Fyctia
Chapitre 33
Jérémie passe son regard inintelligible de Benjamin à moi. Sans un mot, la mine défaite, il attrape sa veste, sort de la maison en courant et il disparaît sur son VTT.
— Où est-il parti ? je demande étonnée.
Je m'inquiète peu, Jérémie est une montagne russe d’émotions sur deux jambes… Ou trois. Juste déçue que la fermeture du portail annonce la fin de notre flirt pour la soirée. Au contraire, Benjamin croque sa gaufre avec la sérénité d'un moine bouddhiste et il hausse les épaules.
— Aucune idée, consulte ta boule de cristal ! Quand il est vexé, il se tire sur son vélo durant plusieurs heures pour se défouler. Il reviendra avant demain. S’il s’avise d’être en retard à la réception, maman le cueillera et le moissonnera en petits morceaux.
— Je pensais que c’était un petit repas familial.
— Tu te plantes. Ce sont les fiançailles d'une arrière-cousine éloignée dont j'ai oublié le nom. Une coureuse de rempart au sang bleu, qui s’est souvenue de notre existence à la découverte des photos de notre allée de magnolias de Chine. Tu auras le privilège de voir des nobliaux pédants ériger leur union.
Je l’interroge du regard, perplexe.
— Maman est noble. Elle est reniée de sa famille pour avoir épousé un roturier. Nous, les Cellier, on est que des pécores d’hybrides impurs.
— Charmant !
— Maxence est ignoré par eux depuis son union avec Juliette. Elle cadreuse de documentaires animaliers. Samuel et Charles redorent le blason, car ils ont épousé deux filles de la noblesse : Hildegarde et Ermentrude. Des vraies héritières aristos, sans cerveau et aux poches vides. Seuls les métiers de Tic et Tac les ont intéressées. Elles se sont empressées de vider leurs bourses pour être en cloques.
— Ils font quoi ?
— Charles est Pharmacien et Samuel est juriste dans un cabinet d’avocats.
Je les imaginais plus dans un cirque que dans des métiers sérieux, entre Charles le grivois maître des jeux et Samuel, le joueur de mauvaise foi.
— Pourquoi j’ai été invité ? je demande incrédule.
— Demande à ma mère. J’ai une compétition en ligne à 18h, Ciao !
Benjamin s’étire, regarde sa montre et se hâte vers les escaliers. Inutile de ruminer, Jérémie s’adoucira.
Un souffle de courage m’envahie, je ne peux plus éviter la rencontre ultime. Il y a ni code de triche pour esquiver la confrontation ni raccourci. En défense, impossible de me munir d’un bouclier ou d’une armure. Je me prépare mentalement à cette épreuve pour le choix de mes armes. Il est temps que j’affronte le véritable boss final : Marjorie.
Je sens mon estomac se nouer, j’ouvre mon ordinateur et appuie sur l’icône Discord. J’attends, faute de réponse, je fais défiler les clichés de la statue de Shiva pour les examiner. Je zoome à la recherche d’indices pour identifier des caractéristiques ou formuler des hypothèses sur outils utilisés.
Mon cœur fait un bond : appel entrant. Le visage souriant de mon amie apparaît à l’écran alors que j’essaye de dissimuler ma gêne et mon appréhension.
— Alors ce séminaire ? je m'enquiers pour repousser l’échéance.
— Impatiente d’être vendredi et de retrouver mon lit ! Tes critiques aigres me manquent, les intervenants sont si réservés.
— T’es en train de me dire que des Britanniques sont asthéniques ? Ma théorie, ils s’alignent sur leur régime alimentaire douteux. Ton programme de demain ?
— Journée pérégrination avec visite du Sherlock Holmes Museum, manger dans un pub un fish and chips et sa pinte.
— Tu te la joues jeu de rôle et t’incarnes une naine photographe touriste ?
— Un peu de respect, réplique-t-elle froissée, je m’habille mieux que ça.
