Fyctia

De retour chez Paul et Marjo, Jen rappelle Philippe. Celui-ci — fait rare — s’excuse de son moment d’emportement lorsqu’elle lui a téléphoné plus tôt.

— J’étais en train de me prendre la tête avec ma cheffe de service, explique-t-il. J’ai vraiment de plus en plus de mal à la supporter, c’est une vraie connasse. Je n’arrive pas à comprendre comment elle peut occuper un poste pareil.

Ce n’est pas la première fois que Phil se plaint de sa supérieure et Jenna compatit même si elle est intimement persuadée que le fait que ce soit une femme n’est pas étranger à l’irritabilité dont il fait preuve.

— Enfin, plus que deux jours à tenir et c’est les vacances, se réjouit Phil. Tu prends le train habituel vendredi ?

Après que Jenna lui ait confirmé et expliqué qu’elle était avec Chouchou chez Marjo, ils raccrochent.

Lorsque Marjo rentre chez elle, moins d’une heure plus tard, elle est surexcitée :

— J’ai réussi mes tests ! Je suis prise à l’école et je commence les cours dans quinze jours. Je suis trop contente ! En plus, grâce à la responsable j’ai rendez-vous demain avec Hermès pour mon alternance, j’espère que je serai retenue. Certes, l’école a d’autres partenariats mais Hermès, ce serait le top de la moumoute ! Et il va falloir que je trouve un appart aussi parce que je ne peux squatter toutes les semaines chez Kris et Kimberly et si je fais les allers-retours en train, je serai trop naze.

De cette logorrhée, Jenna ne retient qu’une chose : quinze jours. Dans quinze jours, Marjo partira et elles ne se verront plus. Sous le choc, elle bafouille les félicitations de circonstance tandis que Marjo déclare :

— En tout cas, ça va faire du bien de voir des nouvelles têtes.

— Moi, je veux dire, sympa, voilà quoi ! réagit Chouchou, exprimant par la même occasion le ressenti de Jenna.

Marjo lève les yeux au ciel.

— Raaa tu vois bien ce que je veux dire ! Bref, ça ne te dérange pas qu’on passe faire de la course avant qu’on aille manger chez Tom ? Ce soir, c’est moi qui paie l’apéro ! Mais pas trop hard parce que je dois être en forme pour mon entretien de demain.

***

Thomas affiche une mine décontenancée lorsque Marjo lui annonce son départ prochain.

— Et ton entretien, c’est demain ? répète-t-il.

— Oui, j’ai dû refaire un CV vite fait dans le train, soupire Marjo en sortant une feuille de son sac.

Les yeux de Thomas lui sortent presque de la tête en voyant le CV manuscrit.

— Attends, tu n’as que ça ?

Marjo se trouble un peu :

— Euh… oui. J’ai passé toute la semaine sur la route et je n’ai pas eu le temps de passer à la BU pour en taper un sur l’ordi.

— Et ton alternance, c’est pour devenir assistante de direction ? poursuit Thomas.

— Oui, ça fait cinq fois que je te le dis ! s’énerve Marjo.

— OK, soupire Thomas en se penchant vers son ordinateur pour l’allumer. L’un d’entre vous veut bien servir l’apéro ?

— Attends, tu fais quoi, là ?! l’interroge Marjo. Tu ne vas quand même pas bosser alors qu’on est tous là.

Thomas se frappe le front, anéanti.

— Non. Je vais refaire ton CV pour qu’il ait l’air un peu plus sérieux pour ton entretien de demain.

Les joues de Marjo rosissent légèrement.

— Oh… c’est gentil mais tu n’es pas obli…

— Tu veux être prise chez Hermès ou pas ? la coupe Thomas.

Marjo confirme d’un signe de tête.

— Donc, tu me laisses faire et tu nous sers l’apéro, femme, plaisante-t-il.

Pendant que Thomas — qui est réellement le plus gentil d’entre tous — s’active à taper et mettre en page son CV, Marjo s’avise du silence inhabituel de Jenna qui n’a pas dit trois mots depuis qu’ils sont arrivés.

— Jen, il y a un truc qui ne va pas ? Tu fais la gueule parce que je vais m’installer à Paris ?

La quasi accusation sort Jen de sa torpeur stupéfaite.

— Non, pas du tout ! Je suis super contente que tu aies trouvé quelque chose qui te plaise, je te jure. C’est juste que c’est un peu soudain et que j’ai un peu de mal à assimiler le fait que dans quinze jours, on ne verra plus.

— Ô ma chérie ! s’attendrit Marjo en la prenant dans ses bras. Bien sûr qu’on continuera à se voir, je reviendrai les week-ends et puis j’aurai des vacances. Et tu pourras venir squatter dès que j’aurai trouvé un appart. Même si je serai en cours toute la journée, je suis sûre que tu trouveras avec qui occuper ton temps, ajoute-t-elle en lui faisant un clin d’œil.

Jenna se déride un peu à cette mention.

— Oui, je sais bien. C’est simplement que ça ne sera plus pareil quand tu seras partie.

Eh oui… moins de vingt-quatre plus tôt, Jenna vouait Marjo aux gémonies et affirmait à Diana qu’elle n’en avait rien à faire d’elle mais, à présent que la séparation est imminente, elle ne se souvient que des bons moments partagés.

— Moi, je veux dire, je veux bien un câlin aussi, tente Chouchou en riant.

— Pfff non mais toi, tu es vraiment un rat ! lui lance Marjo en relâchant Jenna.

Jenna s’oblige à sourire, ne voulant pas gâcher l’ambiance.

— C’est quoi ce mot-là ?! lance Thomas, toujours devant son écran.

— Raaa, c’est de l’italien ! soupire Marjo en le rejoignant.

— Excuse-moi d’avoir fait allemand en deuxième langue, riposte Thomas, pince sans rire.

Au bout de trois bons quart d’heures d’efforts durant lesquels Chouchou, Marjo et Jenna ont joyeusement bu verres sur verres, Tom appelle Marjo.

— Viens voir et dis-moi si ça te va avant que je l’imprime.

Marjo ne cache pas sans enthousiasme en découvrant le résultat.

— Tu rigoles ? Bien sûr que ça me va, même en passant trois heures à la BU je n’aurai jamais pondu ça ! Merci Tom ! s’exclame-t-elle en l’enlaçant avant de déposer un gros baiser sur sa joue.

— Moi, je veux dire, je veux bien un câlin aussi ! répète Chouchou.

— Les câlins, ça se mérite, lui assène Marjo.