Fyctia

Au bout de deux heures, Phil sort de la chambre en tenue de sport.

— Je vais courir, lâche-t-il d’un ton sec.

Dans ses petits souliers et une boule dans la gorge, Jenna coasse :

— OK…

Lorsque Phil revient une bonne heure plus tard, il semble un peu plus détendu et, après avoir pris une douche, il rejoint Jenna sur le canapé. Ils passent la fin de la journée à regarder la télé et se couchent tôt.

Une fois sous la couette, Philippe soupire, les yeux embués :

— C’était une triste journée.

Jenna se décompose et se rapproche de lui.

— Pardon, j’ai exagéré, déclare-t-elle d’une voix chevrotante en posant la main sur son ventre.

Phil se tourne vers elle.

— Non mais c’est bon, je ne veux pas que tu te forces.

Avalant sa salive, Jenna retient difficilement ses larmes.

— Pardon, je ne voulais pas te blesser. Le truc c’est que c’est parfois difficile pour moi depuis « l’incident » et là, comme ça fait un an, j’y pense beaucoup. C’est ça qui m’a empêchée de dormir quand on était à la mer, j’ai fait un cauchemar sur Droopy et je n’étais pas bien.

Philippe soupire et la prend contre lui. Ils font finalement l’amour sans grand enthousiasme pour se faire croire que tout va bien puis s’endorment.

***

Le lendemain, l’ambiance est toujours tendue entre eux. Philippe va travailler et rentre cependant pour le déjeuner.

— Tu veux que je t’emmène à la gare ? propose-t-il à Jenna qui doit aller passer quelques jours chez ses parents.

— Oui, si tu peux. Merci.

Ce sont les seuls mots qu’ils échangent durant le déjeuner. Philippe dépose ensuite Jenna à la gare. Ils se quittent sur un smack rapide et l’assurance de se retrouver le jeudi à l’horaire habituel.

***

Jenna profite du voyage pour appeler Diana. Passant sous silence ce qu’elle appelle son « pétage de plombs » du week-end, elle lui demande de ses nouvelles.

— J’ai vu Florian samedi, lui révèle Diana. On a passé une super soirée et je crois que je suis amoureuse.

Jenna s’étonne de ce revirement aussi brutal qu’inattendu. Une semaine plus tôt, Diana n’avait que Pascal à la bouche et maintenant, elle affirme être amoureuse de Florian !

— Non mais Pascal c’était juste à cause d’un coup de nostalgie, assure Diana. J’ai fait une croix sur lui.

Jen est dubitative mais ne cherche pas à argumenter, soulagée de voir ce retour de flamme pour Pascal s’éteindre tout seul.

— Et Marjo ? Tu as des nouvelles ?

— Ah oui ! Elle n’est pas rentrée dans les détails mais sa nuit avec Thomas a dû être vraiment fantastique parce qu’elle m’a avoué qu’elle a des sentiments pour lui et qu’elle veut qu’ils réessaient sérieusement.

— Pfff, elle aurait pu s’en rendre compte plus tôt ! commente Jenna. Parce que là, ça ne va pas être facile attendu qu’elle déménage à Paris.

— Je sais bien mais qu’est-ce que tu veux, c’est Marjo !

Après sa discussion avec Diana, Jenna envoie un texto à Kristian afin de lui demander comment il sent son oral dans deux jours. Il répond immédiatement :

Pas bien du tout. À mon avis, c’est mort, je ne me sens pas du tout prêt. Enfin ce n’est pas grave. De toute façon, ça ne m’empêchera pas de faire la fête et d’explorer ta petite valise.

Jenna s’esclaffe et secoue la tête avec indulgence devant son insouciance. Après sa crise avec Philippe durant le week-end, le côté carpe diem de Kristian est rafraîchissant.

***

Arrivée à la gare, Jenna voit Elsa en coup de vent, le temps de lui confier ses clefs d’appartement, puis retrouve ses parents.

Jen profite de son séjour à la campagne pour se ressourcer et lire. Toutefois, elle n’est pas tranquille et culpabilise. Elle a l’impression que Phil souffre à cause d’elle et cela lui pèse sur le cœur. Elle se sent nulle, d’autant qu’elle ne peut pas s’empêcher de se réjouir à la perspective de la visite de Kristian la semaine suivante. Le soir dans son lit, elle pleure, minée par le conflit et l’incertitude. Elle se sent coincée dans une impasse et ne parvient pas à se décider dans un sens ou dans un autre, tétanisée par la crainte de se tromper et de faire le mauvais choix.

Seule Diana brise sa solitude en l’appelant après le départ d’Elsa.

— Alors ? Tout s’est bien passé ? l’interroge Jenna.

Un gros soupir lui répond.

— Je t’avoue que j’ai eu un peu de mal… Elsa est bien gentille mais elle est hyper directive et elle m’a stressée à me presser pour tout ! avoue Diana. Sérieux, elle est trop speed, à croire qu’elle bouffe des Duracell au petit-dej’ !

Jenna pouffe en imaginant Elsa remplacer ses céréales par des piles. Il est vrai que Diana — comme elle — aime prendre son temps pour faire les choses tandis qu’Elsa est très dynamique.

— Mais hormis ça, on a passé une bonne soirée, poursuit Diana. On a un peu parlé de Tom et Marjo, Elsa ne les imagine pas du tout ensemble. Et même si j’adore Marjo j’admets que je suis d’accord avec elle.

Jenna est bien obligée d’admettre que, même si les sentiments sont réels entre eux, Tom et Marjo sont sans doute trop différents pour que leur couple soit viable à long terme.

— On verra bien, conclut-elle. Tu sais si Marjo a des nouvelles ?

— À ma connaissance non. Mais je ne l’ai pas eue depuis mardi. Elle passe son temps à courir pour être à l’heure chez Hermès et je crois que c’est un peu chaud pour elle avec la cousine de sa mère. Sinon avec Elsa, on a parlé de Kris et de toi et ça va te faire plaisir : elle m’a dit qu’elle est sûre que vous finirez ensemble.

— Pour ça, il faudrait déjà qu’il quitte Kimberly et plus ça va, moins ça en prend le chemin, se désespère Jenna.

— Tu ne fais rien non plus pour te rendre disponible…

— C’est compliqué, soupire Jenna. Je ne veux pas faire de la peine à Phil pour courir après un mec qui me laissera tomber un mois après. J’aime Kristian mais j’ai besoin d’être sûre de lui avant de faire quoi que ce soit.

Ah Jenna et son éternel « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » qui lui sert à justifier sa passivité, son immobilisme et sa lâcheté. Au lieu de se prendre en main et faire un choix, elle se laisse balloter entre Kristian et Philippe au gré des événements.

— Sinon, tu fais quoi de beau cette semaine ? demande-t-elle à Diana, inquiète à la perspective que son amie puisse se sentir abandonnée.

— Je vois Magali et Adélaïde demain, on a prévu de se faire une petite bouffe toutes les trois puis on récupère Paul avant d’aller au Curt. En plus, Florian a dit qu’il nous y rejoindra peut-être.

— Ah ! C’est cool, sourit Jenna, soulagée.