Fyctia
Nora
Le silence retombe entre nous tandis que nous nous installons. Je me pose près d’Alice. Je n’ose pas prendre sa main. Pas alors qu’il y a tant de monde, tant de regards qui s’attardent sur nous.
Tant de menaces.
Je voudrais pouvoir affirmer que je suis plus forte que ça, que je n’ai pas peur des réactions de haine mais, quand je ferme les yeux, je revois mes fenêtres éventrées et des salopes taguées sur mes murs.
Je sursaute soudain lorsqu’Alice pose la main sur la mienne. Le dos droit, la mâchoire crispée, elle rend regard pour regard.
Œil pour œil.
Ses doigts se resserrent sur les miens et je lui trouve d'un coup un air féroce. C'est une guerrière qui affronte l’opprobre et la réprobation. Une louve, une lionne, de celles qui font les luba, les fondatrices, les reines aux pieds nus. Fières et humbles tout à la fois mais qui n’hésitent pas un instant à montrer les crocs face au canon du fusil.
Cet instant fugace suffit à me rappeler qui je suis et que je n’ai pas honte d’aimer les femmes. Que je n’ai pas honte d’aimer Alice.
J’entrelace mes doigts aux siens et les porte à mes lèvres en un geste d’excuse muet.
Nous échangeons un regard et elle s’adoucit assez pour m’adresser un sourire tendre par-dessus nos mains jointes.
En face de nous, Victor et Adrien se détendent peu à peu à leur tour. L’attention que notre arrivée a attirée se délite peu à peu et chacun revient à son propre malheur. Adrien laisse son épaule reposer contre celle de son compagnon, leurs mains se joignent entre eux, cachées entre leurs hanches.
Alix s’est allongée sur le côté. Je pense d’abord qu’elle va essayer de s’endormir mais elle finit par se relever.
— Ces tapis de sol sont trop durs pour ma vieille carcasse, se plaint-elle.
Un petit rire m’échappe mais ne franchit pas la barrière de mes lèvres. Des bénévoles circulent entre les sinistrés pour leur proposer des sandwichs emballés dans du cellophane. L’un d’entre eux ne nous quitte pas du regard. Lorsqu’il remarque mon attention, il m’adresse un sourire avant de continuer.
Et le déclic détonne dans ma mémoire.
Une de ses collègues s’arrête auprès de notre petit groupe de naufragés pour nous proposer de quoi manger. J’entends à peine ce qu’elle nous dit.
Parce que ce gentil garçon qui aide les pauvres sinistrés réchappés de la tempête, ce brave gars qui semble si gentil… Il y a deux ans, il me traitait de salope, il disait qu’Alice n’était qu'une sale chienne en chaleur et nous balançait un cocktail molotov à la sortie du commissariat.
J’inspire brusquement et ferme les yeux, le temps de maîtriser la panique qui monte.
Lorsque je les rouvre, il n’est plus en vue.
2 commentaires
Eva Boh & Le Mas de Gaïa
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Il y a un mois
Gaëlle K. Kempeneers
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Il y a un mois