Fyctia

Le soir venu, la cérémonie d'illumination du sapin de Noël de Valvernet avait transformé la place du village en un lieu tout droit sorti d'un conte de fées.

Des flocons de neige virevoltaient paresseusement dans l'air, fondant sur les joues de Sophie. Des guirlandes scintillantes étaient enroulées autour des réverbères, jetant une lueur dorée sur les pavés. L'air froid embaumait les marrons grillés et le vin chaud, le pin et la cannelle.

C'était magique, et Sophie était déterminée à ne pas laisser Constantin deviner qu'elle le pensait.

Il lui donna un petit coup de coude.

— Essaie de ne pas avoir l'air si malheureuse, chérie. On nous regarde.

— Je suis malheureuse, répliqua-t-elle avec un sourire crispé.

— Tss tss, fit Constantin. Et moi qui pensais que tu embrassais enfin l'esprit de Noël.

Elle ne daigna même pas lui répondre.

La foule se rassembla autour du conifère imposant au centre de la place, aux branches saupoudrées de neige fraîche. À son pied, des enfants serraient des tasses de chocolat chaud tandis que des couples se blottissaient l'un sur l'autre pour se réchauffer. Des rires éclataient dans l'air, mélodie de joie festive.

Sophie serra ses bras autour d’elle, légèrement frissonnante. Non pas à cause du froid, mais à cause de la proximité de Constantin, qui avait passé avec désinvolture un bras autour de ses épaules pour sauver les apparences.

— Tu t'amuses bien, on dirait, grommela-t-elle.

— Cela m'amuse que tu fasses semblant de ne pas apprécier la situation, corrigea-t-il à voix basse, l’air bien trop amusé.

Elle le fusilla du regard mais ne s'éloigna pas. Ils étaient censés jouer le rôle d'un couple, après tout.

Le maire monta sur une petite scène en bois, micro à la main.

— Bienvenue à tous à la traditionnelle illumination du sapin de Noël de Valvernet !

Les applaudissements fusèrent, l’enthousiasme contagieux.

Constantin se pencha, son souffle chaud dans son oreille.

— Admets-le, tu apprécies.

— J’apprécierais encore plus sans toi, maugréa Sophie entre ses dents.

— Tu me blesses encore une fois, gémit-il en se serrant théâtralement la poitrine.

Avant qu'elle ne puisse répliquer, le maire poursuivit :

— Ce soir, nous accueillons un couple très spécial pour nous aider à allumer le sapin !

Sophie se figea.

— Oh, c'est de mieux en mieux ! exulta Constantin, tout sourire.

Le maire le lui rendit.

— Sophie et Constantin, rejoignez-moi !

Des murmures d'excitation parcoururent la foule. Les couples choisis pour cet honneur étaient généralement des fiancés ou des jeunes mariés de la région, pas deux personnes qui se supportaient à peine.

Sophie se tourna vers son partenaire, les yeux écarquillés.

— As-tu...

— Absolument pas.

Mais il semblait bien trop amusé.

Elle eut à peine le temps de protester que Constantin lui prenait la main et l'entraînait à travers la foule. Les acclamations retentirent lorsqu'ils montèrent sur la scène, leurs doigts entrelacés l'image même d’une romance des fêtes de fin d'année.

Le maire indiqua un grand levier en métal à côté de l'arbre.

— À trois, nous comptons à rebours ensemble !

Sophie déglutit difficilement. Elle sentait tous les regards braqués sur eux, mais plus encore, elle sentait la main de Constantin dans la sienne, ferme, chaude et réconfortante.

Elle détestait l’avoir remarqué.

— Trois... deux... un !

Constantin serra ses doigts et ils actionnèrent le levier.

L'arbre s’embrasa dans une lumière dorée, les décorations scintillant comme des étoiles capturées. La foule poussa des cris de joie et, pendant un bref instant, Sophie oublia Marchetti, le Flocon d’or, tout sauf la façon dont la lueur des ornements se reflétait dans les yeux de Constantin, les rendant incroyablement chauds.

Il se tourna vers elle, l’air doux.

— Tu vois ? Ce n'est pas si mal.

Le cœur de Sophie rata un battement. Dangereusement.

Elle retira sa main de la sienne et recula, esquissant un sourire forcé.

— Tu sembles terriblement content de toi pour quelqu'un qui s'est fait voler la vedette par un arbre.

Constantin gloussa, mais il y avait quelque chose d'indéchiffrable dans son regard, quelque chose qui enflamma les joues de Sophie.

Alors qu'ils descendaient de la scène, les premiers accords d'une valse retentirent sur la place, joués par un quatuor. Des couples se balançaient ensemble sous les guirlandes lumineuses colorées, la neige tourbillonnant autour d’eux en cercles lents et oniriques.

— Danse avec moi, lança Constantin, la main tendue.

— Tu plaisantes, j’espère ? s’indigna Sophie en clignant des yeux.

— Non, répondit-il simplement, son sourire exaspérant. Les couples d’amoureux dansent après avoir allumé un sapin de Noël, Sophie. Nous avons une image à préserver.

Elle hésita, mais la foule qui les observait ne lui laissait guère le choix. Avec un soupir exaspéré, elle plaça sa main dans la sienne.

Il l'attira contre lui, la guidant sans effort dans la danse. Il posa la main au creux de ses reins et sa chaleur intense traversa son manteau. Il dégageait une légère odeur de cèdre et de cannelle, qu'elle refusait de trouver attirante.

— Tu me fixes, chuchota-t-il.

Sophie détourna vivement le regard.

— Je te fusille du regard.

— Mais bien sûr.

Tout à coup, il la fit tournoyer et elle se mit à rire malgré elle. Son éclat de rire fut bref mais pas assez pour qu'il ne le remarque pas.

— Voilà qui est mieux ! dit-il, le sourire adouci.

Avant qu'elle ne puisse le rabrouer, un mouvement au bord de la place attira son attention.

Marchetti.

Il se tenait en bordure d’un cercle de lumière, les observant avec une patience qui la fit frissonner.

Constantin suivit son regard et soupira.

— Ça, c'est un tueur d'ambiance.

— Nous devons trouver le prochain indice, et vite ! s’exclama Sophie, dont le pouls s'accéléra.

Constantin ne discuta pas. Il la fit virevolter une dernière fois, puis lui chuchota à l'oreille :

— Demain, nous découvrirons ce que Marchetti sait vraiment.

Et d’un coup, la danse était terminée.