Fyctia
Chapitre 59
Jérémie
Je transpire à grosses gouttes, me lève péniblement et m’effondre. Ma tête tourne comme catapulté dans une machine à laver. L’effet de l'encens saveur THC ? D'ici peu, la valve dans mon esprit va céder et je vais débiter une cascade de paroles intarissables, sans filtre.
— J’étouffe ici !
— Terrasse ? propose Éric.
Je suis heureux de sentir de l’air frais sur mes bras et mon visage. En ce mois d'octobre, le ciel arbore une teinte bleu Klein, la lune apparaît petit à petit, un tableau qui se construit progressivement sous mes yeux. La maison n’est pas clôturée, je marche nonchalant jusqu’à l’orée du bosquet. Je constate des plants de coquelicots, étrange en cette arrière-saison. J’inspire profondément. Le parfum enivrant du cèdre remplit mes poumons, suivi de celui de la mousse humide et des champignons. Une odeur âcre de feu de cheminée perturbe mes narines. En réalité, ça vient du brasero de la terrasse.
Je suis détendu. Je pense à ses prunelles carmélites. Mes doigts rêvent de s'égarer dans ses cheveux alezans. Depuis le début du mois, mes sentiments sont troublés à sa vue. Je rejette l’idée. Deux ans qu’elle m’a dit que la seule chose qu’elle épousera sera sa carrière. Moi, je ne conçois pas de ne pas me marier. Je veux des enfants, je ne crois pas que ça soit dans ses projets.
Fais chier. Je tape violemment dans une pomme de pin, elle rebondit sur un tronc et qui me revient dessus au niveau de mon mollet. Elle ne changera pas d’avis. Moi non plus. C’est une amie. Je dois oublier Cerise. Fin.
Blanche veut du sérieux. Je m’en satisferai. Je vais lui dire oui pour vendredi et rencontrer ses parents.
Après une demi-heure, je retourne vers Éric, il fume la pipe avec un mélange de tabac et de pâte rougeâtre, assis dans son salon de jardin dont la qualité suppose qu’il vient de l’École Nationale d'Osiériculture de Fayl-Billot.
— J’ai qu’une parole, dit-il, bombarde tes questions.
Je reste debout, les mains dans les poches et pose mon magnétophone sur la table pour reprendre l’interview.
— Une autre technique pour authentifier une œuvre ? je demande.
— La plus simple : l’aéroport. Tu peins, un complice établit une facture, tu déclares aux douanes que t’as un tableau acheté à l’étranger. Tu payes les taxes. Tu te retrouves avec un vrai papier des douanes qui le certifie et la douloureuse. Plus qu’à revendre.
Je passe ma main dans mon cou, j’ai du mal à le suivre, comme si je sortais d’une soirée arrosée. La fumée m’incommode. Malgré la nuit tombée, j’hésite à récupérer mes lunettes de soleil à ma voiture, mais je n’en ai pas le courage. Dépité, je m’assois en tailleur sur le canapé en osier.
— Et pour écouler les faux ?
— Nous, c’était le système D, qui s’est transformé en réseau au fil des années.
— Nous ? je répète.
— Avec mon frère et quelques acolytes de passages. Des commanditaires, bien sûr. Des collectionneurs qui voulaient assouvir leur besoin de possession, quitte à avoir de la contrefaçon. Des galeristes et des experts véreux qui voyaient leurs intérêts.
— Impossible de duper un catalogue raisonné, je remarque.
— En passant par une galerie, les éditeurs se contentent de faire des versions augmentées avec les nouvelles pièces de l’artiste. Les œuvres pirates sont aussi bien cataloguées que les originaux. Tout est à la BNF !
Je note de me rendre à Paris à la Bibliothèque nationale de France pour vérifier. Mon regard se perd dans les flammes du brasero.
— En passant par des galeries, des salons, des expositions ou des vernissages, l’argent sale est nettoyé à sec par le pressing de l’art, capable de laver plus blanc qu’ultra-blanc !
