Fyctia

"Ça y est… Les premiers flocons de l’hiver sont arrivés. Cette année, ils sont venus m’annoncer un bien triste événement : mon premier Noël sans toi.

Je dis “mon”, mais je n’oublie pas le reste de la famille… On a tous beaucoup de mal à accepter ton départ, tu sais. Une table de fête sans toi, c’était inimaginable.

Je n’oublierai pas ton cadeau. Je viendrai le déposer à minuit pile, sans faute. Je suis sûre que, de là-haut, tu l’apprécieras.

Bisous,

Ta fille qui t’aime."

Elena referma son carnet et posa son regard sur le ciel noir de décembre. Aucune étoile en vue, mais elle s’amusa à les imaginer, à dessiner dans sa tête les rares constellations qu’elle connaissait. C’était sa façon à elle de rêver.

— Elena, viens un peu avec nous ! cria sa mère d’en bas.

Elle soupira, prit dix bonnes minutes pour rassembler son courage, puis descendit les marches, l’allure d’un mort-vivant.

Ses grands-parents étaient là, tous deux arborant un sourire teinté de tristesse. Henry lui prit la main avec tendresse.

— Ma chérie… À chaque fois que je te vois, tu es encore plus belle qu’avant. Tu deviens une jeune femme magnifique.

Elena lui offrit un sourire discret et prit place autour de la petite table ovale. Une belle nappe rouge et verte cachait les marques du temps, et sa mère avait sorti la vaisselle des grandes occasions. Dans un coin du salon, le même énorme sapin depuis son enfance clignotait à intervalle régulier sous le poids des guirlandes lumineuses. Une douce odeur de dinde flottait dans l’air.

Les conversations s’enchaînèrent au fil du repas, sous l’oreille distraite d’Elena.

— J'ai encore en tête ces rues enneigées, on se serait crus dans un de ces films qu'ils passent en boucle à la télévision à cette période de l'année ! Et ces décorations, les cadeaux sous le sapin, une vraie réplique de la maison du Père Noël. C'était merveilleux, cette année-là… rêvassa sa grand-mère, perdue dans ses souvenirs.

Henry hocha lentement la tête, un éclat de nostalgie dans le regard.

Personne ne trouva rien à ajouter, chacun semblant plongé dans ses propres pensées.

Elena baissa les yeux vers son assiette, jouant distraitement avec sa fourchette.

— On n’a plus beaucoup de moyens, confia-t-elle soudain. Maman gère seule les dépenses, et son salaire ne suffit pas. Moi, je n’ai pas encore trouvé de travail. C’est difficile, ces temps-ci…

Tous baissèrent le regard. Marylène, sa mère, toussota.

— Oui, en parlant de ça…

Elena leva les yeux vers elle.

— On se disait que… peut-être que… tu pourrais travailler à l’écurie, avec nos employés. Ils ne s’en sortent pas à trois, et on ne peut pas se permettre d’embaucher quelqu’un d’autre.

— Non.

Sa réponse fusa, sèche et tranchante. Aucune hésitation. Pas même une seconde de réflexion.

— L’écurie ne fonctionne plus, de toute façon.

— Justement ! Avec toi en plus dans l’équipe, on pourrait peut-être redresser la situation…

— C’est hors de question. Oublie.

Le silence retomba, lourd comme le plomb. Les minutes défilaient à la lenteur d’un sablier brisé, son sable figé dans le temps.

— Pourquoi ne pas vendre l’écurie et ses chevaux ? demanda-t-elle soudain. Ils coûtent une fortune et ne rapportent plus rien depuis des mois.

— Je ne vendrai pas ce que ton père chérissait tant ! s’écria Marylène.

La jeune femme serra la mâchoire, torturant sa serviette de la poigne ferme de ses mains.

— À t’entendre, on dirait que ce n’est pas justement ça qui l’a tué !

Les couverts d’Elena claquèrent contre l’assiette. Elle se leva d’un bond, les joues en feu.

Sans un mot de plus, elle quitta la table à grandes enjambées, gravit les escaliers et claqua la porte de sa chambre.