Fyctia

Son assiette terminée, Kristian se tourne vers Jenna :

— On ne va pas tarder à décoller la miss.

Une boule d’angoisse remonte brusquement dans la gorge de Jenna et elle opine d’une petite voix.

— Ouh la… et moi, il faut que je me prépare pour aller à la fac ! s’alarme Diana.

— Tu veux que je te dépose en voiture ? propose Kristian.

— Euh… non, c’est gentil mais Esther va passer me prendre.

Avec sa voiture imaginaire ? s’amuse Jenna qui n’est pas dupe du subterfuge.

— On se voit ce soir ? poursuit Diana en se tournant vers Jenna. Normalement je devrais être chez moi vers dix-neuf heures…

— OK, on s’appelle pour l’apéro, promet Jenna en glissant un regard vers Kristian qui l’attend.

Avec un gros soupir, Chouchou ramasse son sac de voyage.

— Tu peux le laisser là si tu veux, propose Jenna.

— Moi, je veux dire, non voilà quoi. On ne sait jamais, si vous ne revenez pas...

Raaaa mais garde la ta mauvaise humeur !

— Comme tu veux, Chouchou. Sinon, je me disais que tu pourrais en profiter pour aller voir ton super copain, persifle-t-elle, agacée par son comportement.

Leurs regards se croisent sans aménité et Chouchou hausse les épaules.

— Moi, je veux dire, je verrai…

— Fais donc ça… plussoie Jenna, à bout de nerfs.

***

Un magnifique soleil brille dans le ciel et la chaleur est au rendez-vous lorsque Jenna et Kristian montent en voiture.

— Il faut qu’on passe vite fait au magasin pour que j’achète le cadeau de Cécile, prévient Kristian.

— Sérieux ? Tu ne l’as pas encore ? s’étonne Jenna.

— Non, mais c’est bon, j’ai une idée… Un joli bracelet ? C’est bien ça, non ? Toutes les filles aiment les bijoux…

— Oui mais j’espère qu’elle n’est pas comme moi. Perso je perds systématiquement tous mes bracelets. Même celui que vous m’avez offert pour mes vingt ans, déplore Jenna.

— C’est parce que tu as un tout petit poignet. On devrait t’offrir des bracelets pour enfants.

— Raaa ce que tu m’énerves !

***

Une fois au magasin, Kristian n’est pas long à faire son choix et ils prennent la route pour se rendre chez ses parents.

— On en a un peu près pour une heure, explique Kristian. Je suis content de ne pas faire la route tout seul.

Jenna lui répond par un sourire crispé et il pose brièvement la main sur sa cuisse avant de reprendre leur bavardage.

En dépit de sa conversation avec Kristian, du bucolisme de la nationale et du temps magnifique, plus ils approchent de leur destination, plus Jenna sent l’angoisse monter. Alors qu’ils passent à proximité du village où vivent les parents d’Hélène, elle envoie une grosse pensée à son ancienne amie, jadis si frustrée que Kristian se refuse à l’inviter dans sa famille.

Mais qu’est-ce que je fous là ? réalise-t-elle brusquement. Qu’est-ce qui m’a pris d’accepter ? En plus pour l’anniversaire de sa sœur ! J’aurais dû rester chez moi avec Chouchou !

— Jen ? Tu m’écoutes la miss ?

— Oui, oui, assure Jenna d’un ton crispé.

Kristian lui lance un regard de biais et sourit.

— On est presque arrivés. Tu vas voir, mes parents sont sympas.

Jenna grimace un sourire en guise de réponse et s’allume nerveusement une cigarette. Je n’aurais jamais dû dire que je l’accompagnais, je n’ai absolument rien à faire là. Mais quelle idiote, quelle idiote !

Kristian s’immobilise devant un pavillon et se tourne vers Jenna en souriant.

— On y est !

Mais qu’est-ce qui m’a pris de me fourrer dans une telle galère ? songe Jenna en prenant une profonde inspiration. Bon maintenant, je n’ai plus choix… ça m’apprendra à accepter n’importe quoi sans réfléchir. De toute façon, ça va mal se passer, je vais encore me ridiculiser et passer pour les dernières des cruches tellement je suis stressée, mais quelle misère, quelle misère !

La mort dans l’âme et le cœur battant la chamade tant elle est intimidée, Jenna emboîte le pas de Kristian. Celui-ci entre directement et lui faisant signe de la suivre.

— C’est nous !

Le visage de sa mère, aussi brune que lui, se matérialise.

— Tu es venu avec Kimberly finalement ? se réjouit-elle.

C’est de pire en pire… songe Jenna en souriant d’un air crispé. Quant à Kristian, tout à fait à son aise, il répond :

— Non. La mère je te présente Jen, enfin Jenna. C’est celle chez qui j’ai emmené André, précise-t-il.

Le malaise de Jenna augmente encore tandis qu’elle tend la main pour serrer celle de la mère de Kristian. Elle se rappelle parfaitement de ce dont André a été témoin lors de sa visite et adresse un reproche silencieux à Kristian tout en espérant que son frère n’ait pas raconté tous les détails de sa soirée à ses parents.

— Bonjour madame, bredouille-t-elle, de plus en plus embarrassée.

Après les salutations, la mère de Kristian les invite à s’installer dans la salle à manger afin de boire le café.

— Cécile ne devrait pas tarder, elle est partie faire un tour en vélo, renseigne-t-elle Kristian en s’allumant une cigarette slim.

— Hein ?! Elle n’est pas au collège ?!

— C’est la fin de l’année, elle ne loupe rien, rétorque sa mère.

Silencieuse, Jenna n’ose pas piper mot. Galant, Kristian tire une chaise pour elle.

— Tiens la miss.

— Merci, coasse Jenna, la gorge nouée tant elle est intimidée.

Kristian frôle légèrement son épaule nue quand elle s’installe avant de s’asseoir à son tour. Le café servi, la conversation se poursuit. Se sentant aussi déplacée qu’intimidée, Jenna garde le silence et observe le duo mère/fils avec une pointe de curiosité.

— C’est dommage que ma bru ne soit pas venue avec toi, reproche sa mère à Kristian. Je ne comprends pas pourquoi tu ne lui as pas proposé de t’accompagner.

— Elle ne pouvait pas, elle bossait… tente Kristian. Et puis on n’est pas toujours forcés de….

Sa mère le coupe :

— Kimberly est une fille en or, gentille, respectueuse... Elle est parfaite. Elle ne voit que par toi et elle t’aime de tout son cœur ! Elle n’attend qu’un mot de ta part. Tu serais fou de la laisser filer. Tu ne trouveras jamais mieux. C’est une perle rare et elle est faite pour toi, décrète sa mère.

OK… je commence à cerner le problème, songe Jenna avec désarroi devant la manière dont la mère de Kristian vante les qualités de sa rivale. Sainte Kimberly… non mais sérieux ? On en parle de son côté pressant ? Ah bah non, maman a tout décidé… J’ai zéro chance qu’elle m’apprécie, elle est phagocytée par la Princesse et Kristian boit les paroles de môman, j’aurais mieux fait de rester chez moi à écouter Chouchou se lamenter au lieu de me faire du mal comme là !