Je déglutis mal à l’aise, j’ai eu une absence, je conserve mon regard droit afin de dissimuler mon effroi. Je salive abondamment, prends un verre d’eau que j’avale cul-sec. Mon hôte me regarde dubitatif, mais n’émet pas de commentaire.
— Les trafics ? je traduis.
— J’avais mes limites, j’évitais la mafia et la triade, les trafics d’armes ou le terrorisme. Trop dangereux pour la vie.
Ok, ce n’est pas la raison que j’attendais. L’éthique n’est pas vraiment son truc, son amour de l’art est particulier.
— Il faut dire qu’avec le passage à l’euro : on s’est retrouvé à devoir produire beaucoup pour écouler tous les stocks de francs des trafics et les transformer en euros virginaux.
— Vous avez fait réellement de la prison ?
— Tutoiement, Gueule d’ange ! Là, j’ai l’impression d’être un sénile que tu veux abandonner à la maison de retraite.
C’est pas si faux, surtout depuis que le vent envoie la fumée vers moi. Elle me donne la nausée, comme si j’avais pris un space cake concentré. Mon ventre émet un bruit peu gracieux.
— Tu réagis vite au rachacha du brasero, note-il.
Ok. Je sens que c'est important, mais mes neurones ne se connectent pas. Mon plan ? Poser mes questions et me barrer.
— Quand est-ce que tu as fait de la prison ? je corrige.
— Trois fois. En 1985 à Nice, dix mois pour du Miró et du Chagall. En 1991 à Nice, dix-huit mois pour des Henri Michaux. Un dernier tour de 2009 à 2013 au Beaumettes. Enfin de 2009 et 2010 derrière les barreaux et le bracelet ensuite.
— Pourquoi la troisième fois ?
— L’ensemble de mon œuvre, dont des compressions de César, Baldaccini évidemment, pas l’empereur.
— Jules César n’a jamais été empereur, je corrige d’un claquement de langue, mais soit.
— Et ma proposition de boulot ? Tu n’as pas besoin de blé ? demande-t-il.
— Comme tout le monde. Je rêve de faire un tour du monde, mais j’ai que 1'618 €, j’irai pas loin. Je suis président d’une asso à la fac, difficile de cumuler un job étudiant.
La fumée délie ma langue, je ne parviens pas à m’arrêter.
— Pour son annif, je reprends, ma copine voulait de la lingerie La Perla. Vu les prix : impossible. C’est une bombe, elle pourrait être mannequin pour Victoria's Secret. Problème, les seules profondeurs que je lui connaisse, c’est le trou de son porte-monnaie et celui de son entrecuisse.
Putain ! Qu’est-ce qu’il m’arrive ?
— T’en as gros sur la patate, tu m’étonnes que tes traits soient coincés autant que tes fesses.
— Si je la quitte, je vais finir seul. Je suis nul avec les filles, je suis du genre à hésiter dix ans avant de me lancer. Si elle n’avait pas fait le premier pas, je serais encore puceau.
Ta gueule Jérémie ! Un mec que t’as rencontré y a cinq heures n'a pas besoin de savoir que ta première fois c’était en deuxième année de fac !
Je shoote dans un marron qui s’est égaré sur la terrasse.
— Un ami recrute un dessinateur. T’as le talent nécessaire Gueule d’ange, intéressé ?
— C’est légal ? je demande dans les vapes.
— C’est sans risque. C’est pour illustrer des catalogues. Ton nom n’apparaîtra pas. Tu seras réglé en liquide.
— C’est quoi le deal ?
— Il a un atelier à l’étranger pour produire à échelle industrielle des antiquités. Pas de la statuette égyptienne, romaine ou grecque : le marché est saturé, avec trop d’experts. Il se lance dans une qui ne pose pas trop de questions, car moins recherchée : de l’indienne.
— C’est payé combien ?
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WildFlower
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Il y a 2 ans
Paige
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Rose Foxx
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Maryline PIAUD
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Ninja
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elia
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