Fyctia
Chapitre 15 - Théodore
Le silence s’installe entre nous. Mais, pour une fois, il n’a rien de gênant. Il n’y a pas besoin de mots, pas besoin de combler le vide par des banalités inutiles. Avant, ce silence aurait été lourd de colère, de ressentiment. Une trêve instable avant la prochaine pique, le prochain affrontement. Mais aujourd’hui, c’est différent. Plus simple. Presque apaisant. Et, même si je ne le dirai jamais à voix haute, je préfère ça.
Quelques minutes plus tard, j’arrête la voiture devant l’immeuble de son frère. Enaé resserre son manteau autour d’elle, malgré la chaleur étouffante de l’habitacle. Elle semble toujours frigorifiée, comme si le froid venait de l’intérieur et non de l’extérieur.
— Merci, murmure-t-elle en ouvrant la portière.
Sa voix est basse, presque inaudible. Elle ne me regarde même pas, disparaissant rapidement. Je n’ai pas le temps de répondre, pas le temps de lui dire quoi que ce soit. Elle a déjà filé. Je reste là quelques instants, le regard rivé sur la porte d’entrée. Ce n’est que lorsqu’elle disparaît dans l’immeuble que je redémarre.
Le trajet jusqu’à chez moi se fait dans un silence écrasant. Chaque seconde semble s’étirer, chaque pensée se fait plus lourde. Une fois à la maison, je suis accueilli par le vide. Le silence, ici, est différent. Plus oppressant.
Je me dirige directement vers le garage. Les livres de Maureen. Je les avais récupérés après sa mort, sans avoir eu le courage de les ouvrir jusqu’à présent. Ce soir, pourtant, quelque chose me pousse à les regarder. Peut-être est-ce cette sensation de vide qui ne me quitte pas.
Le carton est posé dans un coin, couvert d’une fine couche de poussière. Je m’accroupis et le tire doucement vers moi. Lorsque j’en soulève le couvercle, une vague de souvenirs m’assaille. Maureen et son amour des livres. Sa façon d’annoter chaque page, de laisser des commentaires, des réflexions, parfois des dessins dans les marges.
Je prends un livre au hasard. Les pages sont encore marquées de ses petites notes. Pendant quelques instants, c’est comme si elle était là, avec moi, me guidant à travers ses pensées.
Puis une feuille tombe. Un post-it.
Je le ramasse, intrigué. Ce n’est pas son écriture.
"Parfois, j’aimerais qu’il me regarde autrement que les yeux pleins de haine. Parfois, j’aimerais qu’il me regarde comme il a regardé Carla…"
Je reste figé. Mon coeur manque un battement. Ces mots parlent de moi. Je le sais. Mais qui les a écrits ? Enaé ? Non… C’est impossible pourquoi est-ce qu'elle aurait écrit ça ? Cela n'avait aucun sens. Pourquoi alors j'avais quand même ce petit espoir ? Maureen prêtait ses livres à tant de gens, il pourrait s’agir de n’importe qui.
Pourtant, une part de moi refuse de lâcher cette idée.
Je feuillette rapidement le livre, cherchant un indice, quelque chose qui pourrait m’éclairer. Et là, au coin d’une page, je trouve une signature, une écriture que je ne reconnais pas, mais qui indique que le livre appartient à Enaé.
Pourquoi ne l’a-t-elle jamais récupéré ?
Cela fait des années que Maureen n’est plus là, et pourtant, ce livre a traversé tout ce temps, sans qu’elle ne le veuille. Sans qu’elle ne le cherche. Une boule se forme dans ma gorge. Ce simple post-it, cette phrase énigmatique, tout cela me hante.
Maureen… Ma sœur. Ma meilleure amie. J’ai tellement de souvenirs avec elle, tellement de moments où elle était là pour moi. Et aujourd’hui, ce post-it me ramène à Enaé, à ces années où tout semblait si simple et si compliqué à la fois.
Je ressens une profonde douleur, une absence qui m’écrase. Maureen me manque tellement. Et maintenant, ce message, cette note, m’oblige à réfléchir sur moi-même, sur ce que j’ai été, sur ce que j’étais pour elle. Comment me percevait-elle finalement ? Je sais qu'elle disait souvent à son amie que je n'étais pas le connard que je laissais imaginer.
Je repose doucement le livre, incapable de détacher mon regard de cette note. Pourquoi ce message résonne-t-il autant ?
Une chose est certaine : ce post-it a changé quelque chose en moi. Et peut-être aussi en elle, mais qui ? Le mystère est total, et il me tient en haleine. Je voudrais savoir, Maureen le savait peut-être d'ailleurs, mais elle a emmené le secret avec elle...
3 commentaires
Zatiak
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Il y a 2 mois
DIANA BOHRHAUER
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Il y a 2 mois
Renée Vignal
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Il y a 2 mois