Fyctia
Prologue
Flux sanguin.
Inspiration, expiration et rythme cardiaque.
Puis soudain, la vie, des secondes mortes, des minutes, les prochaines heures restantes avant de fermer les yeux sur une nouvelle journée d’incertitudes. Un tout formant le moi, ce corps chaud emmitouflé sous un drap de velours vermillon en plein cagnard. Un voile flou sur l’extérieur, une lumière aveuglante d’un soleil d’été au pays, sans doute.
Peut être ?
Je me frotte les yeux, me possède avec flegme. Il est huit heure trente, la chambre sent bon le propre, le détergent mêlé au musc boisé d’un parfum masculin encore imprimé sur ma peau. Le commencement est important, le début d’un nouveau jour capital, la distinction entre le rêve et la mémoire du temps écoulé. La vie est pénible parce qu’elle n’est pour moi qu’une succession de détails, de réincarnations et d’algorithmes à graver dans mon encéphale dysfonctionnel, à peu de détails près justement…
À moi ce souvenir, ce laps de temps confus, le réveil où tout un tas de probabilité est encore possible. Je bouge, me lève, enfonce mes doigts de pieds vernis dans le tapis moelleux à poils longs et attrape mon téléphone, le cœur. Il vibre au creux de ma main, me connecte dans cet autre monde d’apparence, de contrôle en définitive. Ça me plaît la technologie, m’anime, sur les réseaux, je décide, j’incarne tout simplement, je suis.
J’ouvre en grand la fenêtre pour laisser la chaleur réchauffer le mur en crépis blanc contre lequel je m’adosse un court instant pour allumer le téléphone. À travers la vitre froide de l’écran en plein chargement, mon reflet éteint, lui aussi en veille.
Où suis-je et qu'en est-il aujourd'hui ?
Ce suspense me donne des fourmillements, une tension palpable naissante au creux de mon ventre, je la perçois qui remonte en un souffle d’air chaud le long de mon dos, puis sur ma nuque. J’incline la tête dans une moue taquine pour offrir mon meilleur profile à l’appareil. La vie à beau m’être pénible, il m’arrive depuis peu de la sublimer par d’étranges artifices, comme un filtre Snapchat en l’occurrence. Les trois premiers clichés ne sont pas concluants, il faut s’appliquer, recommencer encore, faire appel à d’autres artifices. J’attrape un gloss irisé au hasard sur la coiffeuse en osier et habille mes lèvres, secoue mes cheveux crépus, l’envie de plaire est un premier péché non-négligeable, voir déterminant de ces émotions me faisant défaut.
Les lendemains de beuveries, certaines personnes vous diront de traiter le mal par le mal en vous envoyant un verre cul-sec du même nectar.
En fait, puisqu’on en est à chercher des explications, ce rituel représente à mes yeux ce fameux verre symbolique, celui censé prendre le mal par la racine, avec mes selfies, je capture l’humeur, la femme. Je la fige pour mieux l’observer et la comprendre, et ainsi agir les moments sombres...
« Comporte-toi comme une fille normale et les gens n’y verrons rien que du feu ma fille, ça ira ...ça ira».
L’approche de la trentaine n’a pas altéré l’adage maternelle, bien au contraire, je l’ai façonné, mystifié en m’inventant ce double médiatique parfait de fille chaleureuse, souriante et sensuelle. C’est ce que je suis à peu de choses prêt, avant que le verdict tombe, moi, mon reflet. Le couperet. L’humeur et dans un coin le brouillard.
Stable dans un corps presque sain.
Une femme du monde...?
Je pourrais naître à ce moment précis. Flux sanguin, inspiration, expiration. Je suis stable, il fait beau, la ville grouille au-dehors, la journée commence bien. j'autopsie mes photos de profiles en unique témoignage des jours précédents.
Rien a faire, tout est toujours floue, ou parsemé d'ombre.
Peu importe, ça ira maman, je suis une femme du monde...
Dégagée des viscères d’Internet, je file sous la douche. L’eau glacée coule en cascade sur ma peau d’ébène, lèche mes courbes, ruisselle sur les multiples stigmates laissés par une lame de rasoir sur chaque avant-bras. J’ai pleinement conscience des sévices que j’inflige à ce corps lorsqu’il n’est plus tout à fait miens. Perte de contrôle, mystère génétique, de tout, de rien constituant une autre caractéristique de ma seconde nature, une absence partielle d’empathie, même à mon propre égard. La tête entièrement offerte au jet, je tire la langue, joue avec l’eau comme une enfant. Je m’y connais en immaturité, je l’ai toujours revendiqué pour dissimuler mes tares. Le gloss est résistant, j’applique le savon, frotte sans discontinuer de m’amuser. L’odeur chimique de bonbon cola empli mes narines. Je me palpe, essaie d’apprécier jusqu’aux zébrures orangées tranchant mon ventre mou abîmé par les grossesses. Le rideau est mal positionné, le carrelage trempé, le diable est dans les détails.
Je ris, profite de ce sursaut de lucidité avant que s’abatte le quotidien. On peut naître chaque matin, il n’y a qu’à m’observer, à moi ce réveil, ce souvenir, ce soleil, cette journée où je suis stable, la douleur supportable où statistiquement tout ira bien.
Je m’y connais en pronostics.
Je m’y connais en humeur.
2 commentaires
rolandre
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Il y a 4 ans
cedemro
-
Il y a 4 ans