Fyctia
Chapitre 105 (1/5)
En cette fin d'après-midi du vendredi, je n’ai pas voulu m’arrêter plus tôt, pour une fois, les conditions météorologiques sur le chantier de fouilles sont parfaites. J’observe ma fine équipe d’archéologues, au sens littéral de son expression, à cette heure, il ne reste que le professeur Pol et Théodore. Rien ne peut éclipser ma bonne humeur.
J'évite juste de penser qu'à moins de vingt-cinq heures de la soirée 80's, je n'ai toujours pas fait de choix définitif pour mon costume. J'ai commis l'erreur de le mentionner à Marjorie, qui s'est missionnée, avec l'aide d'Alice, à m’en trouver un « extraordinaire ». Leur vision des choses m’inquiète déjà indépendamment et qu’elles combinent leurs efforts font un savant cocktail qui me dit que je devrais mieux rester sobre. Elles ont formellement refusé de me donner le moindre indice de leur projet. J’ai peur. Mais ai-je vraiment le choix ? Je n’ai pas d’idée.
Malgré la fatigue, je m'empare d'une pioche avec détermination. Mon objectif : déloger cette énorme roche qui obstrue mes futures fouilles. Je la brandis au-dessus de moi, elle s'enfonce vaillamment dans la terre, mais la pierre la méprise, sans broncher. À ma deuxième tentative, elle se fendille à peine, à la troisième, elle se craquelle légèrement, puis lors de ma quatrième offensive, elle s'accroche férocement à mon pantalon, et je sens l'acier froid pénétrer mon derme.
— Aie ! je hurle.
Je ferme les yeux et lâche l’outil. Dans un accès de rage, je donne un coup de pied dedans, mais le manche a un esprit de représailles retors, il rebondit et me gratifie d'un choc brusque sur le tibia. Immédiatement, je me retrouve à sautiller à cloche-pied dans une sorte de gigue improvisée au fond de mon excavation, avec laquelle Fred Astaire aurait eu du mal à rivaliser. Une scène qui me ramène à mes heures de souffrance lorsque ma mère tentait de m'apprendre vainement les pas de cette fichue danse.
— Saleté de pioche, je te maudis sur sept générations ! Ou plutôt sept recyclages, je maugrée.
Mon malheureux accident est si commun que personne ne daigne lever les yeux à mon onomatopée et à mon combat perdu d’avance. Je grimace sous la douleur, se prendre un coup de pioche dans les jambes est un événement chronique dans mon travail. Je suis convaincue que mes genoux exercent un magnétisme irrésistible sur les objets en métal : pelle, truelle, houe ou bêche, elles sont toutes aussi malfaisantes. La plus sournoise ? La brouette ! Elle ne se contente pas seulement de te rouler dessus ou de te donner des coups vicieux avec ses poignées, mais elle se fait un malin plaisir à se renverser afin de te faire perdre un temps précieux. Bien sûr, tous ces outils portent des noms au genre féminin, ce sont sûrement des hommes couards qui les ont baptisés. Je me redresse et observe mon pantalon déchiré, qui commence à prendre une teinte rougeâtre.
— Blessée ! j’annonce.
Il ne suffit que ce mot pour que Théodore court vers le kit spécial plaies, devenu mon fidèle ami. La trousse de secours, pas mon stagiaire. Il relève le textile soigneusement pour regarder ma blessure pour la nettoyer. Il émet un sifflement admiratif.
— Docteure Cloyère, vous ne vous êtes pas loupée ! C’est profond, il faudrait peut-être des points de suture.
— Ça m’arrive tout le temps, je ne pense pas. Comment avance tes propres fouilles, ça te plaît ? je me renseigne.
Il attrape une gaze et un bandage pour interrompre le saignement.
— Disons que je m’attendais à des véritables œuvres et non des copies. Ne vais-je pas être pénalisé dans mon rapport de stage ?
— Je contacterai vos professeurs pour que vos mémoires soient non consultables, c’est courant lorsque des étudiants travaillent sur des sites d’un promoteur privé.
Je lis un étrange soulagement sur son visage, tandis que je m’installe à la tente principale afin de prévenir Jérémie. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il est l’unique coupable de cette maladresse. J’ai retrouvé mon appartement la veille au soir et sa précieuse absence pour dormir m’a cruellement manqué, bien que monsieur ait catégoriquement refusé de rester malgré ma proposition chaleureuse avec des relents d’indécence. Comme à son habitude, sans le moindre éclaircissement, juste un vague : « Je dois effectuer un essayage pour samedi ». Je l’ai supplié dix fois, il a refusé de m’en dire plus. En réalité, je soupçonne qu'il m'en veut d'avoir quitté le manoir et qu’il me fustige à sa manière.
Je ne peux pas m’empêcher de sourire à Jérémie et son impertinent humour.
— Docteure Cloyère, excusez-moi, la carafe en terre cuite que j’ai déterrée est portugaise, c’est la première fois depuis le début de nos fouilles, m’interrompt Théodore.
Je repousse le téléphone et jette un coup d’œil à l’argile durcie entre les doigts du stagiaire, qui me semble très générique.
— C’est plutôt la technique de l’azulejo, cette faïence bleutée sur fond blanc pour reconnaître une inspiration lusitanienne. Pourquoi as-tu cette théorie ? je demande, surprise.
— Là, sur le socle, l’armoirie ressemble à celle du Portugal de 1911, mais avec une variation, elle est entourée d’un chevreuil, d’une sorte de poulet et de deux cannes à sucre !
Je m’approche sceptique et l’analyse avec précaution.
— L’oiseau, je le reconnais, mais son nom m’échappe ! je m’écrie de surprise.
Je braque le téléphone de KtH sur le récipient, puis sur la base afin de prendre des photos et lance la reconnaissance par l’image sur un site dédié pour connaître la source de l’héraldique. Merci internet et les réseaux de simplifier les recherches. En quelques secondes à peine, j'obtiens des indices à foison, des nombreuses pistes exploitables et des hypothèses insoupçonnées.
— Son vrai nom est le dronte de Maurice, plus communément appelé le dodo ! Il est représenté sur les blasons de différentes familles de navigateurs. Il s’agit de l’armoirie de plusieurs villes de la Réunion et… j’explique.
Je m’interromps brusquement, pourquoi suis-je encore surprise ? Tout me relie à ce lieu depuis des jours. Durant une fraction de seconde, je fantasme à l’idée de me faire un passeport pour enquêter sur place. Néanmoins, la raison, enfin plus exactement l’état de mon compte bancaire, m’en empêche. Peut-être en ravissant les points Miles de Jérémie ? Il m’a avoué qu’il en cumulait beaucoup grâce à son travail, et qui les utilise ensuite pour ses vacances.
— Le dodo est un animal endémique de l’île Maurice ! je crie d’exaltation.
27 commentaires
WildFlower
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Il y a un an
Paige
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Il y a un an
Nicole Pastor
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Il y a un an
Paige
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Il y a un an