— T’es française donc une bougonne dans une belle tenue. Moi, ce n’est pas palpitant : un repas chez les parents de Jérémie, dès neuf heures !
Malgré la qualité déplorable de sa webcam, je constate qu’elle devint aussi rouge qu’un homard cuit à point. Quant à ses yeux, ils sont aussi acérés que l'œil de Sauron : je suis la cible de son faisceau maléfique. Je me triture les mains, son mode rage est activé.
— Cerise, depuis cette histoire de vol, je pensais que tu prendrais sérieusement tes distances. Puis, tu n’as aucune envie d’y aller, déclare-t-elle, annule.
— Tu te trompes, je balbutie mal assurée, je suis curieuse de rencontrer sa famille.
— Je vais t’expliquer ce qui va se passer. Tu vas dire bonjour, ses parents, bien élevés, te répondront. Sa mère va sortir le rôti de bœuf, des pommes de terre et des haricots verts du four. Ils vont te demander poliment ce que tu fais dans la vie et il y aura un blanc contrit. Fin.
— Madame Cellier n'est pas du genre à servir un rôti. C'est plutôt elle qui ficelle les gens sur place et les empêche de s’enfuir.
— Elle est fan de Fifty Shades of Grey ? Sympa la première conversation.
— Possible pour le fouet ! Benjamin m’a vendu le repas comme une fusion entre la guerre de tranchées de 1916 et Massacre à la tronçonneuse. La seule protection sera la grande table, digne de La Cène avec Judas en rôle principal.
— Qui ?
— Le petit frère de Jérémie.
— Il a un deuxième frère ? s’étonne-t-elle. Ses parents vont se demander ce que tu fais là avec ta licorne à paillettes, aux côtés de leur fils tiré à quatre épingles. Épargne-toi ça.
— Ce n’est pas la seule chose que t’ignores. Jérémie met toujours des tee-shirts avec des dragons.
— N’importe quoi, il met des hauts neutres !
— Marjorie ! Tu l’as vu trois heures en sept ans !
— Je ne vois pas ce qui te fait dire que tu le connais mieux que moi.
— Peut-être que je travaille avec lui depuis trois semaines, nous mangeons ensemble tous les midis et j’habite chez lui depuis deux jours ?
Elle conserve le silence, et boit sa tasse de café.
— Après douze ans, c’est respectable de mettre fin à ce pacte. Aucune de nous deux pouvait s’imaginer qu’on en serait là après tout ce temps.
— Tu veux transgresser le code d’honneur des amies ?
— Je trouverai un moyen de restituer ce que je dois, tu le sais.
Marjorie me dévisage avec incrédulité et laisse échapper un rire hystérique.
— Par quelle magie ? demande-t-elle hilare.
Je lève les yeux vers le plafond.
— Je n’en sais rien, je réponds mal à l’aise. Admets-le, il t’a éconduite. Tourne la page.
— Je ne te demande rien d’autre que respecter notre accord. Mon intuition me crie que c’est le bon !
— Est-ce qu’elle t’a aussi dit qu’on s’est embrassé ?
Un silence suit ma révélation et elle se nettoie les mains avec un rince-doigts. Je sens sa phase finale enclenchée.
— Cerise, un baiser accidentel ne signifie rien.
Je fronce les sourcils, à ce stade, ce ne sont plus des œillères qu’elle porte, mais elle a définitivement perdu la vue.
Un allié inopiné surgit dans ma chambre. Jérémie, avec une attirante odeur de musc de l’effort, lâche sur mes genoux un sac au logo de la pharmacie.
— J’ai pris tout ce qu’il y avait ! Je ferai ce que tu veux ! Je t’en supplie ! Dors encore avec moi !
J’écarquille les yeux et l’ouvre : des sprays contre les ronflements, des patchs, des huiles essentielles, une gouttière buccale, un écarteur de narines ou encore des boules Quiès.
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ptitfenouil
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Nana Page Apsara
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Sisuki
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