Fyctia
Chapitre 24
— Photo annuelle du 27 décembre.
Je sursaute à la voix de baryton de Benjamin, il porte un tee-shirt aux caractères de codage informatique : « Mr. Robot, our democracy has been Hacked ». Je me suis arrêtée au milieu des marches à contempler les clichés qui trônent le long du mur : même pièce, même angle, mais la famille s’élargit au fil des ans.
— 27 décembre ? je répète.
— Certains sont pris à Noël, d’autres au nouvel an, maman a instauré la réception obligatoire à cette date, sous peine de représailles et malédictions.
— J’ai bien senti son côté sorcière hier, je marmonne.
— Elle a envoûté les miroirs, elle peut t’entendre. Café ?
— Thé.
Il se dirige d’un pas nonchalant vers la cuisine et démarre la bouilloire. Je me hisse sur un siège du bar aux côtés d’une jeune homme blond, ses yeux verts sont partiellement dissimulés derrière ses lunettes à fines montures dorées. Il est absorbé à la rédaction d’un message. J’hésite à l’interrompre pour me présenter, il me devance et s’adresse à moi d’une élocution hachée, presque robotique.
— Augustin. 24 ans. Je suis allergique à l’aneth, achetez une poêle si vous voulez en cuisiner. Je n’ai pas eu mon concours vétérinaire à 0,30 points. J’ai continué des études en biomédical. Ce ni de la médecine ni du paramédical. J’ai une entreprise éco-responsable et Fairtrade dont l’activité est en bénéfice. Je ne veux pas en parler. Je travaille dans l’annexe à gauche. Elle m’appartient. Je ne veux pas y être dérangé. Vous vous appelez comment ?
J’ai un mouvement de recul sur mon siège, le dénommé Augustin se lève en replaçant le sien. Il remonte les manches de sa chemise immaculée dont tous les boutons sont mis jusqu’à son col. Il me fait penser à l’archétype d’un premier de la classe, celui qui se fait enfermer dans un casier dans les films à l’américaine.
— Cerise.
— C’est un fruit. Si c’est une blague, je n’ai pas compris.
Benjamin me présente une boîte en bois avec une multitude de thés en vrac et il me lance un regard appuyé, indéfinissable.
— C’est vraiment son prénom, explique-t-il.
— D’accord. Si vous restez, merci de placer votre emploi du temps sur le frigo avant dimanche midi pour le planning des tâches ménagères hebdomadaires. Au revoir.
Sans me laisser le temps de répondre, Augustin le droïde s’éloigne d’un pas rapide avec un thermos de café. Benjamin m’étudie avec la minutie d'une équation mathématique.
— Avoue, mon tocard de frère ne t’a pas prévenu.
— En réalité, jusqu’à hier, je dévoile, je pensais Jérémie fils unique.
Ce dernier apparaît dans l’embrasure de la cuisine et se sert du café, puis, sort de quoi cuisiner.
— Cerise me disait combien t’avais renié toute ta famille, raille l'étudiant.
— T’es le seul qui ait ce privilège, je préfère oublier ton existence.
— Elle vient de rencontrer Augustin.
Jérémie se retourne brusquement et passe sa main dans son cou.
— J’espère qu’il n’a pas été désagréable, excuse-le, il faut le ménager.
— Il est neuroatypique, pourtant seul Jérém est demeuré dans la famille ! Il a même oublié la règle : il faut procéder à un vote pour un coloc qui reste plus d’une semaine. Sven, mon pote, veut aussi la chambre !
Jérémie lève son majeur dans sa direction, je sens un amour fraternel puissant entre eux.
— C’est mon invitée. Si tu n’es pas content, retourne à Paris.
— Je préfère glander sur le canapé, foutre en l’air ma vie comme tu dis si bien.
Jérémie l’ignore et se retourne vers moi.
— Pour ce midi, je me fais du tofu et du riz en sauce tikka masala, Aronia, je te prépare une part ?
— Je n’ai jamais goûté du tofu, j’accepte.
