Fyctia
Chapitre 1
"Je suis au milieu de la foule. J'essaie de hurler, mais aucun son ne sort de ma bouche. Personne ne m'entend. Pourtant, je connais tous ces visages. Ils me dévisagent, ils m'ignorent. Je suis seule, comme je l'ai toujours été. Je tombe à terre, je ne sais pas si c'est à cause de l'épuisement ou d'une certaine résiliation. Je devrais voir la vérité en face ; personne ne va venir m'aider. Je baisse les yeux vers mes mains. Elles sont pleines de sang. Je panique, je suffoque. Je relève la tête, et je le vois. Cet homme... Habillé de noir, il se tient devant moi, impassible. Je ne peux pas voir son visage. Néanmoins, je sais qu'il me dévisage comme tous les autres. Je suis seule au milieu de la foule, je suis seule, je suis seule..."
-Réveillez-vous, Danae.
La jeune femme ouvrit les yeux, haletante. Elle regarda autour d'elle. Le docteur Jouani se tenait face à elle, dans son fauteuil de cuir habituel. Son carnet de notes était posé sur ses jambes croisées. La page était noire d'annotation en tout genre. Elle tendit le bras, et arrêta le métronome qui jusque-là continuait de fonctionner.
Danae se releva du divan ou elle était allongée, et but un verre d'eau que le docteur avait laissé sur une table basse face à elle. Elle posa le verre, et attendit que la femme fasse son bilan.
-Faites-vous ce cauchemar régulièrement? Finis par demander cette dernière.
-Chaque nuit. Comme un cercle sans fin.
-Bien. Pour moi, ceci est le reflet de votre culpabilité. Vous culpabilisez de ce que vous avez fait, il y a maintenant un an de cela. Vous avez failli abandonner votre famille, vos amis, votre vie. Et encore aujourd'hui, vous ressentez cette culpabilité sans même vous en rendre compte.
-Et mes mains pleines de sang ?
-Mademoiselle Pereira, vous avez tenté de vous suicider en vous ouvrant les veines. Là aussi, le sang n'est que le reflet de cette culpabilité. Elle prend également cette forme, car c'est la manière grâce à laquelle vous aviez tenté de mettre fin à vos jours. Comprenez-vous ce que je veux dire ?
-Oui, je comprends.
-Bien. Quant à cet homme, vous dites que vous ne pouvez pas voir son visage. Mais si vous aviez l'opportunité de créer le créer, de toute pièce, le feriez-vous?
-Oui, sans hésiter.
-Alors, reprenons.
Là était le quotidien de Danae depuis ce que ses proches appelaient sa "descente". Les visites hebdomadaires chez le docteur Jouani avaient été un accord passé entre elle et l'institut pour avoir la possibilité de continuer ses études sans être internée.
Il y a un an, suite à une tentative de suicide,la jeune femme avait été diagnostiquée comme étant "charnelle". Cette particularité lui octroyait la possibilité d'aimer plus que la capacité d'un humain "normalement constitué" d'après les médecins. Malheureusement pour elle, elle en avait fait l'amère expérience bien avant que ce bilan ne tombe. Être charnelle pouvait être perçu comme un don de pouvoir vivre l'amour d'une manière extraordinaire. Pour Danae, ce n'était qu'une malédiction, parce que c'était aussi le malheur de connaître la destruction intérieure lorsqu'on donnait son coeur à une personne qui ne le méritait pas. Tomber amoureuse de la mauvaise personne pouvait être fatal pour elle, car cela impliquait une chute bien plus rapide et douloureuse qu'une rupture pour des personnes "normales". Et c'est ce qu'elle avait fait. Elle avait donné son coeur et son âme à un homme, et il l'avait détruit.
Son téléphone sonna ; huit heures quarante-cinq.
-Merde, la fac ! S'exclama-t-elle. Elle sauta de son lit et couru dans la salle de bain. Elle prit sa douche en un éclair, enfila une tenue qu'elle avait heureusement préparé la veille, et sauta dans sa voiture. Bien, j'ai exactement vingt minutes pour être dans la salle de cours, pensa-t-elle en mettant le contact, ça devrait le faire. Elle démarra en trombe en direction de l'université.
A cette époque de l'année, le campus semblait plus vivant que durant les cinq derniers mois. Peut-être était-ce le printemps ou l'arrivée de la fin d'année? C'était un phénomène que Danae ne comprenait pas, même après deux années passées entre ces murs. Le retour des étudiants signifiait aussi une avalanche d'émotion négative pour la jeune femme. Même si douze mois étaient passés, elle voyait ce visage destructeur sans arrêt. Elle prit de grandes inspirations pour essayer de calmer une crise de panique qu'elle sentait imminente.
Son téléphone sonna de nouveau; "cours de Mr Desra annulé". Super... Si j'avais su, je serais restée au lit. Pesta-t-elle intérieurement. Elle fit volte-face, et sortit du campus. Je vais aller boire un café, ça va me détendre.
Les doux rayons du soleil de mai venaient caresser ses joues et réchauffer son corps. Même si le printemps s'était depuis longtemps installé, les températures étaient encore loin d'être suffisamment agréable pour quitter sa veste. Elle entra dans le café qu'elle fréquentait depuis qu'elle était entrée à la fac ; le Bluecaps. C'était le repère des étudiants par excellence, ou on pouvait écouter de la bonne musique et se détendre en buvant une bonne boisson chaude. Danae y allait aussi souvent que ses cours le lui permettaient, pour se détendre ou travailler entre deux cours magistraux. La clochette sonna quand elle passa le seuil de la porte. Vu l'heure quelque peu matinale, les banquettes étaient encore vides, la plupart des adeptes de ce lieu étant en cours.
-Salut Joe! Lança la jeune femme en apercevant le gérant.
-Salut Dana! Lui répondit-il en affichant un sourire jusqu'au bout des oreilles. C'était un homme qui avait à peu près la cinquantaine, et qui avait succédé à son père pour reprendre ce café. On racontait même que son grand-père avait fait de la résistance dans ce café lors de l'occupation allemande. C'était un commerce qui restait dans sa famille depuis des générations, tout comme la gentillesse qui les caractérisait.
Danae alla s'asseoir au fond du café, sur une banquette en cuir noir. C'était de loin sa place favorite, non pas parce que c'était confortable, mais parce qu'elle avait une vue sur l'ensemble de la pièce. Joe s'approcha d'elle, et déposa une immense tasse sur la table.
-Un latte caramel pour ma cliente préférée avec un petit sachet de sucre et un petit pain au chocolat, dit-il jovialement. Tu n'as pas cours ?
-Annulé, répondit l'étudiante en avalant une gorgée de la boisson chaude. C'est délicieux Joe, comme toujours. Merci.
-Vive la fac, ma grande. Ne t'en fais pas, le monde du travail est encore pire, lança-t-il en lui adressant un clin d'oeil.
Elle lui rendit, et il retourna derrière le bar. Elle sortit un livre et se plongea dans sa lecture.
2 commentaires
LK SISSOKO
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Il y a 5 ans
J.Prouvée
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Il y a 5 ans