Fyctia
L'enquête
29 septembre 2026, Bureau de l'entreprise, 10h50
L’ascenseur m’a déposée au rez-de-chaussée avec un bruit sourd, comme un avertissement. La porte s’est ouverte lentement. Le hall était désert. Je me suis dirigée vers le comptoir de l'accueil, là où Cindy, la standardiste, faisait une fois de plus son numéro. Coupe garçonne blonde, chewing-gum qu’elle mastiquait avec un bruit sec, concentrée sur son appel. Elle semblait à mille lieux de ce qui se passait autour d'elle, dans son petit monde à elle, parallèle et bruyant. Je la reconnaissais, ce petit sourire figé sur ses lèvres carmin, ces yeux qui levaient les paupières en signe d'exaspération. Je me suis arrêtée devant elle, silencieuse. Puis, sans un mot, je me suis appuyée contre le comptoir. Elle m'a aperçue, ses yeux se sont levés brièvement, m'ayant à peine remarquée avant de se perdre à nouveau dans le fil de sa conversation. Mais ce petit sourire m’a fait comprendre qu’elle savait que j’étais là. Elle savait. Finalement, elle a raccroché avec un air blasé. Ses yeux se sont fixés sur moi.
- Alex, ma belle, je peux t'aider ? m’a-t-elle demandée avec ce sourire lumineux, ses lèvres fuchsia éclatantes.
- Oui, ai-je commencé, presque sans réfléchir. J’ai eu Théa au téléphone, à propos d’Amanda, la stagiaire. Dis-moi, tu peux me renseigner sur un truc ?
Elle a haussé les épaules, un air de fausse inquiétude. Le genre de personne qui s’empêche de s’investir, mais dont chaque mot semble chargé de sous-entendus. Elle savait, elle avait toujours su.
- Tu sais, Alex, dit-elle, sa voix soudainement plus basse, je suis tellement triste pour ce qui arrive. J’aime pas trop parler de morts... Elle a chuchoté la dernière phrase, un sourire discret en coin, comme si elle s'adressait à un esprit invisible.
J'ai plongé mon regard dans le sien. Chaque mot était un défi, un jeu. Elle était l’alliée parfaite dans ce dédale de mensonges et de demi-vérités. Cindy savait tout.
- Cindy, ai-je insisté, tu es la personne qui peut m’aider. Tu sais tellement de choses. Surtout toi. J’ai laissé ma voix s’adoucir, un doux poison. Elle raffolait de ce genre de flatterie, comme un chat que l’on caresse avant de le faire jouer.
Elle a baissé son regard sur son rouge à lèvres, caressant le contour de ses lèvres d’un air satisfait. Elle adorait qu’on lui reconnaisse sa maîtrise des gens, de la situation.
- Tu sais parler aux gens, toi, a-t-elle murmuré, se penchant légèrement en avant. Je t’écoute.
- Amanda et Isaac, tu sais quelque chose ? ai-je chuchoté, me penchant un peu plus près d’elle, comme pour partager un secret.
Elle a souri en levant les yeux au ciel, un air de défi dans son regard.
- Mmmh... Elle savait qu’elle détenait la clé, qu’elle allait me dévoiler quelque chose, mais elle prenait son temps. C’était un jeu.
- Tu vois tout, toi, tu sais tout. T’as forcément vu quelque chose. J'ai insisté, ma voix à peine un souffle, un soupir, m'approchant davantage d'elle, comme si j'avais peur que quelqu'un nous entende.
- C’est vrai. Isaac, il aime les jolies filles comme toi. Elle m’a scrutée un instant, amusée. Il passait beaucoup de temps avec Amanda, et puis… un soir, il y a eu une dispute. Mon amie Patricia, tu sais, elle travaille au ménage au 5ème, elle les a entendus. Amandine lui reprochait qu’il fréquente quelqu’un d'autre, et puis elle a décidé d’arrêter de le voir. Elle a chuchoté la fin de l’histoire, comme si un secret honteux l’échappait.
Je la regardais fixement, essayant de déchiffrer la suite de cette histoire.
- C’est tout ? J’étais surprise, mais aussi frustrée.
Elle a secoué la tête, son sourire s'est fait plus cruel, plus assuré.
- Chérie, dit-elle, Isaac, c’est un homme à femmes. Il sait les repérer, les envoûter, puis... ça se passe toujours mal. Elle m'a observée un instant, scrutant mes réactions. La pauvre Amanda, après sa rupture non officielle avec lui, elle était complètement perdue. C'était comme si tout s'effondrait autour d'elle. Au travail, ça allait de mal en pis. Puis elle n’est plus venue… et tu connais la suite. Elle ne méritait pas de se retrouver pendue sous ce putain de pont.
- Et Camille, l'autre victime ? ai-je demandé.
Cindy a haussé les épaules, presque trop nonchalamment. Un regard de spectatrice avertie dans un drame dont elle est l'une des actrices principales.
- Pauvre Camille... Elle a laissé échapper un petit soupir, comme si elle regrettait sincèrement d’évoquer cette histoire. Elle était là pour un CDD de longue durée, tu sais ? Un contrat qui a expiré, puis elle est partie. Un soi-disant souci familial. Elle marqua une pause. Mais, tu sais, Alex, je pense qu’il y avait autre chose... Un homme peut-être ? Une mauvaise rencontre... Le dernier jour où elle est venue, continua-t-elle en baissant la tête, sa voix devenant presque un murmure. Elle paraissait... en hypervigilance, tu sais, comme si quelque chose lui échappait. Et puis elle hurlait contre tout le monde. C’était comme si elle avait perdu le contrôle.
- Et avec Isaac ? ai-je insisté, le cœur battant plus vite. Je ne pouvais m'empêcher de l’associer à ces disparitions, à ces vies qui se perdaient dans un tourbillon d’ombres.
- Aucune info sur lui, rien de précis. Mais... Elle a marqué une pause, un sourire en coin. Chantal du service marketing, tu sais, m'a dit un soir qu'elle les avait vus ensemble. Ils sont sortis ensemble du studio d’Isaac.
- Et combien de personnes là-haut viennent te chuchoter des secrets ? ai-je dit, un rire nerveux m'échappant alors que je levais les yeux au ciel, comme pour me donner une contenance.
Elle a rigolé.
- Beaucoup, chérie. Elle se pencha un peu plus près. Et je sais aussi des choses sur toi... Et lui.
- Je t’arrête tout de suite, ai-je répliqué, mes mots presque aussi tranchants que des couteaux. Il n’y a rien du tout, tu entends ? Rien.
- Fais attention, Alex, vraiment, m’a-t-elle dit, sa voix se faisant plus grave, presque pleine de lourds secrets. Tu sais, les hommes... ils ont ce pouvoir. Ses yeux ne me quittaient pas, comme si elle scrutait chacune de mes réactions, chaque frémissement qui traversait mon visage. Ils peuvent nous faire voir le pire de nous-mêmes. Elle a laissé les mots s’installer dans l’air, les pesant, comme si elle savait à quel point ces phrases allaient m’atteindre. Et parfois... ils nous détruisent.
1 commentaire
MarwanS
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Il y a 6 jours