— Une portion aussi ! clame Benjamin.
Il saute sur le canapé en passant-dessus et ouvre son ordinateur sur la table basse.
— Tu n’as pas le temps de cuisiner durant ta journée de lambine ?
— Si, mais je le fais moins bien que toi.
Jérémie soupire bruyamment, rajoute des ingrédients. L’odeur alléchante du plat me fait saliver, je m’approche de la poêle pour goûter. Le cuisinier me surveille du coin de l’œil, alors qu’il ajoute du tamari et du gingembre. J’attrape une cuillère, mais Jérémie, sur ses gardes, enlève le wok du feu pour m’en empêcher.
— Pas touche, Nèfle ! rouspète-t-il. Va t’assoir sur le canapé ! Sois sage !
Je m’éloigne dûment offensée alors qu’il tranche des oignons verts. Je m’enfonce dans le cuir rouge du Chesterfield, boudeuse.
— Et le droit alimentaire ? Je dois survivre ! Depuis quand tu te prends pour Il Duce ? je m’époumone vexée.
— Bienvenue dans la DMZ de Corée, murmure Benjamin, quand il cuisine : personne n’a le droit de pénétrer. Profite ! Il est stupide, mais c’est un cordon-bleu végétarien.
Jérémie lève les yeux de sa planche à découper et me fixe avec un sourire narquois.
— C’est une précaution : une quarantaine culinaire pour éviter que vous contaminez ma création gastronomique.
Il m’offre un clin d’œil complice, je sens des papillons s’agiter dans mon ventre. Je lui tire la langue, souffle un petit rire et me blottis plus confortablement dans le canapé. Si c'est la DMZ, autant que je profite du spectacle plutôt qu'en être otage. Je me surprends à suivre les fessiers de Jérémie, une scène qui me met de bonne humeur de bon matin. Qui sait, peut-être que je m’y habituerai. Uniquement pour les besoins de mon enquête, bien sûr.
— Je crois que Jérémie a bien besoin d’une petite leçon d’humilité, je me mords les lèvres.
Benjamin secoue la tête en riant doucement, tout en tapant sur son clavier.
— Si ce n’était qu’une ! Je t’adore déjà.
Jérémie m’a persuadé de faire du covoiturage, au nom de l’écologie, l’état de mon porte-monnaie m’a convaincu. Je tente d’attacher mes nouvelles clés à mon trousseau : du portail, de la maison et de ma chambre temporaire. Je me sens un peu comme Passe-Partout, sauf que moi, je ne les perds pas pour gagner des Boyards, mais plutôt ma confiance en moi. J’ai décidé d’éluder la disparition des clés de Marjorie et de m’en remettre à la Cerise de samedi. Bon courage à elle pour les retrouver.
Je sursaute à la notification qui apparaît au milieu de l’écran tactile de la Citroën.
Appel entrant : Elle.
Jérémie décline.
Appel entrant : Elle.
Il refuse de nouveau et se raidit sur son siège lorsqu’un message apparaît. J’ai juste temps de lire le début avant qu’il ne le fasse disparaître.
— C’est qui Elle ? je l’interroge.
— Le boulot.
Évidemment, tout le monde s’appelle « Chéri » au travail, c’est connu. La fin du message est sans ambiguïté, je devine aisément un : « Je t’aime ». Marjorie a raison, c’est juste un séducteur qui tente de me manipuler. Je décide d’utiliser mon voyage pour évaluer les retards à cause de la météo capricieuse. Il se gare devant la bâtisse de KtH et je me dirige silencieusement vers la sortie.
À ma surprise, il me rattrape, me tient le poignet, m’offre un sourire malicieux et se penche vers moi.
— Est-ce que je peux avoir un avant-goût de notre « sport » de ce soir ?
J’hésite.
— Un indice ? Tu auras besoin d’un maillot de bain !
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WildFlower
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Paige
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Il y a 2 ans
clecle
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Ninja
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Billy.13.90
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Emmy Jolly
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