Fyctia
Chapitre 22 : NATHAN
CHAPITRE 22 : « Les tableaux champêtres… »
NATHAN
Mardi le 24 février (suite)
16h 30 :
Elle est à l’heure, je savais que la gourmandise était son plus gros point faible… « Bien joué, mec ! » dirait mon frangin. Et pour une fois, je suis d’accord avec lui.
— Ça y est, votre vitrine est en ordre, ou bien vous trébuchez encore sur vos bougies à la violette ? je lance, pour la taquiner.
Coralie sourit, j’ai l’impression d’entendre la voix d’Hugo : « Vas-y, fonce, frangin ! Le fruit est mûr, y’a plus qu’à le cueillir ! » En même temps, je me dis que cette fille mérite mieux qu’un fichu cynisme à deux balles…
En s’asseyant, elle pose les yeux sur ma tasse de thé et demande, l’air étonné :
— C’est tout ce que vous prenez ?
— Non, je vous attendais pour la suite… je réponds, pris par surprise.
Elle saisit la carte posée sur la table, commence à parcourir la liste des « douceurs au sucre parfumées de violette », et j’ai l’impression de voir un chaton en train de se lécher les babines. Au moment où la serveuse arrive à notre table, Coralie énonce d’une seule traite :
— Bon, alors… je vais prendre : un thé nature avec un nuage de lait, de préférence écrémé, ainsi qu’une part de tarte amandine aux abricots et à la violette, et puis aussi deux boules de sorbet à la violette, plus deux macarons et deux guimauves, même parfum.
— Parfait, madame. Et pour monsieur, ce sera… ?
— Uniquement le thé parfumé que j’ai déjà, merci à vous, je réponds avec aplomb.
Les yeux de Coralie se mettent soudain à rouler comme deux billes noires, ses jolies lèvres s’entrouvrent puis se referment avant de s’ouvrir à nouveau :
— Vous ne commandez que ça ? Dans un endroit pareil… ?
J’hésite à répondre, je sais d’avance ce que ça va me coûter. Coralie enchaîne :
— Vous êtes allergique à la violette ou quoi ?
Je saute sur l’occasion, saisissant la perche de la lâcheté que Coralie me tend malgré elle en toute innocence, et je me maudis… mais parfois, c’est tellement plus simple de ne pas aller au conflit. Alors je réponds crânement :
— Oui. Oui, oui, c’est ça… allergique à la violette…
Le regard de Coralie se fait soupçonneux, ses yeux balaient ma théière, je dis :
— J’ai pris un thé au jasmin.
— Mais dans ce cas, pourquoi m’avoir invitée dans cet endroit ?
— Parce que je savais que vous étiez fan des violettes…
Elle sourit à nouveau de ses belles dents blanches et répond, tout en saisissant la grande assiette garnie des pâtisseries qu’elle vient de commander :
— Ce n’était pas très difficile à deviner… en même temps, c’est gentil, ça me touche.
Elle plante sa cuiller dans l’énorme masse de sucre parfumé, et je fournis un effort surhumain pour ne pas hurler au scandale diététique. Mais il faut que je tienne le coup, sans quoi, le romantisme quittera notre table à la seconde où j’ouvrirai la bouche pour livrer mes vraies pensées.
Tandis que Coralie, la bouche pleine, murmure un « bon appétit quand même ! », je contemple la décoration des murs : ils sont tous ornés de tableaux représentant des scènes d’antan, où les champs de violette faisaient la fortune de la ville… Des femmes aux longues robes, en train de cueillir les précieuses fleurs, sourient derrière les vitres des cadres suspendus. Evidemment, vues de la sorte, ces scènes champêtres sont ravissantes… mais quand je pose à nouveau mes yeux sur Coralie, à présent en train de piquer à la fourchette sa guimauve qu’elle trempe dans son thé au lait, je me demande combien de temps je vais tenir sans broncher, à la regarder se préparer une fatigue musculaire, un vieillissement précoce, un pré-diabète et d’autres joyeusetés du même acabit.
