Fyctia
Le questionnement
09 novembre 2025, Levallois-Peret, Paris
Je venais de raccrocher avec le commissaire, mon cœur battait toujours un peu trop vite. Je me redressai brusquement, les yeux rivés sur l'écran froid des archives. Le vide qui m’envahit à cet instant était presque palpable. L’envie de manger, qui m’avait frôlée quelques secondes plus tôt, s’était évaporée, engloutie par la tension du téléphone. Un goût amer dans la gorge. L’échange venait de me perturber plus que je ne voulais bien l’admettre.
Je scrutai la pièce d’un regard furtif. Ma souris glissa lentement sur le dossier d'Amanda. Je cliquai, et une nouvelle page se déploya devant moi, sombre et intrigante. 23 ans. Comme moi. Mais quelque chose me serra le ventre. Ce n’était pas la simple coïncidence de l’âge qui m’ébranlait. Non, c’était la manière dont son histoire se déroulait, avec cette absence inexplicable, un vide glaçant. Amanda avait signé un stage de huit mois. Mais au bout de cinq, elle avait disparu. Sans prévenir, sans laisser de trace. Pas une lettre, pas un mot. Juste… le néant. La normalité ne collait pas à l’histoire. Rien n'était normal.
En scrutant les dates de début et de fin de son stage, un frisson glacial me parcourut. Ce n’était pas possible. Elle aurait dû terminer le jour même où j'avais été embauchée. Pourquoi ce détail me frappait-il tant ? Une simple coïncidence ? Non. Cette sensation, cette étrange intuition qui montait en moi… Il y avait quelque chose de plus.
Un léger battement sur la vitre me fit sursauter. Mon cœur fit un bond. Je levai les yeux, reconnaissant Louna, la vidéaste qui travaillait près de mon bureau. Je posai une main tremblante sur mon cœur pour tenter de me calmer, mais l’écho du bruit résonnait encore dans mes oreilles. Je fermai rapidement mon ordinateur, comme si je voulais effacer ce qu'il venait de m'apprendre, puis me levai sans trop réfléchir. Il fallait que je m’éloigne un instant de cet écran, de ces dossiers qui commençaient à me prendre à la gorge.
— Je t’ai fait peur, Alex ? rigola Louna, une étincelle malicieuse dans le regard, avant de se diriger vers une des salles de pause.
— Oui… Désolée, j'étais perdue dans mes papiers, dis-je, la voix un peu plus plate que je ne l’aurais voulu, un mensonge presque imperceptible, mais qui m'échappa tout de même. Je me dirigeai vers le frigo pour récupérer mon repas, en espérant que cela m'aiderait à vider ma tête de toutes ces pensées qui me hantaient.
Une fois mon plat réchauffé, je m'installai près d’elle, entourée de quelques collègues. Le bruit de leurs voix était lointain, comme étouffé, tandis que mes pensées tournaient en boucle. Je n’arrivais pas à lâcher cette histoire d’Amanda.
— Dis-moi, Louna, tu connais une certaine Amanda, en stage ici ? demandai-je, la voix plus douce, presque feutrée, me rapprochant un peu d'elle.
Louna haussait les épaules, son expression restait implacable, presque trop calme.
— Oui, elle est partie avant la fin. Elle avait des soucis, répondit-elle, sans même un frémissement dans la voix, comme si elle racontait la météo.
Je plongeai mon regard dans le sien, mais je ne voyais aucune sincérité, juste ce masque indéchiffrable. Un frisson me parcourut. Il y avait quelque chose de plus dans cette histoire, et Louna le savait, j’en étais certaine.
— Tu sais pourquoi ? insistai-je, ma voix s'affinant légèrement, malgré l'effort pour paraître calme.
Elle tourna la tête lentement, puis me fixa avec intensité. Un léger tressaillement dans ses yeux trahit un malaise, mais il disparut aussitôt.
— Pas tellement… Tu sais, ici, les gens vont et viennent. Pourquoi toutes ces questions ? demanda-t-elle, son regard accrochant le mien avec une fermeté glaciale.
Un silence pesant s’installa entre nous. Je sentis une tension qui se tissait, une sorte de jeu invisible. Pourquoi m’était-elle devenue aussi distante tout à coup ?
— Comme ça, répondis-je, aussi indifférente que possible, bien que l’anxiété me fasse frémir sous le masque d’apparente tranquillité que je m’efforçais d’adopter.
— Écoute, désolée Alex, excuse-moi, j'ai passé une mauvaise matinée, me dit-elle d’une voix presque absente, comme si elle cherchait à se disculper.
Je hoche la tête sans répondre immédiatement, mes pensées encore accrochées à ses paroles et à ce qu’elles sous-entendaient. Un malaise sourd, indéfinissable. Je reprends ma bouchée, feignant de m'intéresser aux bavardages de mes collègues, mais mes oreilles ne captent que des bribes de leur conversation. Je suis ailleurs, mon esprit se perd dans un tourbillon d’interrogations. Une fois mon repas terminé, j’ai besoin de respirer, de sortir de cette pièce, de m’échapper, même pour quelques minutes. Je me lève sans un mot et me dirige vers la sortie. Les regards passent sur moi sans m'atteindre, et je sors enfin dans la cour extérieure. Je m’appuie contre la rambarde en bois, les yeux fixés sur les ruelles en contrebas. Le paysage urbain s’étend devant moi. La cour est vaste, presque trop grande, comme une enclave coupée du monde. Je tire une bouffée de ma cigarette, appréciant le calme relatif.
Soudain, une toux discrète me fit sursauter. Je me tendis immédiatement, un frisson courant le long de ma colonne vertébrale. Je me retournai instinctivement. C’était lui. Le garçon de la réunion. Celui qui avait refusé le café. Il était là, calme et impassible, absorbé par son téléphone, l’écran brillant dans la lumière de l’après-midi. Ses cheveux bruns, coupés en dégradé court, flottaient légèrement sous l’effet du vent.
Nos regards se croisèrent un instant, et je sentis une étrange tension s’immiscer dans l’air. Ses yeux bruns se fixèrent sur les miens, un instant de trop, et je détournai rapidement le regard. Une bouffée d’inconfort m’envahit. Je me redressai et me retournai, me sentant bête. Super Alex, niveau discrétion, pensais-je en soupirant intérieurement.
— Salut, entendis-je derrière moi, sa voix grave se fendant dans le silence de la cour.
Je me retournai à nouveau, cette fois un peu plus vite, déstabilisée par sa présence inattendue. Un léger sourire nerveux se dessina sur mes lèvres.
— Salut, répondis-je.
Il hocha la tête, et un silence s’installa entre nous, pesant, presque lourd. Puis, il brisa le silence, toujours aussi calme.
— Tu es la nouvelle ? demanda-t-il, ses yeux scrutant légèrement mon visage, mais sans insistance.
Je clignai des yeux, surprise par sa question, mais je tentai de masquer ma gêne en répondant avec un sourire un peu trop forcé.
— Euh, oui, enfin… sauf s'il y en a eu d'autres, ris-je, pour me détendre un peu. Ma voix sonnait comme un faux rire, mais je n’arrivais pas à faire autrement. Il fallait que je paraisse à l’aise.
Il inclina légèrement la tête, un sourire à peine perceptible effleurant ses lèvres.
— Je suis Isaac, m’annonça-t-il alors.
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Ava D.SKY
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Il y a un mois