Fyctia
Chapitre 9-1 Ezra
La bande continue de défiler sous mes yeux : je n’étais pas arrivé jusqu’au bout la dernière fois. Où est ce fichu 4x4 ? J’ai passé une partie de ma matinée, prostré devant l’écran de mon ordinateur, pendant que Kendall prenait connaissance du dossier. J’aurais pu rester à ses côtés, mais quelque chose me dictait de ne pas partager tout le temps le même espace qu’elle.
Deux heures plus tard, il apparait enfin ! Identique à la description de notre témoin. Je zoome, effectue des pauses, des captures d’écran et envoie tout aux petits génies du bureau. Peut-être qu’avec ce nouvel élément, nous allons pouvoir avancer.
Je me couche avec la sensation d’avoir tout raté. Cette mission est un fiasco. Je n’arrive même pas à maitriser le tempérament de Kendall ! Elle a la fâcheuse tendance à me faire sortir de mes gonds ! Alors, c’est vrai, c’est ma première opération de cette envergure, mais si Mercer m’a fait confiance, c’est que je suis capable de gérer ! Non ?
Je pensais avoir réussi à calmer le jeu en discutant, en lui expliquant le dossier en long, en large et en travers. Mais à la fin, elle s’est fermée et est partie se cloitrer dans sa chambre. Elle n’est même pas venue dîner. J’ai mangé seul devant une émission de télévision ridicule. Tout le monde riait, pas moi. Mon regard déviait vers la porte close. Je m’y suis rendue et l’oreille collée au battant, j’ai tenté de discerner le moindre son. Rien. Le néant.
Alors, quoi ? Qu’est-ce que j’ai encore pu faire de travers ?
Des voix sarcastiques s’élèvent dans ma tête et je veux les éliminer. Impossible de trouver le sommeil avec cette agitation dans mes pensées, j’enchaine trois séries de pompes, une séance d’abdominaux et me glisse sous une douche chaude.
Le jet froid m’aiderait à y voir plus clair, mais ce soir, aucune envie de me faire plus de mal. Notre houleuse conversation a besoin d’être évacuée de mon corps. Ni Dave ni Franck qui sont censés avoir pris leur tour de garde de l’autre côté du palier n’ont débarqué pour vérifier que tout allait bien. Ces deux-là, je ne connais que leur parcours dans le Bureau. Ils ont des bagages solides derrière eux. Des années d’expérience et ils sauront quoi faire en cas de problème. Ceux d’hier, je n’ai même pas retenu leur nom, trop absorbé par le début de mon enquête foireuse.
Mais il ne s’est rien passé. C’est comme si Kendall et moi étions seuls au monde.
Je n’ai pas le mot de passe pour la décoder. Pour comprendre les rouages de son cerveau. Alors, ai-je vraiment l’étoffe de l’agent que j’ambitionne de devenir ?
Le cri transperce l’obscurité. Encore une fois. Mais au contraire de la nuit dernière, je ne me lève pas. Je ne me précipite pas à son chevet. Elle ne le souhaite pas, et moi non plus. Parce que l’expression qu’elle arborait hier est gravée dans mon esprit. Ses grands yeux, cette infinie détresse… Mon cœur s’agit dans ma poitrine, je me tourne vers la cloison qui nous sépare et reste à l’affût du moindre bruit.
Elle se lève. Je perçois le froissement des draps, le martèlement du parquet, l’eau qui coule. Et puis tout redevient silencieux.
Mon réveil sonne en même temps que la porte de ma colocataire s’ouvre. A-t-elle pu se reposer ? Pourquoi est-ce la première question qui me traverse l’esprit ?
Je m’extirpe de ma couverture et prends une profonde inspiration. Aujourd’hui, je vais devoir m’échapper quelques heures de cet appartement.
Je m’habille d’un jean et d’une chemise, avant de sortir dans le salon.
Kendall est assise en tailleur sur le tapis. Sa tête est penchée en avant sur une feuille en papier, elle dessine quelque chose, mais de ma position, je ne vois pas de quoi il s’agit. Je la salue, elle ne desserre pas la mâchoire. Je me rends à la cuisine, prépare du café et reviens avec deux tasses. J’en dépose une sur la table basse, elle l’avise et lève vers un regard… Je ne capte pas son expression, bien vite balayée par une plus connue : celle qu’elle offre aux autres, aux policiers, aux gens qui s’approchent un peu trop d’elle. Celle que j’ai presque toujours côtoyée, d’ailleurs.
— Je suppose qu’il faudrait que je dise merci ? lâche-t-elle d’une voix froide, mais légèrement éraillée.
Je m’en fous qu’elle me remercie ou non ; je m’en suis fait un, je pouvais verser la liqueur dans une deuxième tasse.
— Je dois me rendre au bureau aujourd’hui.
Une lueur d’intérêt se réveille dans ses prunelles. Je baisse les miennes vers son dessin. Cet appartement, l’emplacement des pièces, l’agencement des meubles, tout y est représenté.
— Je suis assez grande pour me garder toute seule ?
— Je ne serais absent que quelques heures. Fais en sorte d’avancer sur l’affaire. Le temps presse.
J’ai abandonné l’idée de maintenir le vouvoiement. C’est trop tard de toute façon, Kendall a gagné cette manche.
— Tu attends vraiment de moi que je fasse tout le boulot ? siffle-t-elle.
Je soupire, n’ayant pas envie de revenir sur le sujet. Il faut croire que ma main tendue d’hier soir n’est plus d’actualité.
— J’aimerais pouvoir dire à la famille de monsieur Harris que nous avons des pistes.
Kendall grimace et attrape sa tasse. Elle avale quelques gorgées, les yeux clos. Je m’accroche à cette vision : elle ne peut pas voir que je la détaille, que j’inscris ces traits dans mon esprit. Pour plus tard. Pourquoi ai-je ce besoin tout à coup ? Pourquoi est-ce que je souhaite me souvenir d’elle ainsi ?
— Ne t’attends pas à ce que je cuisine pour toi en ton absence, lance-t-elle, les yeux rivés aux miens.
Voilà pourquoi. Parce que Kendall possède un trait d’humour qui fonctionne un peu trop bien avec moi. Sa remarque m’arrache un sourire.
Non !
Je le ravale, mais trop tard, Kendall l’a vue. M’éloigner est la meilleure solution. J’enfile mon manteau, quand sa voix s’élève :
— Tu veux un baiser d’adieu ?
Je me fige, pivote sur mes pieds et arque mes sourcils.
— Au cas où on ne se reverrait pas, toi et moi, poursuit-elle.
Je traverse de nouveau l’appartement et me plante devant elle. Sa tête est tournée dans un angle biscornu (elle est toujours assise sur le sol) et je prends appui contre le dossier du canapé. Mes doigts s’enfoncent dans la matière. Comme un ancrage dans la réalité.
— S’il te plait, contente-toi de remplir ta part du marché.
— Tu as remarqué que tu accours dès que j’ouvre la bouche ?
Mon cerveau bugge. Elle se trompe ! N’est-ce pas ? Pour lui prouver qu’elle a tort, je m’arrache à ses yeux et l’abandonne, après avoir déposé sans un mot deux barres de céréales sur le comptoir de la cuisine. Mieux vaut éviter que je retourne près d’elle.
9 commentaires
Ines.m
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Il y a un an
Eloïse_f
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barbaralaine
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Sophie Hamaud
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izoubooks
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