Fyctia
ANPE,cotillons et réveillon P2
Les précieux dossiers de candidatures récupérés, Jenna file s’installer au troquet du coin. Une moue lui échappe en découvrant le formulaire. Elle commence par celui de Philippe et indique soigneusement son état civil et son parcours universitaire avant de grimacer.
— Qu’est-ce que j’en sais moi, de ses motivations ? marmonne-t-elle.
Elle attrape son téléphone dans son sac et compose le numéro de Phil. Celui-ci lui répond d’un ton sec.
— Quoi ?!
— Euh… je suis en train de remplir ton dossier et ils demandent tes motivations, je mets quoi ?
— Raaa, ce n’est pas possible d’être aussi nunuche ! s’énerve Philippe. Écris un truc en rapport avec ce qu’ils font, je ne sais pas moi, réfléchis bon Dieu !
— Mais….
— Je te laisse, j’ai du travail, débrouille-toi, lance Phil avant de raccrocher.
Furieuse, Jenna repose son portable et commande un second expresso. Elle indique que l’économie et le marché de l’emploi sont des centres d’intérêt de Phil puis passe à son propre dossier. Dans la case motivation, elle indique qu’elle veut aider les gens. De toute manière, elle n’a aucune envie d’être recrutée. Quant à Phil, s’il n’est pas content de ce qu’elle a mis, il n’avait qu’à remplir son dossier lui-même !
***
— Alors, c’est bon ? Tu as rendu le dossier ? lui demande Philippe à peine rentré.
— Oui, voilà ton récépissé, par contre pour la partie motivation j’ai fait comme que je pouvais, grince Jenna.
Phil jette à peine un coup d’œil au papier qu’elle lui tend.
— Et le tien ? Tu l’as fait ?
Bah voyons… il n’a jamais eu l’intention de postuler, ce qu’il voulait c’est que moi je le fasse en espérant que je sois retenue… Comme ça, adieu reprise d’études vu que c’est débile de quitter un CDI. Et en route pour une vie de merde avec maison à la campagne pas loin de chez ses papa-maman puis un chien et des mioches ! songe Jenna qui n’est pas dupe.
Affichant un sourire sardonique, elle agite sa preuve de dépôt sous le nez de Phil qui se fend d’un sourire.
— Par contre, tu devrais aller te préparer, mes parents nous attendent pour dix-neuf heures, précise-t-il.
Jenna qui n’a nulle intention de troquer son pantalon à carreaux en flanelle contre une jupe, répond sur un ton suave :
— Juste le temps de me remettre un petit coup de rouge à lèvres et c’est bon.
Philippe inspire mais ravale judicieusement les paroles qu’il s’apprêtait à prononcer.
***
Le reste de la semaine s’écoule de manière routinière. De retour chez elle, Jenna retrouve ses habituelles complices Marjo et Diana. Elles ne sont pas d’humeur à aller en boîte et s’offrent des soirées cosy, jouant à des jeux de société pour pallier au fait qu’elles partagent de moins en moins de choses. Diana passe beaucoup de temps avec ses amis rencontrés en Italie, Marjo est sans cesse sur son téléphone pour répondre aux mecs sur CaraMail, quant à Jenna, hormis pour se plaindre de Phil, elle n’a pas grand-chose à dire. Paul fait également des apparitions, au grand dam de Jenna et Diana qui estiment qu’il a changé depuis qu’il travaille à L’Apo. Il monopolise la conversation avec gouaille et ne cesse de ramener la couverture à lui, chacune de ses anecdotes visant à le valoriser. Il leur tape tellement sur les nerfs que les deux voisines s’avouent mutuellement soulagées lorsqu’il rentre chez lui en compagnie de Marjo.
***
La veille de la fiesta prévue pour l’anniversaire de Pascal, Jenna se réveille vers onze heures avec une barre dans le crâne qui ne doit rien à l’alcool, une toux de tuberculeuse et un front brûlant. Un état dégradé qui ne l’empêche toutefois pas d’adresser une pensée à Kristian… Aujourd’hui, cela fait six ans qu’ils ont échangé leur premier baiser. Après s’être bourrée de paracétamol, elle prend son train.
Pascal l’attend devant la gare comme prévu pour aller faire les courses pour le fameux chili. Devant la petite mine de Jenna, il s’inquiète.
— Tu vas bien ?
— Non. Je suis patraque et j’ai hyper mal dormi cette nuit. Mais je pense qu’avec le sirop et les Doliprane plus du repos, ça devrait le faire. De toute manière, il faudra bien, grimace-t-elle.
Embarrassé, Pascal se tortille sur son siège.
— Tu sais, si tu ne te sens pas d’attaque pour faire le chili, on peut faire un buffet froid avec des salades, du fromage et de la charcuterie.
— Et passer mon week-end à entendre Phil me faire des reproches ? Non merci, ricane Jenna. En route pour le chili !
Cette fois Pascal ne trouve rien à répondre et se contente d’une moue compatissante.
***
— Pfff, comme par hasard tu es encore malade ! Ce n’est pas possible, tu ne fais vraiment aucun effort ! explose Philippe lorsqu’il rentre du travail.
Le front perlé d’une suée causée par la fièvre, Jenna riposte d’une voix éraillée.
— Non mais ça va aller, t’inquiète, je vais faire la bouffe demain ! Une bonne nuit de sommeil et ça ira déjà mieux.
Phil marmonne quelques paroles peu aimables sur l’égoïsme de Jenna et elle fait mine de ne pas avoir entendu. Elle n’a aucune envie de se disputer, elle se sent trop mal pour cela. Son dîner avalé, elle abandonne Phil devant la télé et va se coucher après s’être bourrée de sirop.
***
En dépit de ses prévisions optimistes, Jenna ne sent guère mieux à son réveil. Elle a passé une nuit agitée, entrecoupée de frissons et de quintes de toux, et ne se sent guère reposée. Toutefois, elle prend sur elle et entame la préparation du chili en début d’après-midi tandis que Philippe regarde la télé. Pascal les rejoint vers quinze heures et un soupir de soulagement échappe à Jenna lorsqu’il lui propose son aide. Elle vient de passer presque une heure à découper les deux kilos de viande à bourguignon en petits morceaux à l’aide d’un couteau à légumes et se sent déjà épuisée.
Spoiler alert : loin dans le futur, Jenna ne suivra plus la recette maternelle et confectionnera son chili avec de la viande hachée… et il n’en sera que meilleur !
— Si tu veux bien me couper les poivrons et les oignons, ce n’est pas de refus, souffle-t-elle.
Philippe marque son agacement par un claquement de langue mais ni Pascal, ni Jenna ne lui prête attention.
Les deux cocottes sur le feu, le minuteur enclenché et les ingrédients prêts à être ajoutés au fil des étapes, Jenna se laisse tomber sur le canapé. Le plus gros est fait et la suite n’est que de la surveillance : l’avantage des plats mijotés !
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