Fyctia
La tour de l'horloge 1/2
Sophie enfonça profondément les mains dans les poches de son manteau tandis que Constantin et elle approchaient de la tour de l'horloge de Valvernet. L'air nocturne était chargé de l'odeur de feu de bois qui s'échappait des cheminées voisines. Des flocons de neige s'accrochaient à ses cheveux, mais son esprit n'était pas tourné vers le paysage. Il était toujours concentré sur les révélations de Constantin.
Son grand-père. Les accusations. Le poids du passé qui pesait sur ses épaules.
Elle avait longtemps vu Constantin comme un charmant enquiquineur, un escroc avec un penchant pour l'aventure. Mais maintenant, elle sentait autre chose : le désespoir dans sa voix, la supplication silencieuse dans ses mots. Le Flocon d’Or n'était pas qu'une récompense pour lui, c'était l'héritage de sa famille.
Et cela l'effrayait plus que Marchetti ne pourrait jamais le faire.
— Tu es sûr que c'est ici ? demanda-t-elle en levant les yeux vers l'imposante structure.
La vieille pierre était saupoudrée de neige, et au-dessus d'eux, les aiguilles dorées de l'horloge brillaient au clair de lune, figées à vingt-trois heures cinquante-neuf précises.
Constantin acquiesça.
— Selon le vieux cantique qui accompagnait « La légende du vœu de Noël perdu » que nous avons trouvée : « Quand les carillons de minuit et les chants de Noël retentissent, le passé montre le chemin caché ». Cette tour faisait retentir des cantiques chaque veille de Noël, jusqu'à ce qu'elle cesse mystérieusement de fonctionner il y a des décennies.
— Mystérieusement ? répéta Sophie, un sourcil arqué.
Constantin lui lança un regard entendu.
— Certains disent qu'il s'agit d'une défaillance mécanique. D'autres que c'était... intentionnel.
Un frisson parcourut Sophie, et elle ne savait pas si c'était la faut du froid ou du ton plus sombre de Constantin.
— Allez, viens, l’encouragea-t-il en sortant une clé de sa poche. Je l'ai empruntée aux archives du village.
— Empruntée ?
— J'ai bien l'intention de la rendre, affirma-t-il avec un large sourire.
D'un mouvement rapide du poignet, il déverrouilla la lourde porte en bois et ils entrèrent.
L'intérieur sentait le vieux bois, la poussière et quelque chose de légèrement métallique. Sophie passa une main gantée le long du mur de pierre incurvé tandis qu'ils montaient l'escalier étroit, leurs pas résonnant dans le silence inquiétant. La seule lumière provenait des fenêtres cintrées, le clair de lune projetant de longues ombres sur les murs.
En haut des marches, ils pénétrèrent dans une vaste pièce dominée par l'imposant mécanisme de l'horloge. Les engrenages, rouillés et oubliés, étaient figés sous le cadran, leurs incrustations dorées ternies par le temps. Contre le mur, un vieux panneau de cantiques en bois était couvert de toiles d'araignée, ses lettres à peine visibles sous la poussière.
Sophie s'en approcha et essuya la crasse du bout des doigts. Des mots à moitié effacés, gravés sur la surface, disaient :
Hymne 12 : « Les cloches de Valvernet »
Constantin se pencha vers elle.
— C'est ça.
Il fouilla dans son manteau et en sortit le vieil hymnaire qu'ils avaient trouvé aux archives. Il le feuilleta jusqu’à la page correspondante, puis parcourut les paroles.
« Quand les carillons de minuit et les chants de Noël retentissent,
Le passé révèle le chemin caché.
Sous les mains dorées vigilantes,
Un secret attend dans les contrées enneigées. »
— « Les mains dorées », répéta Sophie, pensive. Ce doit être les aiguilles elles-mêmes.
— Une minute avant minuit, releva Constantin en levant les yeux vers les aiguilles gelées.
Il porta le regard sur l'imposante cloche en laiton au-dessus, puis le ramena sur le tableau des cantiques. Sans un mot, il tendit la main et appuya sur le cadre en bois. Il y eut un léger déclic.
Une partie du mur grinça avant de coulisser, dévoilant un passage secret menant vers le bas.
— Eh bien, c'est subtil, commenta Sophie, le souffle coupé.
Constantin lui lança un sourire en coin.
— On y va ?
Ils s’engagèrent dans la passage. L'air devenait sensiblement plus frais à mesure qu'ils descendaient les marches de pierre. Les murs se resserrèrent. Des appliques à bougies bordaient le chemin, éteintes depuis longtemps, mais portant encore les fantômes des flammes passées.
En bas, ils pénétrèrent dans une petite pièce bordée d'étagères où s’empilaient des registres poussiéreux et des rouleaux. L'odeur du vélin et de la vieille encre emplissait l'air.
Sophie caressa le livre le plus proche.
— Registres des ventes aux enchères, murmura-t-elle, lisant l'étiquette décolorée.
Constantin fronça les sourcils.
— Ce doit être l'endroit où Valvernet consigne toutes ses transactions et ventes.
Il effleura un grand livre relié en cuir usé, dont le dos tenait à peine. Il l'ouvrit et parcourut les pages jaunies.
Puis il se figea.
— Sophie, souffla-t-il.
Elle se retourna pour le voir lui montrer une page datée du 24 décembre 1953. L'entrée mentionnait un seul artefact.
Objet : Le Flocon d'Or.
Vendu à : Acheteur inconnu.
Statut : Transféré.
— Il a été vendu ? s’exclama Sophie, dont le pouls s'accéléra.
— Ou volé sous le couvert d'une vente, lâcha-t-il, les mâchoires serrées.
Il tourna la page, cherchant plus d'informations, mais avant qu'il puisse continuer, un fracas soudain et aigu retentit au-dessus d'eux.
Ils s'immobilisèrent tous les deux.
Puis ils entendirent des pas.
Lourds. Résolus.
— Marchetti, jura Constantin à voix basse.
— Nous devons sortir d'ici, le pressa-t-elle, le cœur battant à tout rompre.
Constantin fourra le registre sous son bras et ils remontèrent l'escalier en courant. Le passage était resté ouvert, mais dès qu'ils retournèrent dans la pièce principale, ils découvrirent la source du bruit.
Une silhouette se découpait dans l'entrée, la faible lueur de la lune soulignant une large carrure. Une odeur de cigare flottait dans l'air, douceâtre et écœurante dans la fraîcheur de la nuit.
Linus Marchetti.
Ses yeux sombres brillaient d'amusement.
— Vous êtes tenaces, tous les deux.
Sophie serra les poings.
— Et vous êtes trop curieux.
— La persévérance est une vertu, gloussa-t-il. La sottise, par contre...
Il porta le regard sur Constantin.
— Tu pensais vraiment échapper à l'Histoire, Arceneaux ? Le passé finit toujours par vous rattraper.
— La seule chose qui vous rattrapera sera les autorités, une fois que nous aurons prouvé vos actes, répliqua-t-il, l’air assombri.
— Ah ! Mais vous voyez, j'ai l'avantage ici, soupira-t-il en s'avançant.
Il désigna les hautes fenêtres de la tour de l'horloge, d’où l’on voyait la ville plongée dans un silence paisible et endormi.
— Personne n'entendrait si un malheur se produisait ici.
L'estomac de Sophie se remplit de glace.
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