Fyctia

Phil décroche aussitôt.

— Alors ?

— Je n’ai pas été retenue, soupire Jenna.

— Pfff… ce n’est pas possible d’être aussi nulle ! C’était évident que tu ne serais pas prise, tu passes ton temps à glandouiller avec tes copines. Enfin… c’est tout, je vais voir ce que je peux faire pour te faire rentrer à mon boulot. Tu pourrais sans doute… je ne sais pas, faire du standard téléphonique ou un truc comme ça. En tout cas, c’est clair que tu ne vas pas refaire une autre maîtrise, ce serait débile de s’acharner. Le mieux est que tu arrêtes la fac, que tu viennes habiter ici et qu’on te trouve un petit job, en attendant que tu passes des concours.

Jenna serre les dents, se sentant aussi rabaissée qu’humiliée.

— En fait, j’ai déjà du travail, rétorque-t-elle avec sécheresse. J’ai rappelé le centre et Dahu m’a proposé un CDI.

— Mais tu ne vas pas faire des allers-retours juste pour deux heures de boulot ! Sans parler des week-ends ! proteste Philippe.

— C’est bien pour ça que je vais aller m’inscrire lundi à la fac de médecine pour suivre un DU en conduites addictives. Comme je serai toujours étudiante, je pourrais garder mon studio. Avec un DU et une expérience auprès d’enfants rencontrant des problèmes d’apprentissage ou de comportement, j’aurai un meilleur dossier pour les prochaines sélections.

— Tu veux encore tenter ta chance l’année prochaine ? Franchement Jen, c’est clair que tu n’as pas le niveau. Tu ferais mieux de l’accepter et d’essayer de rentrer dans la fonction publique et d’avoir un vrai travail au lieu de rester à la fac.

Hein ?! Non mais il rêve debout là ! D’où il décide ce que je dois faire de ma vie ?!

— Ce n’est pas à toi de choisir ce que je vais faire, lui assène Jenna. Et je préfère cent fois m’occuper d’enfants plutôt que de jouer les standardistes ou je ne sais quoi.

— Donc il va encore falloir que je patiente ! Quand je pense que j’ai pris un appartement plus grand pour qu’on s’installe tous les deux !

Cette fois, Jenna tombe tellement des nues qu’elle en oublie sa colère.

— Hein ?! Mais enfin, tu ne pouvais pas savoir que je ne serais pas retenue ! Si j’avais été prise en troisième cycle, je serai en train de presser le CROUS pour un logement.

— Mais non… tu aurais tout à fait pu faire les trajets en train et dormir chez Marjo une ou deux fois par semaine si les cours étaient trop tôt, réplique Phil qui avait visiblement tout prévu de son côté.

— Ravie de l’apprendre, grince Jenna. En tous les cas, lundi je vais m’inscrire au DU et signer mon contrat avec le centre.

— Pffff et c’est reparti pour au moins un an ! râle Phil. Je vais encore devoir attendre que madame se décide. Je te rappelle que j’ai déjà vingt-huit ans, j’aimerais commencer à construire une vie de famille. Pour ça, il faudrait qu’on vive ensemble et qu’on ait notre premier enfant avant mes trente ans, si possible.

Jenna retient un gloussement nerveux. Kimberly sort de ce corps ! En vrai, on devrait peut-être les présenter l’un à l’autre, ils ont plein de trucs en commun ces deux-là.

— Je t’ai dit et redit que je n’étais pas prête et que je ne veux pas d’enfant avant au moins trois ans, rétorque Jenna avec une étrange impression de déjà vu, sauf que cette fois, elle n’est pas spectatrice.

Philippe soupire bruyamment.

— Je vois…toujours aussi égoïste. Tu prends tes décisions toute seule sans même me demander mon avis. Bref. Écoute, là je suis en voiture donc je vais te laisser. Envoie-moi un texto pour me dire à quelle heure tu arrives demain. Salut, conclut-il d’un ton froid.

Jenna repose le téléphone avec un haussement d’épaules. Que Phil aille au diable ! Il est hors de question que j’emménage avec lui et encore plus d’avoir un bébé maintenant. Surtout avec lui ! Et s’il n’est pas content, c’est pareil.

***

Marjo rentre vers dix-huit heures trente à la surprise de Jenna.

— Je me suis débrouillée pour finir plus tôt, explique-t-elle. J’ai pris mon ordi et je bosserai demain après ton départ pour être à jour lundi. Alors, ça a donné quoi ?

— Pas prise.

— Oh… je suis vraiment désolée pour toi, ma chérie.

Jenna grimace un sourire avant de lui expliquer ce qu’elle a prévu pour la suite. Marjo ouvre la bouche pour argumenter mais Jenna la devance.

— S’il te plaît, je n’ai pas envie de commenter cette décision. Ça me fait déjà assez mal au cul comme ça donc inutile d’en débattre, si ça ne te dérange pas. Enfin, au moins ma mère et Diana sont contentes… par contre Phil l’a super mal pris. Bref. Et toi, ta journée ?

— Pfffff je me suis fait tuer par ma tutrice parce que j’ai encore fait une boulette sur Excel, grince Marjo. Putain de logiciel à la con !

Jenna sourit en l’entendant. Marjo se lève d’un mouvement souple et se dirige vers le frigo.

— Vu la journée de merde qu’on a passée toutes les deux, on n’a pas volé une vodka cerise, voire même deux ! Tu en dis quoi ?

— Que je plussoie mais qu’il ne vaut mieux pas que tu charges trop mon verre. J’étais tellement tourneboulée par tout ça que je n’ai rien bouffé ce midi.

— Ah ouais quand même ! Bon bah je ne vais pas avoir la main trop lourde alors.

Marjo ramène les deux verres et elles trinquent :

— À la vie qui est moche ! lance Marjo.

— Et à notre bonne grosse journée de merde ! ajoute Jenna en entrechoquant leurs verres.

Après avoir allumé une cigarette, Marjo tente avec prudence :

— Euh… pour ce soir, j’avais pensé t’inviter au resto chinois mais si tu n’as pas envie de sortir, je comprendrai.

Jenna prend une gorgée de son verre et répond :

— Non, c’est bon. J’en ai ras le bol de passer mon temps à broyer du noir et à me pourrir la vie à cause de conneries. Pour une fois qu’on peut être toutes les deux, je ne vais pas nous plomber la soirée à cause d’un truc auquel je ne peux rien changer. En plus, ce n’est pas comme si je ne m’y attendais pas. Et puis, en vrai, je commence à avoir la dalle.

Leur apéro terminé, les deux amies filent au chinois et commandent deux menus complets, arrosés d’un grand pichet de rosé. Tout en dégustant leurs nems copieux, elles bavardent.

— Je peux te demander un truc ? interroge Marjo. Tout à l’heure tu as dit que Phil a super mal pris que tu ne sois pas retenue alors que perso, je ne comprends pas pourquoi il aurait envie que tu viennes vivre à Paris.