Fyctia
Richard Lagrange
De près le complexe était encore plus impressionnant, il occupait tout l’espace visuel sur 180 degrés. Une partie du mur coulissa dans un chuintement pneumatique, découvrant une ouverture dans la paroi parfaitement lisse.
Avec un léger pincement au cœur, Roland se tourna vers le soleil et laissa les rayons obliques s’échouer sur son visage. Qui sait combien de temps vais-je rester dans cet endroit avant de retrouver la lumière du jour ? Puis il se détourna, résolu, regarda ses camarades se faire avaler un à un par l’étrange structure et entra lui aussi à l’intérieur.
Au bout d’un couloir ils débouchèrent dans une grande salle sombre. Avant que leurs yeux ne s’habituent à l’obscurité, un écran géant s’alluma sur le mur d’en face et se mis à diffuser des images du jeu.
— Ne me dites pas qu’on a fait tout ce chemin pour revoir une énième fois la bande annonce quand même ? lança une fille au premier rang, se retournant vers le groupe.
Des rires tendus fusèrent…et se turent aussitôt alors que la salle s’emplissait de lumière.
Incapable de trouver la source de celle-ci, Roland fut interrompu dans ses recherches par une voix grave et riche, tandis que son propriétaire entrait dans la pièce, se plaçant au bord de l’écran.
— Ce que vous allez vivre ici vaudra amplement la distance parcourue, je peux vous le garantir jeune fille. Cela dit ce ne sont que les prémices, et pour chacun d’entre vous tout le chemin reste à parcourir.
Richard Lagrange était un homme d’un certain âge, grand et fin, au faciès plutôt banal. Son apparence correspondait avec les photos de lui que Roland avait vu sur internet. Pourtant quelque chose est différent, pensa Roland, ses yeux…
Il croisa alors le regard bleu-gris de Lagrange et se sentit complétement nu, transpercé par l’intensité glacé de ses pupilles. Roland su instinctivement que l’être à qui elles appartenaient disposait d’une écrasante supériorité intellectuelle. Il fut soulagé lorsque l’homme détourna le regard, le posant sur son voisin tout en continuant de parler.
— Chacun de vous est spécial j’en suis convaincu, mais dans notre monde actuel, morne et terne, il est difficile de révéler sa véritable personnalité. Nous vivons dans l’ère de l’apparence, du conformisme, on a peur de se montrer aux autres tel que l’on est réellement. Plus désolant encore, nous sommes terrifiés à l’idée de regarder en nous même avec sincérité. Ce que je vous offre à travers Amonstar, c’est l’opportunité de vous rencontrer, de découvrir ce qui vous rend unique, spécial. Ce que je vous offre, pour ceux qui sauront la saisir, ce n’est rien de moins que la liberté. Alors prenez garde, car une fois que l’on a trempé les lèvres dans ce doux breuvage, il devient difficile voire impossible de retourner dans sa cage.
Sur ces mots énigmatiques un grand sourire étira ses lèvres, révélant une rangée de dents blanches parfaitement alignées.
Quelques secondes s’écoulèrent, chacun se demandant si Lagrange allait reprendre la parole. Puis, dans un désordre total, une tonne de questions s’abattit sur lui : y aura-t-il un système de statistiques ? Des compétences ? Des classes ? Pourra-t-on changer de physique ou devra-on jouer avec notre poids, notre taille, nos muscles actuels ?
Leur hôte écarta les mains dans un geste d’apaisement puis leva celle de droite pour demander la parole. Habitué à des salles de classes plutôt agitées, Roland fût surpris de voir le silence se faire instantanément. Ce type a une forte aura d’autorité, si j’avais été en train de caqueter comme les autres je me serais certainement tu moi aussi.
— Vous saurez tout cela en temps voulu. Je peux cependant vous révéler que hormis quelques détails esthétiques, vous ne pourrez modifier votre physique au début du jeu. Il me paraît également important de vous préciser que si vos points de vie tombent à 0 vous mourrez dans le monde réel.
Un silence abasourdi s’abattit sur la pièce. Roland entrouvrit la bouche, son cerveau refusait d’attribuer du sens aux paroles qu’il venait d’entendre.
Un grand éclat de rire secoua Lagrange, suivit par les pouffements des quelques encadrants présents.
— Je plaisante évidemment. Sachez toutefois que si vous « mourrez » dans le jeu, l’aventure se terminera là et vous rentrerez chez vous. Ce point étant clarifié je vais maintenant vous demander de m’écouter attentivement, avec la plus grande attention que vous soyez capable de concentrer.
Il fit une pause et croisa les mains devant lui, les laissa se remettre de leurs émotions.
— Bien. J’aime garder le meilleur pour la fin et je reconnais avoir une affection particulière envers mon pays natal. C’est pour ces raisons que vous êtes le dernier groupe d’arrivant. Je tenais à tous vous rencontrer car je fonde beaucoup d’espoir en vous. Mes pensées tout particulièrement aux jeunes hommes et femmes choisis par tirage au sort. Je suis convaincu que vous allez nous offrir un spectacle grandiose.
Ce que je m’apprête à vous révéler, je ne l’ai dit à aucune autre délégation. Il y a de cela quelques années, mes collaborateurs et moi-même avons fait une découverte de grande importance. C’est elle qui a aujourd’hui permis la création de ce jeu hors norme. Cette découverte j’ai choisi de la partager avec ceux qui le mériteront. Je l’ai caché dans le jeu, à vous de la trouver. Le plus gros des œufs de pâques en quelque sorte. Qui que vous soyez à l’heure actuelle, cette connaissance changera votre vie à jamais. Bonne chance à tous.
Alors qu’il terminait son discours, l’intensité de son regard couleur ardoise se dissipa, comme si ses pensées se trouvaient déjà bien loin de cette salle et de ses occupants, ce qui lui rendit une apparence quelconque.
Il sortit de la pièce, les laissant là, médusés.
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