— Au fait, vous n’avez toujours pas répondu à ma question ! elle dit, en levant tout à coup le nez de sa tasse de thé.
Je sursaute imperceptiblement, j’espère qu’elle ne va pas remettre sur le tapis cette histoire de « copine imaginaire », à laquelle elle semble croire dur comme fer. Je dis de suite :
— Ecoutez… j’ignore ce que mon frère a pu vous raconter au sujet d’une hypothétique copine, mais sachez que je suis à 100% célibataire.
Coralie lève ses yeux vers moi, ne semble pas tout à fait convaincue, marmonne un « hum, hum… on verra ça plus tard… », replonge dans son thé au lait, en ressort quelques secondes plus tard :
— Je parle de votre boutique. Le concept, je veux dire… je n’ai pas compris ce que c’est, de quoi il s’agit…
— Vous avez du sucre sur le coin de la bouche, je dis, pour gagner du temps.
Et puis soudain, en un élan inconsidéré, je pose mon index sur la commissure de ses lèvres, et j’ajoute, en ôtant les grains de sucre, imaginaires eux aussi :
— Là, voilà, c’est ôté…
Coralie rougit violemment, chuchote un léger « merci ! » d’une voix soudain suraigüe, et moi j’ai chaud, comme un idiot. Je sens une grosse goutte de sueur couler sous ma chemise, le long de ma colonne vertébrale. Cette fille qui s’empiffre de sucre me trouble, cette fille aux cheveux en broussaille m’émeut, cette fille aux larges yeux noirs commence à me foutre la trouille parce qu’on n’est même pas encore ensemble que j’ai déjà peur de la perdre. Peur qu’elle s’éloigne alors que je n’ai même pas encore eu l’occasion de tendre les bras pour la saisir, l’envelopper et lui dire qu’elle est la plus jolie créature que j’aie jamais vue… Ma parole, c’est la première fois que je suis à nouveau romantique, depuis Anaïs, depuis ce… désastre…
Je tente de masquer mon trouble, me ressaisis, en appelle à la raillerie sympathique et détendue :
— Dites donc, j’ai bien cru que vous alliez vous noyer dans votre sucre, tout à l’heure…
— Vous m’emmenez à « La Tarte d’antan », vous prenez des risques…
— Je ne vous le fais pas dire…
Soudain, je sens que des paroles que je risque fort de regretter sont sur le point de franchir mes lèvres. J’essaye de me retenir, ça sort quand même :
— Je crois que vous n’avez pas la moindre idée de ce que vous infligez à votre corps, en lui imposant ces avalanches de sucre blanc !
Coralie se fige, remue à peine sur son siège et me regarde fixement. Sans se démonter, elle me répond :
— Vous ne croyez pas que vous exagérez un peu, non ?
— Non. Vous créez un tsunami…
Je pourrais me lancer une baffe après l’autre, mais je ne peux pas m’empêcher de gâcher ce moment en disant à Coralie ce qu’il en est réellement.
La lumière du salon de thé est douce et caressante, les conversations feutrées, les décors empreints de bucolisme… Je pourrais encore me rattraper de justesse mais je n’y parviens pas… Je suis bien conscient de pulvériser brutalement toute once de romantisme.
Je pense que j’aurais mieux fait d’inviter Coralie dans un lieu neutre mais le mal est fait à présent, et foutu pour foutu, autant y aller franchement et taper dans le mile, quitte à ce que ça éclabousse un peu les tableaux champêtres qui décorent les murs…
36 commentaires
MarineGautierAuteur
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Il y a 2 ans
Coeur fondant
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Il y a 2 ans
Cécile G
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Il y a 2 ans
SOLANE
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Anna Wendell - Élodie Faiderbe
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clecle
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Emmy Jolly
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SOLANE
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Il y a 2 ans