque tu me l'as fait à l'envers alors que j'étais dans le coma. C'est bien de la tromperie d'être quelqu'un d'autre ? Tu sais, le mec gentil qui a tellement d'attention pour sa meilleure amie, mais qu'au final n'hésite pas à la traiter comme un vulgaire déchet. Tu es juste lâche après tout. Un putain de lâche.

Il soupire, puis se lève, tandis que je l'observe, interloquée par son agissement. A-t-il enfin décidé de me laisser tranquille ? Il plonge la main dans la poche de son jean et en extirpe plusieurs dollars.

— Tiens, tu n'auras qu'à te payer un repas, clame-t-il en balançant sa liasse. Et je te donne un supplément pour te réconforter.