Fyctia
Chant XI Des réfugiés 1
Néoméris tenait entre ses mains la jarre émaillée bleue aux reflets de bronze qui avait été donnée à Anatola lors de son entrée au temple. Elle lui avait été reprise lorsqu'elle avait été chassée. Elle n'était plus qu'un objet de décoration, exposée aux regards des visiteurs du temple en souvenir à la jeune prêtresse pêcheresse et du courroux de la déesse. En entrant dans le temple désert, c'était la première chose qu'elle avait vue. Elle avait ensuite recherché dans chaque coin du temple une forme de vie. Comme une désespérée. Et, il n'y avait rien. Si la vasque qui recueillait l'eau de la mer n'avait pas été retournée, on aurait pu croire que le temple n'avait jamais été habitée. Méléagre saisit Néoméris par le bras la forçant à retourner au navire. Elle ne prit que la jarre de Naxos. Des villageois et des soldats restaient vivants les avaient remarqués et suivis leur permettant de former un équipage de fortune commandité par le général et le prince.
Néoméris s'était réfugiée à l'arrière du pont. Après les premières émotions, les pleurs taris et la surprise de l'invasion effacée, les discussions fusèrent. Eurylipe, assis à l'avant, observait d'un œil sombre ses rescapés qui le suppliaient d'expliquer ce qu'il s'était passé. Il avait été lavé et aspergé de parfum si bien qu'on aurait dit qu'il n'avait rien vu. Malgré son jeune âge et la fatigue, il se tenait droit car il savait qu'il était la pierre angulaire du moral des siens. Derrière lui, Méléagre était debout, une main sur le pommeau de son épée. Ils avaient fait baisser les voiles pour ne pas que l'on pense qu'ils étaient des Troyens. Un homme, ratatiné par les brûlures qui marbraient son dos, s'approcha de lui :
— Mon prince...
— Je suis roi maintenant. Le coupa froidement Eurylipe. Mon père...
Sa voix vacilla et son regard se porta sur Méléagre. Le général eut un léger frémissement. Lorsque les portes du palais avaient cédé, il n'avait pas fallu cinq minutes aux envahisseurs pour fondre dans la chambre du roi. Il avait été abattu dans son sommeil. Poignardé à plusieurs reprises dans la poitrine. Les dieux ne pourront pas laisser impuni ce crime contre un roi que l'on a pas laissé mourir comme il le désirait :
— Mon... roi. Reprit l'homme. Savez vous ce qu'il nous ait arrivé ?
— Ceux sont les Troyens. Ils nous attaqué par surprise, comme les chiens qu'ils sont. Nous ne les laisserons pas impunis.
Un murmure inquiet se leva dans les rangs des Naxiens. Néoméris se terra un peu plus contre le bastingage. Ces humeurs se retournaient toujours contre elle. Et justement, elle entendit le mot "sorcière" des lèvres d'une jeune femme qui la regardait d'un œil mauvais. Bien qu'elle était loin du prince, celui-ci la surveillait :
— Où allons-nous ? Demanda une voix.
— Nous allons demander l'asile à Ithaque. Puis... nous aviserons.
Ce n'était pas une chose à dire. Un roi devait toujours avoir une réponse. Si ses paysans l'avertissaient qu'ils n'avaient plus de grains, il devait répondre qu'il en ferait importer. Quand bien même il mentirait. Ce conseil donné par son père résonna dans sa tête. Il éleva la voix :
— Nous trouverons les raisons d'une telle ignominie.
Des sueurs froides grimpèrent le long de la nuque de Néoméris. Il n'y avait pas de raison à une invasion. C'était juste un acte barbare parmi tant d'autres. Mais, les villageois exigeaient une réponse. On ne pouvait pas juste leur dire qu'ils avaient été massacrés gratuitement. Bien qu'elle baissa la tête, elle sentait les regards se tourner vers elle. Elle aurait bien joué et regardé par-dessus le bastingage et se retourner en haussant les épaules. L'esprit n'y était pas. Elle sentit sa minuscule pomme d'Adam remonter dans sa gorge alors qu'elle déglutit péniblement. Déjà, on commençait à s'approcher d'elle. Elle aurait sûrement passé par-dessus bord si Méléagre n'avait pas fondu entre les passagers pour se camper devant elle. Utilisant son corps massif comme un barrage :
— Personne ne la touchera. Menaça-t-il.
— Général, la sorcière est maudite. En la transportant parmi nous, nous risquons d'attiser la haine des dieux. Déjà l'invasion...
— Néoméris est venue avertir le roi de l'invasion. Elle est la première à avoir vu les navires troyens et s'est empressée de venir nous avertir. Il est de notre faute de ne pas l'avoir crue.
Néoméris ressentit une pointe dans son cœur à l'entente de cette phrase. Elle pensait que Méléagre n'avait pas douté de ses propos. Mais finalement, il avait succombé à la facilité et l'avait traitée comme les autres :
— Méléagre. L'appela Eurylipe qui s'était levé. Cette femme...
— Je sais ce que vous allez dire, ô mon roi. Mais, vous oublierez que c'est grâce à elle que nous avons trouvé ce navire. Alors que j'allais vous conduire vers une côte très certainement aux mains des Troyens, elle nous a transporté jusqu'à la seule rive déserte et nous a fourni un moyen de nous enfuir. Vous avez aussi vu cette vague qui a emporté les gardes. Elle est protégée par les dieux. Il est tant de le voir...
La jeune femme qui lançait des regards noirs à Néoméris s'approcha du général. Elle caressa du bout des doigts son avant-bras, de manière ce que seule la sorcière puisse la voir. Et puis, elle se pencha à son oreille :
— Méléagre, nous ne lui ferons pas de mal mais n'oublie pas ce qu'elle est. Un enfant d'un dieu répudiée par celui qui lui a donné la vie. Tu peux la garder en vie mais ne t'avises pas de trop l'approcher où Héphaïstos te montrera sa colère.
— Je le sais, Laetitia. Et je ne l'oublie. Cependant, vous obtiendrez la colère d'Amphitrite si vous vous en prenez à elle. Et nous sommes actuellement sur mer.
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